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Mettre un prix sur le carbone

30 avril 2016

prix_carboneJe suis en général plus attiré par les études que par les textes d’opinion. Mais, j’ai tellement apprécié une série de deux articles que j’ai lue récemment que je vais les présenter dans ce billet. Le premier de ces textes de David Roberts est intitulé Putting a price on carbon is a fine idea. It’s not the end-all be-all – Three reasons to temper your enthusiasm (Mettre un prix sur le carbone est une bonne idée. Elle est toutefois loin d’être la fin de l’histoire – Trois raisons de tempérer votre enthousiasme). Avant même de lire ce texte, j’étais séduit par le titre!

Les économistes aiment bien les taxes sur le carbone…

La plupart des économistes prétendent que la meilleure façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et de lutter contre le réchauffement climatique est de mettre un prix sur le carbone. Non seulement ont-ils réussi à convaincre bien des politiciens, mais aussi un grand nombre de militants environnementalistes. L’auteur avance que si cette solution est pertinente, elle doit être accompagnée d’autres mesures, soit de règlements et d’investissements, si on veut vraiment réussir une transition vers l’utilisation de sources d’énergie véritablement durables.

Il y a deux façons de mettre un prix sur le carbone : imposer des taxes sur les produits qui en émettent, comme le fait la Colombie-Britannique, ou créer un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE), comme le fait le Québec. De façon à simplifier son exposé, l’auteur n’analysera que les taxes sur le carbone, car ses arguments seraient les mêmes pour les SPEDE.

Si la plupart des économistes aiment ces taxes, c’est tout d’abord parce qu’ils aiment les solutions qui reposent sur le marché. Ensuite, les externalités négatives, soit les désavantages qu’un marché ne peut pas tenir en compte (comme la pollution), sont une des principales défaillances des marchés. Et, la plupart des économistes n’aiment pas que les marchés aient des défaillances (OK, tout cela n’est pas dans cet article!). Une taxe sur le prix du carbone (taxe dite pigousienne) donne l’impression que, avec elle, la défaillance polluante est maintenant internalisée dans le marché et tout est bien, car le marché impose un prix qui compense les conséquences de la pollution. Mais, à quel niveau faut-il mettre une taxe pour rendre acceptables les effets des changements climatiques? L’infini, peut-être (ça non plus, ce n’est pas dans l’article…)?

Cela dit, l’auteur émet trois réserves sur l’efficacité des taxes sur le carbone :

  • Les gouvernements et le néolibéralisme : On a tellement dénigré l’action gouvernementale aux États-Unis (ici aussi, mais beaucoup moins) depuis 40 ans, tant chez les républicains que chez les démocrates, que toute intervention réglementaire serait contestée par la population. Or, une taxe conçue sur les vertus du marché ne sera jamais suffisante pour replacer les habitants de Miami quand cette ville sera engloutie en raison du rehaussement du niveau des océans dû au réchauffement climatique…
  • Il n’y a pas de libre-marché : Même si on croyait que le libre-marché permet vraiment une meilleure allocation des ressources que l’action gouvernementale, ce ne serait pas évident que ce principe s’appliquerait au marché de l’énergie. En effet, les émissions de GES sont loin d’être la seule défaillance de ce marché qui se distingue par ses nombreux monopoles et oligopoles, par une réglementation importante, par des activités polluantes, par une information incomplète, par la difficulté d’entrer sur ce marché et par des subventions coûteuses. Alors, comment penser que les mécanismes du marché, même si on y croyait, pourraient produire les résultats attendus?
  • La réduction des émissions de GES est insuffisante : Pour atteindre l’objectif d’un réchauffement inférieur à deux degrés, et encore plus si on est sérieux de vouloir le limiter à 1,5 degré, les émissions de GES doivent être réduites énormément, voire être éliminées, et ce, le plus rapidement possible. Mais, une taxe sur le carbone peut-elle être suffisante pour atteindre cet objectif? L’histoire ne nous offre aucun exemple du genre. Les seuls changements qui sont survenus dans le domaine de l’énergie proviennent tous d’innovations permettant l’utilisation d’autres sources, mais aucun d’une hausse de prix d’une source existante. Or, les dernières innovations dans le domaine ne vont pas toutes dans ce sens. En effet, ce sont des innovations qui permettent la production de pétrole de schiste (par la fracturation hydraulique) ou d’exploiter les sables bitumineux, deux sources qui émettent encore plus de GES que le pétrole conventionnel.

Les gouvernements ne peuvent donc pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Si une taxe sur le carbone peut aider, les gouvernements doivent en plus prendre d’autres mesures, notamment encourager la recherche et les investissements dans des sources moins ou pas émettrices de GES, et ne pas hésiter à interdire les sources les plus émettrices. Non, il n’y a pas de solution facile dans ce domaine…

Les obstacles politiques

Dans son deuxième texte, intitulé The political hurdles facing a carbon tax — and how to overcome them (Les obstacles politiques face à une taxe sur le carbone – et comment les surmonter), David Roberts prend pour hypothèse qu’une taxe sur le carbone, établie selon le coût social du carbone (CSC), est la politique la plus efficace pour réduire les émissions de GES suffisamment pour limiter le réchauffement climatique à moins de 2 degrés.

En général, les taxes sur le carbone existantes sont trop basses. Plus de la moitié d’entre elles n’atteignent même pas le tiers du niveau des estimations du CSC (coût social du carbone) calculées en 2011, estimations rehaussées en 2015. En fait, seule la Suède l’a établie à un niveau dépassant la moitié de ces estimations optimistes. Quant à moi, je l’ai dit plus tôt, ce CSC devrait tendre vers l’infini, les taxes sur le carbone n’étant qu’un outil pour inciter les consommateurs à délaisser cette source d’énergie. Mais, bon, passons…

Par contre, même si cette mesure était la meilleure, était à un niveau «suffisant» et permettait d’atteindre ses objectifs, elle ferait face à des problèmes politiques majeurs. L’auteur en aborde trois :

  • Les effets régressifs des taxes : Comme cette taxe serait très régressive, elle coûterait proportionnellement beaucoup plus cher aux ménages à faibles revenus. Cette caractéristique a souvent été utilisée comme argument pour contrer les tentatives précédentes d’imposition de taxes pigousiennes.
  • La volonté de payer : Selon de nombreux sondages, la limite que les ménages affirment être prêts à payer se situe autour de 10 $ la tonne de GES, somme bien trop basse pour avoir le moindre impact sur les émissions de GES et nettement inférieure à toute évaluation du CSC.
  • L’opposition des groupes d’intérêt : Les sociétés du secteur de l’énergie sont grosses et puissantes, et forment un lobby influent.

Et ces obstacles politiques sont loin d’être les seuls. L’auteur mentionne ici la question de l’utilisation des revenus provenant de cette taxe :

  • Compenser la taxe du carbone par des baisses de taxes et d’impôt : C’était la proposition du «tournant vert» de Stéphane Dion, qui parlait de la neutralité de cette taxe. Mais, comme le dit l’auteur, si le revenu de cette taxe vient proportionnellement plus des pauvres et sert ensuite à diminuer les impôts des particuliers ou des sociétés (ce qui profite davantage aux plus riches), elle deviendra doublement régressive! Cette solution a été appliquée en Colombie-Britannique. Si les émissions de GES ont diminué pendant un temps, elles sont reparties en hausse rapidement. Et, elles ont en fait diminué davantage en Ontario, province qui a plutôt utilisé ses pouvoirs de réglementation pour interdire les centrales électriques utilisant du charbon.
  • Rembourser les consommateurs : Certains proposent de rembourser les consommateurs avec un montant égal remis à chaque personne (un genre de revenu de base). Ils prétendent que cette utilisation des revenus devrait convaincre la population d’accepter les taxes sur le carbone. Ce raisonnement semble se tenir, mais, malheureusement pour eux, les sondages montent que cette solution est rejetée par la majorité de la population. En fait, la façon d’utiliser les revenus d’une telle taxe la plus favorisée par la population est de les investir dans des programmes finançant les sources d’énergie renouvelables, comme l’éolien et le solaire (appui de 60 % de la population).

Que faire alors?

Comme mentionné plus tôt, c’est en jumelant des taxes sur le carbone (ou des SPEDE), des investissements dans le développement de sources d’énergie renouvelables (et dans des transports collectifs, ai-je le goût d’ajouter) et une réglementation sévère qu’on peut espérer le plus grand appui de la population et les résultats les plus intéressants pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le fameux SPEDE appliqué par la Californie et le Québec ne semble donner aucun résultat appréciable. Même la taxe sur le carbone plus élevée en Suède qu’ailleurs ne semble pas efficace, la réduction des émissions de GES de ce pays (et des autres pays scandinaves) provenant essentiellement de la réglementation adoptée dans ces pays.

Et alors…

Ces deux textes de David Roberts montrent à quel point le Québec et le Canada font fausse route en basant leur politique de lutte au réchauffement climatique en premier lieu sur leurs taxes sur le carbone et autres SPEDE. Cela ne veut pas dire qu’on doive s’opposer nécessairement à ces mesures, mais qu’on doit faire des pressions pour que nos gouvernements en adoptent d’autres. Pendant que nos premiers ministres se pavanaient avec leurs oripeaux de militants environnementalistes à Paris, ils avaient financé l’usine la plus polluante et la plus émettrice de GES du Québec et appuyé la construction d’un pipeline qui permettra l’exploitation du pétrole le plus émetteur de GES du monde. Et ils continuent à lancer des objectifs irréalistes de réduction de ces émissions croyant innocemment, ou faisant semblant de croire, que leurs petites taxes et leur SPEDE permettront d’atteindre ces objectifs même pas ambitieux. En fait, nos rois sont nus…

2 commentaires leave one →
  1. Gaetan Provencher permalink
    1 Mai 2016 18 h 09 min

    Bonjour Darwin et Jeanne 😉

    J’aimerais savoir si vous avez jeté un coup d’oeil sur les problèmes des pharmaciens. On parle fermetures, une poignée de pharmacies au QC, de plus de 1000 postes disparus, c’est du monde, etc. J’ai de la misère avec ce dossier. J’ai connu, comme vous probablement, des pharmaciens millionnaires. Si je ne me trompe pas, faut acheter le territoire d’un pharmacien pour ouvrir une nouvelle pharmacie, fait penser aux licences de taxis 😛 Ils ont des gros inventaires d’épicerie et autres cochonneries, ça peut-être pas facile à soutenir. C’est quoi la densité de pharmacies au kilomètre carré, en ville, en région. Je crois que beaucoup d’informations sont cachés, des tous les côtés, et ça rend le dossier nauséeux.

    Je contacte quelques personnes pour savoir s’il y a une étude sérieuse à quelque part. Peut-être qu’Enquête devrait y mettre son nez.

    Merci et au plaisir continu de lire vos chroniques.

    Gaetan Provencher

    Trois-Rivières

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  2. 2 Mai 2016 5 h 58 min

    Je suis le domaine des professions de prêt depuis longtemps et n’ai jamais entendu parler de ce que vous dites (territoire, informations cachées, etc.). Quant aux emplois perdus, je demeure sceptique. Peut-être y a-t-il des baisses d’heures d’ouverture, mais 1000 emplois de pharmaciens (et d’assistants techniques), c’est énorme.

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