La militarisation de la gestion policière des manifestations
Lesley J. Wood, l’auteure de Mater la meute. La militarisation de la gestion policière des manifestations, vise avec ce livre à démontrer que le durcissement de la gestion policière des manifestations «est tributaire de la transformation néolibérale des systèmes politique, social et économique, et de l’influence de ces derniers sur les organisations policières et leurs processus décisionnels».
Introduction
L’auteure présente en introduction le contexte de la rédaction de ce livre (dont son objectif mentionné plus tôt) et poursuit en décrivant l’historique bien différent de la création des corps policiers selon les pays, parfois pour protéger le pouvoir des dirigeants, d’autres fois pour protéger les capitalistes (et contrer la résistance des ouvriers) ou le pouvoir colonial. Elle aborde ensuite la culture policière (et son évolution depuis les années 1990) et l’utilisation de nouveaux équipements plus violents (gaz poivre, balles de plastique, grenades sonores, etc.). Elle termine cette introduction en présentant le contenu des chapitres suivants.
Les chapitres
Dans le premier chapitre, l’auteure raconte l’historique de l’utilisation des armes sublétales (gaz poivre, Taser, balles de caoutchouc, grenades incapacitantes, canons à son, gaz lacrymogène, etc.) pour «compléter» l’arsenal servant au contrôle des manifestations entre la matraque et les armes à feu. Conçues pour n’être utilisées que dans des cas exceptionnels, ces armes sont graduellement devenues des «outils» banalisés pour le contrôle de manifestations. Elle poursuit en expliquant l’adoption de «nouvelles tactiques» de contrôle des manifestations : clôtures, encerclements et souricières, arrestations préventives, infiltrations, propagande (présenter les manifestants comme des «casseurs», par exemple), tactiques qui deviennent trop souvent routinières.
Dans le deuxième chapitre, l’auteure observe que, pendant que les dépenses sociales et la criminalité diminuent, les effectifs policiers, tant au Canada qu’aux États-Unis, tendent à se maintenir ou même à augmenter. Elle en vient à se demander qui les policiers protègent et servent. Elle élabore ensuite sur l’évolution des tactiques policières d’une ville à l’autre.
Dans le troisième chapitre, l’auteure analyse l’impact de la structure et des relations entre les policiers et les dirigeants politiques, les syndicats policiers et les groupes de citoyens de quatre corps policiers sur leurs tactiques d’intervention et de contrôle lors de manifestations.
Dans le quatrième chapitre, l’auteure examine le processus d’adoption de nouvelles armes sublétales en se penchant en particulier sur la croissance de l’utilisation du gaz poivre. Si les plaintes et réactions lors de conséquences tragiques de l’utilisation d’armes à feu ont parfois favorisé cette adoption, bien d’autres facteurs sont entrés en jeu (dont des pots de vin des fournisseurs de ces armes, l’identification des policiers à une culture parallèle, etc.).
Dans le cinquième chapitre, l’auteure montre que l’appartenance à cette culture parallèle s’est mondialisée et s’est développée en tenant compte des «bonnes pratiques» développées et appliquées dans d’autres pays, tendance qui favorise le secteur privé (ce qui est une manifestation de la montée du néolibéralisme). Cette mondialisation se concrétise notamment par l’organisation de colloques par des associations internationales regroupant des corps policiers de nombreux pays, colloques au cours desquels on présente des études sur les «bonnes pratiques» et où les entreprises qui produisent les armes sublétales en profitent pour vanter leurs nouveaux produits (finançant parfois ces colloques en échange de périodes et d’endroits pour exposer ces produits).
Dans le sixième chapitre, l’auteure avance que, en associant de plus en plus les manifestations à des facteurs de risque et de menace, «ces activités se voient placées dans la même catégorie que le terrorisme, la guerre et les crimes avec violence». Cette perception fait en sorte que «les questions de sécurité ont désormais préséance sur le système judiciaire, les libertés civiles et les droits de la personne». Je tiens à préciser que, face à la rigueur de la démonstration de l’auteure, ses affirmations ne sont nullement exagérées, notamment en raison des lois adoptées aux États-Unis et ensuite au Canada qui assimilent au terrorisme des actes qui mettent en danger la vie humaine lorsque leur objectif est d’influencer les décisions gouvernementales «par l’intimidation ou la coercition». Cela ne semble peut-être pas le cas des manifestations sociales, mais, cela ouvre la porte aux interprétations policières dans ce sens…
Dans le septième chapitre, l’auteure s’attarde sur une des légendes urbaines les plus tenaces, soit l’utilisation de pistolets à eau par les manifestants pour asperger d’urine (ou d’eau de javel) les membres des corps policiers, alors qu’aucune preuve n’appuie cette affirmation et que, au contraire, certains responsables de la propagation de cette rumeur ont avoué n’avoir jamais été témoin d’une telle utilisation.
Dans le huitième chapitre (qui est aussi la conclusion), l’auteure évalue la portée et les limites de «nouvelles campagnes pour l’obligation de rendre des comptes» à la police. Par exemple, un manque de collaboration avec la police peut suffire pour que celle-ci déclare une manifestation illégale et procède à des arrestations, ou utilise avec encore plus de précipitation des armes sublétales.
Cette conclusion est suivie d’une annexe de Mathieu Rigouste qui reprend les arguments et faits présentées par Lesley Wood pour montrer que son analyse correspond aussi à celle vécue en Europe, surtout en France, malgré de nombreuses spécificités. Il élabore ensuite davantage que ne l’a fait Lesley Wood sur le lien entre le néolibéralisme et la militarisation des tactiques policières. Ce texte, quoique intéressant sur certains aspects, rompt toutefois abruptement avec le style du reste du livre, étant bien plus militant dans son langage.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? En pensant à la réponse que je donnerais à cette question, j’ai dû changer d’idée une dizaine de fois au cours de la lecture de ce livre. D’un côté, j’ai nettement préféré sur le même thème le livre À qui la rue ? Répression policière et mouvements sociaux (que j’ai commenté dans ce billet). De l’autre, ce livre se lit bien (même si les répétitions sont nombreuses) et aborde ce thème d’un angle tout à fait différent. Il est aussi très bien documenté, comme le montrent les très nombreuses notes mises à la fin (heureusement, la grande majorité de ces notes sont des références et non des compléments d’information).
Au bout du compte, c’est, comme toujours, à vous de décider si ce thème vous intéresse assez pour lire ce livre!
En lisant cette nouvelle (Des extrémistes pourraient infiltrer des manifestations pacifiques, voir http://www.lapresse.ca/actualites/national/201512/06/01-4928347-des-extremistes-pourraient-infiltrer-des-manifestations-pacifiques.php), j’ai tout de suite pensé à la partie du livre qui décrit «l’adoption de «nouvelles tactiques» de contrôle des manifestations : (…) propagande (présenter les manifestants comme des «casseurs», par exemple), tactiques qui deviennent trop souvent routinières».
On tente ainsi de faire diminuer la participation aux manifestations et à justifier des interventions «musclées». Est-ce le cas ici? Ça ressemble à ça!
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