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À qui profiterait une hausse du salaire minimum?

4 mai 2016

Salaire minimumLa plus grande erreur que font les gens qui prétendent qu’une hausse du salaire minimum ne peut pas avoir d’impact important sur la pauvreté est de penser que cette hausse n’avantagerait que les personnes qui le touchent actuellement. Ils poursuivent en mentionnant que les personnes qui touchent le salaire minimum sont en majorité des jeunes et des étudiants qui vivent chez leurs parents (données canadiennes qui commencent à dater, mais qui sont sûrement encore pertinentes). Or, une hausse importante, comme celle qui le ferait passer à 15,00 $, ne ferait pas augmenter seulement le salaire des personnes qui le touchent actuellement, mais aussi celui des personnes qui gagnent entre le salaire minimum actuel et 15,00 $ de l’heure ainsi que de la plupart de celles gagnant jusqu’à au moins 17,00 $ de l’heure pour que leurs salaires puissent demeurer supérieurs au salaire minimum.

Est-ce que les caractéristiques de ces personnes sont les mêmes que celles des personnes qui touchent le salaire minimum? Pour répondre à cette question, je vais utiliser les données du Tableau 2 de la page 3 d’un document de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) paru juste avant la hausse du salaire minimum de mai 2015. J’aurais probablement dû en parler l’an passé, mais disons que c’était moins pertinent à ce moment-là, car les revendications de hausse du salaire minimum n’atteignaient pas leur niveau actuel.

Caractéristiques des personnes gagnant entre 10,35 $ et 15,51 $ de l’heure

Ce document présente au Tableau 2 certaines caractéristiques des personnes gagnant en 2014 :

  • le salaire minimum, soit 10,35 $;
  • entre 100 % et 104,9 % du salaire minimum, soit entre 10,35 $ et 10,86 $;
  • entre 105 % et 109,9 % du salaire minimum, soit entre 10,86 $ et 11,37 $;
  • entre 110 % et 124,9 % du salaire minimum, soit entre 11,37 $ et 12,93 $;
  • entre 125 % et 149,9 % du salaire minimum, soit entre 12,93 $ et 15,51 $;
  • au moins 150 % du salaire minimum, soit plus de 15,51 $.

Cette division est tout à fait pertinente pour connaître les caractéristiques des gens qui seraient avantagés par une hausse du salaire minimum à 15,00 $ de l’heure immédiatement (revendication de la Coalition contre le travail précaire), en 2018 (proposition de QS) ou en 2021 ou 2022 (demande des syndicats), car le montant de 15,51 $ en 2014 correspond à environ 16,00 $ en 2016, à 16,65 $ en 2018 et à 17,65 $ en 2021 (en appliquant l’inflation de 1,1 % observée en 2015 et en prévoyant celle des années suivantes à 2,0 % par année). Pour alléger les graphiques, j’indiquerai les montants maximaux des fourchettes de salaires sur le tableau et les graphiques qui suivent.

Proportion des salariés par tranches de bas salaires

Salaire minimum1

Ce tableau indique les pourcentages de salariés dans chacune des fourchettes. On y apprend surtout que près de 30 % des salariés touchaient moins de 15,52 $ en 2014. C’est donc à peu près la proportion des salariés qui seraient avantagés par une hausse du salaire minimum à 15,00 $ de l’heure. Cette proportion pourrait être un peu plus élevée si cette hausse était appliquée immédiatement, serait assez juste si elle voyait le jour en 2018 et un peu inférieure si elle n’entrait en vigueur qu’en 2021 ou 2022. Chose certaine, cette proportion est environ cinq fois plus élevée que celle des salariés touchant exactement le salaire minimum (6 %, tout comme en 2015). L’étude précise que cette proportion (29,6 %) représentait plus de 1 million de salariés en 2014 (1,036 million, pour être plus précis). On remarquera que c’est dans la fourchette des salariés gagnant entre 12,93 $ et 15,51 $ qu’on en trouve le plus, soit plus de 10 % d’entre eux.

Proportion des femmes selon le niveau salarial

Salaire minimum2Le graphique ci-contre montre la proportion de femmes dans les différents niveaux de salaires considérés. J’ai été un peu surpris de constater qu’elles étaient en 2014 majoritaires dans chacune des tranches de salaires inférieures à 15,52 $, et encore plus que leur proportion soit encore plus élevée dans les tranches de salaires un peu plus élevées que le salaire minimum que parmi les personnes touchant exactement le salaire minimum. Par contre, sans surprise, elles sont bien moins nombreuses parmi les salariés gagnant plus de 15,51 $ (46,3 %, moins que leur proportion parmi tous les salariés, soit 49,5 %).

Proportion de salariés selon la tranche d’âge et le niveau salarial

Salaire minimum3Il est bien normal qu’on trouve davantage de jeunes âgés de 15 à 24 ans chez les personnes qui touchent le salaire minimum, aussi bien parce qu’ils sont plus présents dans les emplois d’entrée sur le marché du travail que parce qu’une grande partie d’entre eux travaillent à temps partiel tout en étudiant à temps plein. Le graphique ci-contre montre qu’ils (barres bleues) étaient également majoritaires dans les emplois dont le salaire est seulement un peu plus élevé que le salaire minimum (entre 10,35 $ et 10,86 $ de l’heure), mais que leur proportion baisse grandement quand le salaire horaire augmente. Ainsi, ils occupaient le deuxième rang, loin derrière les personnes âgées de 25 à 44 ans, dans les emplois dont le salaire horaire se situait entre 12,93 $ et 15,51 $ et n’étaient plus que 5,6 % dans les emplois dont le salaire horaire atteignait plus de 15,51 $ (alors qu’ils représentent 16 % des salariés). On voit donc que ces jeunes seraient ceux qui bénéficieraient le plus d’une hausse du salaire minimum à 15,00 $ de l’heure, mais qu’ils ne seraient pas majoritaires parmi les personnes qui en profiteraient (40,5 %).

Proportion de salariés selon la scolarité et le niveau salarial

Salaire minimum4Les caractéristiques de l’ensemble des personnes qui bénéficieraient d’une hausse du salaire minimum varient beaucoup moins qu’on pourrait le penser quand on examine leur scolarité et qu’on la compare à celle des personnes qui touchent le salaire minimum.

Ainsi, la proportion de personnes possédant un diplôme postsecondaire (barres jaunes) variait très peu en fonction du salaire, se situant dans toutes les fourchettes de salaires entre 47 % (les personnes au salaire minimum) et 52 % (personnes gagnant entre 12,93 $ et 15,51 $ de l’heure). La différence la plus grande s’observait chez les titulaires d’un diplôme universitaire (barres vertes). Alors que 9 % des personnes touchant le salaire minimum avait un tel diplôme, ce n’était le cas que de 5 % des personnes gagnant entre 10,35 $ et 10,86 $ de l’heure, mais de 13 % des personnes gagnant entre 12,93 $ et 15,51 $ de l’heure et surtout de 30 % de celles gagnant plus de 15,51 $ de l’heure. De façon un peu moins marquée, on observait aussi une proportion nettement plus faible de personnes ayant moins d’un diplôme d’études secondaires (barres bleues) chez les personnes gagnant entre 12,93 $ et 15,51 $ de l’heure (16 %) que chez celles touchant le salaire minimum (23 %). Et cette proportion chutait à 7 % chez celles gagnant plus de 15,51 $ de l’heure.

Proportion de salariés avec enfant(s) selon le niveau salarial

Salaire minimum5On entend souvent dire que peu de personnes au salaire minimum ont des responsabilités familiales. Le graphique ci-contre montre que cette situation varie passablement pour l’ensemble des personnes qui bénéficieraient d’une hausse du salaire minimum à 15,00 $ de l’heure. Ainsi, la proportion de salariés ayant au moins un enfant passait en 2014 de 16 % chez les personnes touchant le salaire minimum (proportion non négligeable atteignant plus de 40 % de la moyenne de l’ensemble des salariés, soit 38,6 %) à 31 % chez les personnes qui gagnaient entre 12,93 $ et 15,51 $, soit près du double. Sans surprise, cette proportion (45 %) est nettement plus élevée chez celles gagnant plus de 15,51 % (et qui ne bénéficieraient pas d’une hausse du salaire minimum), mais la différence est moindre que ce qu’on pourrait croire, soit moins du double de celle (23 %) observée chez les salariés qui bénéficieraient de la hausse du salaire minimum (soit les personnes gagnant moins de 15,52 $).

Proportion de salariés travaillant à temps partiel selon le niveau salarial

Salaire minimum6La plus forte corrélation entre le niveau de salaire et les caractéristiques présentées dans le document de l’ISQ s’observe du côté du travail à temps partiel. Alors que 60 % des personnes touchant le salaire minimum travaillaient à temps partiel en 2014, ce n’était le cas de seulement 24 % (guère plus que la moyenne de 19,5 % pour l’ensemble des salariés) de celles gagnant entre 12,93 $ et 15,51 $ de l’heure, et d’à peine 11 % des personnes gagnant plus de 15,51 $ de l’heure.

En moyenne, environ 40 % des personnes gagnant moins de 15,52 $ travaillaient à temps partiel. Cette donnée est ironique, car pour estimer à quel niveau le salaire minimum doit se situer pour sortir une personne d’une situation de faible revenu, on multiplie le salaire minimum par 35 ou 40 heures, alors que seulement 40 % des personnes touchant le salaire minimum travaillaient au moins 30 heures par semaine (limite utilisée par Statistique Canada pour considérer un emploi à temps plein) et que ce n’était le cas que de 60 % de l’ensemble des personnes gagnant moins de 15,52 $. Par contre, cette donnée montre que la proportion d’étudiants à temps plein doit être relativement faible parmi les personnes qui bénéficieraient d’une hausse du salaire minimum, car environ 95 % des étudiants travaillent à temps partiel.

Et alors…

Ce billet nous a permis de constater que les caractéristiques de l’ensemble des personnes qui bénéficieraient d’une hausse du salaire minimum sont sur certains des aspects bien différentes de celles des personnes qui touchent actuellement le salaire minimum. Cette constatation montre que cette hausse aiderait bien plus de familles avec enfants que ne le prétendent les détracteurs de cette hausse ainsi qu’une majorité de personnes âgées de 25 ans et plus. Il est donc indéniable qu’une telle hausse ferait diminuer de façon significative la pauvreté et, autre avantage jamais nié (à ma connaissance), les inégalités.

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5 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    4 mai 2016 7 h 58 min

    Encore une fois tu fais avancer le débat en jetant un nouvel éclairage sur une situation que tout le monde pense bien connaître . Je fais suivre au plus grand nombre de personnes possible. Merci.

    Aimé par 1 personne

  2. 4 mai 2016 8 h 33 min

    Merci!

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  3. Robert Lachance permalink
    19 octobre 2016 13 h 40 min

    Après une longue absence justifiée, je suis venu relire en marge de ce qui s’annonce dans la partielle de Verdun, un questionnement sur le salaire minimum à 15 $ pour 2022 tant que la mesure aurait plus d’effets positifs que négatifs.

    Le PQ serait à la recherche d’un candidat indépendant compétent sur cette question et sur le scrutin en mode proportionnel. je ne niaise pas avec la rondelle, Jean-François est en feu !

    Vous avez une meilleure suggestion que vous ?

    http://pq.org/video/election-partielle-dans-verdun-le-chef-du-parti-qu/

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  4. 19 octobre 2016 15 h 06 min

    Je suis au courant, mais je me refuse à écrire sur ce sujet.

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