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Que faire pour combattre les inégalités? (1)

12 octobre 2015

inégalités_atkinsonDans un billet datant d’un peu plus de six mois, j’ai présenté un texte de Anthony Atkinson contenant 10 propositions pour combattre les inégalités. Je terminais ce billet en disant que ce texte n’était en fait qu’un aperçu d’un livre que publierait Atkinson plus tard en 2015. Ce livre, intitulé Inequality – What is to be done? (Inégalités, que doit-on faire?) est maintenant paru et je me suis bien sûr hâté de me le procurer. Je n’ai même pas attendu qu’il soit traduit! Compte tenu de la richesse de ce livre, je vais lui consacrer trois billets correspondant à chacune de ses trois parties.

Première partie : le diagnostic

Le premier chapitre est consacré à expliquer pourquoi la question des inégalités est si importante :

  • les inégalités des chances et les inégalités de résultats doivent toutes deux être combattues;
  • elles nuisent à la cohésion sociale;
  • elles diminuent le bien-être total d’une société (puisque 1 $ de revenu supplémentaire apporte plus de bien-être à un pauvre qu’à un riche);
  • elles empêchent les personnes les plus pauvres de se réaliser;
  • elles nuisent à la croissance et rendent les crises plus fréquentes et plus fortes (voir ce billet);
  • elles sont de première importance pour la population, même si les économistes orthodoxes en parlent peu ou pas, et ne les trouvent pas dignes d’intérêt;
  • elles ont augmenté rapidement depuis 1980 dans tous les pays industrialisés;
  • il est quasiment impossible de combattre la pauvreté sans aussi lutter contre les inégalités.

Le chapitre se poursuit en catégorisant différents types d’inégalités (de revenus, par ménage, par famille, à l’intérieur des familles, selon la consommation, au cours d’une vie, en tenant compte des biens et services domestiques et publics, etc.) et différentes façons de les comptabiliser. Cette partie fut pour moi très intéressante, mais est un peu trop complexe pour que je puisse la présenter correctement en peu de mots.

Le deuxième chapitre débute en élaborant sur les différentes sources qui peuvent servir à mesurer les inégalités de revenus, de richesse et de santé, leurs différences dans le temps et entre les pays : enquêtes (avec les problèmes de non réponse, de fausses réponses et de représentativité), données fiscales (pas toujours complètes, certaines basées sur les individus, d’autres sur les couples, certaines exclusions, évasion fiscale, etc.), héritages, etc. Cette partie est essentielle pour bien comprendre la portée des données sur les inégalités et pour pouvoir les interpréter correctement.

Ce chapitre aborde ensuite les facteurs qui ont expliqué la baisse des inégalités entre le début du XXème siècle et 1970. Selon les pays, cela a pu être dû :

  • à une augmentation des impôts;
  • aux deux guerres mondiales;
  • à la perte de colonies;
  • à l’inflation (le cas d’espèce étant l’Allemagne, mais qui fut loin d’être le seul pays où l’inflation a réduit les grandes fortunes);
  • à l’amélioration des lois du travail;
  • à l’élection de partis plus à gauche et à l’augmentation des transferts pour les pauvres (par exemple avec le New Deal aux États-Unis);
  • à la plus grande participation des femmes au marché du travail (quoique ce facteur a eu l’effet inverse dans les années 1980, soit de contribuer à l’augmentation des inégalités, notamment en raison de la tendance à l’homogamie, soit de rechercher un conjoint dont le niveau social est équivalent au sien);
  • au financement gouvernemental des soins de santé et de l’éducation (et d’autres services publics);
  • à la baisse du chômage et à la hausse du taux d’emploi (dont celui des femmes, comme mentionné);
  • à la hausse du salaire minimum;
  • à la plus grande présence syndicale;
  • etc.

Par la suite, les inégalités ont augmenté parce que la plupart de ces facteurs se sont inversés, mais aussi en raison de la baisse de la part des salaires dans les revenus (et de la hausse de la part des revenus de capital). Le chapitre suivant étudie ce revirement plus en détail.

Le troisième chapitre est consacré à l’analyse des causes de la hausse des inégalités depuis 1980. En plus de l’inversion des facteurs ayant favorisé sa baisse au cours des décennies précédentes, Atkinson mentionne les facteurs les plus souvent abordés dans la littérature économique :

  • la mondialisation;
  • les changements technologiques;
  • la croissance du secteur financier;
  • l’évolution des normes de paye;
  • la baisse de la présence des syndicats; et
  • la diminution des transferts.

Ces facteurs, souvent considérés comme externes, ne sont en fait pas inévitables, même si on veut souvent nous le faire croire (There is no alternative, ou on n’a pas le choix). La mondialisation résulte en bonne partie d’ententes internationales que les États ont accepté de signer, la hausse du secteur financier s’explique entre autres par la déréglementation (mais aussi pas de nouveaux besoins, notamment pour la retraite), et le tout est une conséquence d’un changement dans les rapports de force. Atkinson fait ensuite le tour de la littérature économique sur ces sujets et la commente.

Ainsi, il n’est pas aussi clair que le prétendent les économistes orthodoxes que la mondialisation et les changements technologiques ont contribué tant que cela à l’augmentation des inégalités (je dois ici omettre la démonstration de l’auteur, un peu longue, mais très pertinente). Disons seulement que plutôt d’être une conséquence de l’augmentation de la différence entre les salaires versés aux employés selon le niveau de compétence (ou de scolarité), la hausse des inégalités salariales résulterait davantage de l’abandon graduel de normes de paye (comme les échelles salariales fixes), associée (mais pas uniquement) à la baisse de la syndicalisation, et de l’adoption croissante de l’utilisation des caractéristiques personnelles des employés pour différencier les salaires versés. Il ajoute que les inégalités n’ont pas seulement augmenté en raison de la baisse de la présence des syndicats (taux de syndicalisation), mais aussi de la diminution de leur influence politique et de la plus grande sévérité des lois et règlements les encadrant (comme j’en ai parlé dans ce billet). Par contre, il est impossible de quantifier l’impact de ces deux derniers facteurs à l’aide de modèles mathématiques.

L’auteur poursuit en distinguant le capital de la richesse, une des grandes confusions dans le titre du célèbre livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIème siècle, qui parlait en fait de richesse (ou de patrimoine) et non de capital. Si Piketty a bien montré les inégalités énormes dans les richesses, Atkinson explique qu’elles sont encore plus grandes quand on ne considère que le capital, soit les moyens de production. Non seulement la propriété des moyens de production est plus inégale, mais ce sont ses propriétaires qui prennent toutes les décisions de production.

Et alors…

Ce tour d’horizon des facteurs qui influencent l’évolution des inégalités était nécessaire pour bien définir les enjeux et pour pouvoir y faire face. Il servira grandement quand Atkinson présentera ses propositions pour lutter contre les inégalités, ce que nous verrons dans le prochain billet.

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