La religion et les écarts de salaires entre les hommes et les femmes
Décidément, les études portant sur les femmes se succèdent dans mes lectures! Celle que je vais présenter dans ce billet est tout particulièrement originale et intéressante. Intitulée Religion and the Gender Wage Gap: A U.S. State-Level Study (La religion et les écarts de salaires entre les hommes et les femmes: Une étude au niveau des États des États-Unis), cette étude de Travis Wiseman et Nabamita Dutta, comme l’indique son titre, tente de déterminer si la religion joue un rôle dans les écarts de salaires entre les hommes et les femmes.
Introduction
Depuis quelques années, de plus en plus de chercheur.e.s étudient l’impact économique des «règles du jeu» imposées par les institutions sociales et culturelles, les traditions et les codes de conduite particuliers à chaque société. Dans cette étude, les auteur.e.s ont choisi l’institution religieuse comme exemple de ces règles. Leur hypothèse de départ est que la religion est un des facteurs qui déterminent le rôle des femmes dans la société, et que cet effet est commun à toutes les religions. Une citation de l’ex-président des États-Unis Jimmy Carter a bien expliqué leur hypothèse en 2009 lors d’un discours prononcé devant le Parliament of the World’s Religions (Parlement mondial des religions) :
«[traduction] Ce point de vue que le Tout-Puissant considère que les femmes sont inférieures aux hommes ne se limite pas à une religion ou à une tradition. Son influence ne se limite pas aux murs d’une église, d’une mosquée, d’une synagogue ou d’un temple. De nombreuses religions empêchent les femmes de jouer un rôle à part entière et d’être égales, créant un environnement dans lequel les violations contre les femmes sont justifiées.»
Tiens, voilà un ex-président des États-Unis qui remonte dans mon estime! Les auteur.e.s citent ensuite d’autres études prétendant que non seulement les hommes religieux peuvent tendre à considérer les femmes inférieures, mais que les femmes religieuses peuvent aussi accepter ce rôle et seraient donc susceptibles d’accepter des salaires inférieurs. Même si ces tendances ont sûrement perdu de leur ampleur de nos jours dans les pays industrialisés, comme aux États-Unis, les auteur.e.s considèrent qu’il vaut la peine de tester s’il y a un lien entre le niveau de croyances religieuses et les écarts de salaires entre les hommes et les femmes.
Méthode
Pour tester leur hypothèse, les auteur.e.s comparent le niveau de croyance religieuse dans chacun des États des États-Unis selon les résultats d’enquêtes sur le sujet avec le niveau d’inégalités des salaires de ces mêmes États. Ils ne conservent que les réponses extrêmes aux questions sur la religion, soit la proportion des populations qui considèrent que la religion est «très importante» ou «pas du tout importante», ainsi que celle des populations qui considèrent que les Saintes Écritures doivent être interprétées littéralement comme étant «la parole de Dieu» et celle des populations qui prétendent que ces textes ne sont pas la parole de Dieu (on ne tient pas compte des réponses intermédiaires). Ils testent ainsi les réponses de cinq questions portant sur ces deux thèmes.
Les auteur.e.s associent ces proportions au niveau d’écarts entre les salaires des hommes et des femmes, en les pondérant en fonction de différents facteurs qui influencent ces écarts selon les études consultées, soit la proportion :
- de personnes âgées de 35 à 64 ans qui travaillent à temps plein et à l’année;
- de diplômé.e.s universitaires;
- de femmes mariées;
- de femmes occupant des emplois dans le domaine de la santé (car les écarts salariaux entre les hommes et les femmes sont moindres dans ce secteur);
- d’immigrant.e.s;
- de personnes âgées de 65 ans et plus;
- d’Hispaniques et de Noir.e.s;
- de personnes vivant dans des milieux urbains;
et :
- la densité de la population;
- le PIB par personne;
- le nombre moyen d’années des femmes sur le marché du travail;
- la qualité des institutions, soit le résultat de l’indice de liberté économique (soit la taille du gouvernement, le poids des taxes et des impôts, et la «liberté» sur marché du travail…).
Résultats
Le graphique qui suit montre le résultat pour une des cinq questions, mais sans tenir compte des facteurs que je viens de mentionner. Notons que les graphiques liés aux quatre autres questions sont presque identiques (voir aux quatorzième et quinzième pages de l’étude). Il n’est donc pas nécessaire que je les montre tous.
Le graphique de gauche montre que plus la croyance en Dieu est forte, plus élevé est l’écart des salaires entre les hommes et les femmes. Celui de droite montre l’inverse, et de façon encore plus accentuée : moins on croit en Dieu, moins ces écarts sont importants. On remarquera peut-être la position du Vermont (VT), État le moins croyant et où les écarts de salaires entre les hommes et les femmes sont parmi les plus bas. Ah oui, et c’est l’État que Bernie Sanders représente au Sénat…
Les auteur.e.s calculent ensuite l’impact de cette relation en tenant compte des facteurs mentionnés plus tôt. En moyenne, quand la proportion de la population d’un État qui croit en Dieu est plus élevée d’un point de pourcentage que celle d’un autre État, l’écart des salaires entre les hommes et les femmes sera plus élevé de 0,3 point de pourcentage.
Et alors…
Ainsi, une différence croyance de 20 points de pourcentage ferait varier l’écart des salaires entre les hommes et les femmes de six points de pourcentage (0,3 x 20 = 6) et une différence de 50 points de pourcentage le ferait varier de 15 points. Comme la moyenne de ces écarts est d’environ 20 points de pourcentage, les croyances religieuses sont loin d’être un facteur négligeable pour expliquer le maintien des écarts des salaires entre les hommes et les femmes. Quand on y pense, ce lien semble évident, mais, avant de lire cette étude, je n’aurais jamais pensé qu’il était aussi important!
Très éclairante …désolant.
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Merci de l’analyse! J’avoue malheureusement ne pas être surprise….(Grand soupir)
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Moi non plus, mais de l’ampleur de cet impact, oui!
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