Les dépenses en recherche et développement
Cela fait au moins un an que j’ai l’intention d’écrire un billet sur l’évolution des dépenses en recherche et développement au Québec et au Canada. Par hasard, j’ai lu cette semaine un rapport du Centre d’étude des niveaux de vie diffusé la semaine dernière dans lequel on déplorait la baisse des investissements dans ce domaine au Canada au cours des dernières années. Comme j’avais remarqué cette baisse, je me suis dit que c’était le temps d’aborder ce sujet.
Évolution globale
Le graphique qui suit montre l’évolution des dépenses en recherche et développement au Québec et dans le reste du Canada en fonction du PIB, selon les tableaux cansim 358-0001 et 384-0038 de Statistique Canada (tableaux sur lesquels les prochains graphiques seront également basés). J’ai dû faire partir ce graphique en 1988, même s’il existe des données antérieures, car certaines dépenses n’étaient pas comptabilisées auparavant.
Le graphique nous montre que la proportion des dépenses en recherche et développement par rapport au PIB était quasi identique dans le reste du Canada (RdC, ligne bleue, 1,45 % du PIB) et au Québec (ligne rouge, 1,46 %) en 1988. Cette proportion a augmenté fortement par la suite pour atteindre 1,9 % dans le RdC en 2001 et, certains pourraient en être surpris, 2,7 % au Québec. Elle a ensuite diminué presque chaque année dans le RdC pour s’élever à 1,5 % en 2013, alors qu’elle est demeuré assez stable au Québec jusqu’en 2006 pour ensuite diminuer aussi et se situer à 2,3 % en 2013. Au bout du compte, la part du Québec fut entre 40 % et 55 % plus élevée que celle du RdC de 2000 à 2013. Cela est intéressant, mais ne nous révèle pas d’où proviennent ces évolutions.
Selon la science
Pour le reste du billet, je vais me concentrer sur les données portant sur le Québec (sinon, ce billet prendrait une dimension encore plus rebutante…). Le prochain graphique montre l’évolution des dépenses en recherche et développement selon la science.
Malgré sa simplicité, on peut établir quelques constats à partir de ce graphique :
- le Québec dépense des sommes beaucoup plus élevées en sciences naturelles et génie qu’en sciences sociales et humaines (de 17 fois plus en 2001 à 9 fois plus en 2013);
- alors que la part des dépenses en sciences naturelles et génie par rapport au PIB diminue depuis 2006 (de 2,5 % du PIB à 2,1% en 2013), la part des dépenses en sciences sociales et humaines n’a pas cessé d’augmenter de 1988 (0,12 % du PIB) à 2013 (0,22 %);
- au bout du compte, la part des dépenses en sciences sociales et humaines a augmenté de 85 % entre 1988 et 2013, tandis que celles en sciences naturelles et génie a augmentée de 56 %;
- depuis 2006, la part des dépenses en sciences naturelles et génie a diminué de près de 20 % alors qu’elle a augmenté de plus de 25 % en sciences sociales et humaines.
Si je n’ai pas été surpris que la proportion de ces dépenses soit bien plus élevées dans les sciences naturelles et génie, je l’ai été de la plus forte croissance des dépenses dans les sciences sociales et humaines. Il faut dire que plus de la moitié des dépenses dans les sciences naturelles et génie se réalisent dans les entreprises commerciales alors que plus de la moitié des dépenses dans les sciences sociales et humaines sont exécutées dans les établissements de l’enseignement supérieur. Cela dit, il demeure que ces données vont à l’encontre des impressions que la recherche dans les sciences sociales et humaines est en perte de vitesse. Cela dit, il serait intéressant de connaître l’évolution des dépenses par discipline pour savoir si certaines ont été avantagées au détriment des autres.
Selon la source de financement
C’est toujours un peu embêtant de présenter un graphique où une des variables est beaucoup plus élevée que les autres. Cela fait en sorte qu’on voit bien les tendances pour cette variable, mais mal pour les autres. En consultant les données, on y constate tout de même que :
- si la part de ces dépenses sur le PIB a augmenté de plus de 85 % entre 1988 et 2006, elle a depuis diminué de plus de 15 %, pour faire diminuer la croissance entre 1988 et 2013 à 56 %;
- la part des dépenses financées par les entreprises sur le PIB (ligne jaune) a plus que doublé (hausse de 135 %) entre 1988 et 2006, a depuis diminué de près de 25 %, pour une croissance de près de 80 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 49 % des dépenses de recherche et développement en 2013, plus qu’en 1988 (44 %), mais moins qu’en 2001 (57 %);
- la part des dépenses financées par le gouvernement fédéral sur le PIB (ligne bleue) a augmenté de 27 % entre 1988 et 2006, a ensuite (depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir) diminué de 18 %, pour une croissance d’à peine 4 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 15 % des dépenses de recherche et développement en 2013, bien moins qu’en 1988 (23 %);
- la part des dépenses financées par le gouvernement provincial sur le PIB (ligne rouge) a augmenté de 10 % entre 1988 et 2006, et davantage par la suite (de 34 %), pour une croissance de 48 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 8 % des dépenses de recherche et développement en 2013, à peine moins qu’en 1988 (9 %);
- la part des dépenses financées par les établissements d’enseignement supérieur sur le PIB (ligne verte) a augmenté de 62 % entre 1988 et 2006 et est ensuite demeurée assez stable (hausse de 3 %), pour une croissance 67 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 18 % des dépenses de recherche et développement en 2013, à peine plus qu’en 1988 (17 %);
- la part des dépenses du financement étranger sur le PIB (ligne rouge vin) a augmenté de 111 % entre 1988 et 2006 et a ensuite diminué de 23 %, pour une croissance 63 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 6 % des dépenses de recherche et développement en 2013, tout comme en 1988.
Notons que je n’ai pas indiqué dans le graphique ni mentionné dans mon analyse les deux autres sources de financement mentionnées par Statistique Canada, soit les secteurs des organismes sans but lucratif et des organismes de recherche provinciaux, car leurs contributions ne sont pas significatives au Québec.
Selon le secteur d’exécution
S’il est intéressant de savoir qui finance la recherche et le développement, il l’est tout autant de savoir qui les réalise.
On peut voir avec ce graphique que les secteurs d’exécution accaparent une proportion différente des dépenses de recherche et développement que les secteurs de financement. Dans ce cas :
- la part des dépenses exécutées par les entreprises sur le PIB (ligne jaune) a augmenté de 105 % entre 1988 et 2006, a depuis diminué de 23 %, pour une croissance de 59 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 56 % des dépenses de recherche et développement en 2013, sans grand changement depuis 1988 (55 %), mais moins qu’en 2001 (65 %); quand on compare avec les dépenses de financement, on s’aperçoit que les entreprises commerciales contribuent davantage à l’exécution de la recherche et du développement qu’à son financement : cela montre qu’elles ne sont pas les seules à financer leurs recherches, la plus grande source extérieure étant le financement étranger;
- la part des dépenses exécutées par le gouvernement fédéral sur le PIB (ligne bleue) a augmenté de 44 % entre 1988 et 2006, a ensuite (depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, j’insiste) diminué de 44 % (on voit le résultat de l’attitude des conservateurs envers les scientifiques du gouvernement fédéral), pour une baisse de 19 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 4 % des dépenses de recherche et développement en 2013, bien moins qu’en 1988 (7 %, et même 9 % en 1989);
- la part des dépenses exécutées par le gouvernement provincial sur le PIB (ligne rouge) a toujours été minime, représentant seulement 1 % des dépenses de recherche et développement en 2013 (2 % en 1988);
- la part des dépenses exécutées par les établissements d’enseignement supérieur sur le PIB (ligne verte) a augmenté de 7 % entre 1988 et 2006, soit beaucoup plus que par la suite (hausse de 4 %), pour une croissance 85 % entre 1988 et 2013; cette part représentait 39 % des dépenses de recherche et développement en 2013, un peu plus qu’en 1988 (33 %); la hausse de la part de l’exécution des dépenses de recherche et développement par ces établissement est un pâle reflet de la tendance à aligner ces recherches sur les besoins des entreprises. Que ce financement vienne des gouvernements, de l’entreprise privée, ou de ses fonds propres, les établissements d’enseignement supérieur se voient forcés d’exécuter une part croissante de leurs activités de recherche à des projets pouvant être commercialisés. Pourtant, les entreprises commerciales ne finançaient que 8,5 % des dépenses d’exécution des établissements d’enseignement supérieur en 2013.
Et alors…
Ce billet nous a permis de voir que, contrairement à ce qu’on peut penser, le Québec consacre une part bien plus importante de son PIB aux dépenses de recherche et développement que le reste du Canada. Cela dit, cette part diminue constamment depuis 2006 (et même depuis 2001 au Canada), tant en raison de la baisse de financement des gouvernements qu’à celle provenant des entreprises commerciales, qui, malgré de nombreuses baisses de leurs impôts, n’investissent pas plus qu’avant en proportion du PIB et même dépensent moins en recherche et développement.
La doctrine d’Harper est ce que l’on ne sait pas ne fait pas mal et pour le reste… il y a la Bible!
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«Et ce n’est pas tout, ajoute M. Turk. En plus de restreindre son financement, le gouvernement a convenu que cet argent serait alloué principalement aux « recherches dites rentables », qui répondent « aux priorités politiques du gouvernement ». Il en a résulté un « déclin de la recherche générale et fondamentale » au profit de « recherches plus ciblées visant l’innovation » et « effectuées en partenariat » avec l’entreprise.»
Cette citation vient d’un article du Devoir que j’aurais cité largement s’il était paru avant que je rédige ce billet! Elle précise et complète à merveille une des questions que j’y soulevais «Que ce financement vienne des gouvernements, de l’entreprise privée, ou de ses fonds propres, les établissements d’enseignement supérieur se voient forcés d’exécuter une part croissante de leurs activités de recherche à des projets pouvant être commercialisés.»
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Dénatalité et vieillissement en Occident depuis 50 ans, développement humain en Indes et en Afrique, épuisement du pétrole et réchauffement de la planète incite au choix en matière de financement de la recherche et développement.
Une baisse n’est pas nécessairement un mauvais choix pour ceux qui viendront après nous.
Ça invite à un horizon sur trois générations. Et là, je n’imagine pas sur trois ans, mais sur 90.
Il paraît que « La où croît le péril… croît aussi ce qui sauve ».
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