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La rémunération des médecins en 2014-2015

11 Mai 2016

(Note : Ce texte a été mis à jour en septembre 2018, dans un billet qui contient deux ans de plus de données et en juin 2022 dans un billet qui contient des données jusqu’en 2020-2021.)

***

rémunération des médecinsLe billet qui a été le plus vu depuis la création de ce blogue (vu plus de 37 500 fois) portait sur la rémunération des médecins. Même s’il date de près de deux ans, il se retrouve encore presque tous les jours dans les 10 billets les plus vus. Comme j’ai appris la semaine dernière (voir cet article de La Presse) que la Commission de la santé et des services sociaux (CSSS) venait de publier des données plus récentes sur la rémunération des médecins, je me suis dit que ce serait une bonne idée de mettre à jour ce billet.

Comme pour le billet précédent, j’utiliserai :

  • les documents produits dans le cadre de l’étude des crédits du gouvernement par la CSSS, plus spécifiquement ceux de 2010-2011 (pages 118 et 119) et de 2016-2017 (pages 149 et 150);
  • les échelles salariales des membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) couvrant les périodes de 2007 à 2009 et de 2011 à 2015 et des préposés aux bénéficiaires sur le site du Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux (CPNSSS);
  • et des données sur l’Indice des prix à la consommation (tableau cansim 326-0020) pour construire le tableau qui suit.

rémunération des médecins1

Des hausses faramineuses

La plupart des articles portant sur la rémunération des médecins omettent un petit «détail». Les rémunérations moyennes publiées par la CSSS sont seulement celles des médecins spécialistes qui ont gagné en 2008-2009 au moins «9406 $ pour chacun des trimestres et un revenu annuel minimal de 84 424 $». Ces sommes pour 2014-2015 s’élèvent à 13 521 $ par trimestre et à 121 368 $ pour les médecins spécialistes et à 9669 $ et 86 802 $ pour les médecins omnipraticiens (limite non indiquée dans le document de 2010-2011 sur leurs revenus de 2008-2009).

D’ailleurs, le nombre total de médecins spécialistes retenus s’élevait à 8 203 en 2014-2015, alors que le nombre de médecins spécialistes membres du Collège des médecins atteignait en fait 14 009 cette année-là (voir pages 11 et 12 du rapport annuel de 2014-2015). Je veux bien croire qu’une certaine proportion des membres du Collège sont retraités (environ 2 400), sans emploi, désengagés (5 médecins spécialistes, selon la page 157 du document de la CSSS), non participants (103), en congé maternité ou maladie, ou encore occupent des postes de gestionnaires ou de ministres, mais la différence est quand même énorme! Bref, ces données permettent de voir l’évolution de leurs revenus, mais les niveaux de revenus qu’on y montre sont forcément plus élevés que dans la réalité. En fait, il s’agit des revenus d’environ les deux tiers des médecins spécialistes qui gagnent les plus hauts revenus. Malheureusement, le document ne mentionne pas le nombre de médecins omnipraticiens considérés.

Le tableau présente la rémunération brute, les frais de bureau et la rémunération nette des médecins selon leur spécialité en 2008-2009 (les données disponibles les plus anciennes que j’ai trouvées, datant d’un an après la signature de l’entente entre le gouvernement et les fédérations de médecins en 2007 pour rejoindre le niveau de rémunération des médecins du reste du Canada) et en 2014-2015, ainsi que le pourcentage de croissance de ces sommes entre ces deux années. On peut y voir que la rémunération nette des omnipraticiens et des médecins spécialistes a augmenté de respectivement 36,9 % et 43,8 % entre 2008-2009 et 2014-2015. Précisons que ces hausses ne tiennent pas compte des baisses d’impôts dont ils peuvent maintenant bénéficier en exerçant en société. On estimait en 2014 à environ 150 millions $ la perte de revenus de nos gouvernements due à cet avantage utilisé par 44 % des médecins.

Mais, le plus marquant dans ce tableau est de constater que le salaire des infirmières a, lui, à peine augmenté de 6,8 %, plus de cinq fois moins que le revenu des omnipraticiens, plus de six fois moins que celui des médecins spécialistes et même moins que l’inflation (9,5 %). Les infirmières auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires s’en tirent mieux avec des augmentations de 11,1 % et de 11,9 %, très légèrement supérieures à l’inflation, mais toujours de trois à quatre fois moins élevées que celles des omnipraticiens et des médecins spécialistes. Si les membres de ces deux professions ont connu une augmentation supérieure à celle des infirmières, c’est uniquement parce qu’ils ont eu des ajustements salariaux en 2010-2011 dans le cadre de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, car, sans cela, leur hausse salariale aurait été la même que celle des infirmières, soit inférieure à l’inflation.

Le tableau nous permet aussi de voir les différences de pratique entre les médecins spécialistes. En effet, certains travaillent essentiellement dans le réseau de la santé et n’ont très peu ou pas de frais de bureau (gériatrie, radio-oncologie, médecine nucléaire et quelques autres), d’autres en ont un peu plus, mais moins de 10 000 $ en moyenne (génétique, médecine interne, psychiatrie, néphrologie, santé communautaire, médecine d’urgence, anesthésiologie, neurochirurgie, chirurgie cardio-vasculaire et thoracique, chirurgie vasculaire, anatomo-pathologie, microbiologie, biochimie et hématologie/oncologie), puis, finalement d’autres semblent travailler bien plus souvent en clinique privée avec des frais moyens supérieurs à 60 000 $ en moyenne (allergie, dermatologie, physiatrie, obstétrique et gynécologie, ophtalmologie et radiologie). Notons que ces données excluent les médecins qui se sont retirés de l’assurance-maladie, qui, bien sûr, pratiquent uniquement en cabinet privé.

Comment alors expliquer les grandes différences de revenus parmi les médecins spécialistes, revenus qui passent de 250 421 $ en santé communautaire (à peine plus que chez les médecins omnipraticiens) à 510 333 $ en chirurgie vasculaire, 534 842 $ en radiologie, 549 979 $ en ophtalmologie et à 606 471 $ en chirurgie cardio-vasculaire et thoracique (et ces différences ne sont établies qu’en considérant les médecins spécialistes qui ont gagné au moins 121 368 $ cette année-là, je le rappelle)? Difficile à dire. Il semble qu’une des raisons est le fait que l’établissement des tarifs des actes des médecins ne soit pas mis à jour assez fréquemment. Ainsi, cet article mentionne le cas des ophtalmologistes où «une intervention qui prenait deux heures au médecin se fait maintenant en 15 minutes».

Pourquoi?

Pourquoi avoir accordé ces hausses? Officiellement, c’était pour combler l’écart «très important de rémunération avec la moyenne des médecins des autres provinces», nous rappelle Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Or, qu’en est-il? De fait, les données (il faut les télécharger pour les consulter) les plus récentes de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), soit celles pour 2013-2014, indiquent que les médecins québécois qui gagnent au moins 60 000 $ (soit, selon le tableau 5.2 de l’ICIS, environ 14 000 des 22 000 médecins) reçoivent une somme 10 % inférieure à celle des médecins canadiens. Notons que ces sommes ne tiennent pas compte du nombre d’heures travaillées et des frais de bureau qui peuvent être très différents selon le mode de pratique (en clinique ou en milieu hospitalier, comme je l’ai mentionné plus tôt) et d’une province à l’autre.

J’ai donc cherché d’autres données comparables… Le tableau qui suit (tiré du fichier 99-014-X2011042, le 17ème de cette page) montre les revenus annuels moyens d’emploi des membres de diverses professions qui travaillaient à temps plein (au moins 30 heures par semaines) et à l’année (au moins 49 semaines, y compris les vacances) en 2010 selon l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM) de 2011 (enquête qui a remplacé le formulaire long des recensements précédents).

rémunération des médecins2

On peut y voir que les médecins spécialistes, contrairement à ce qu’on nous dit toujours, gagnaient plus au Québec que dans le reste du Canada et que le revenu de nos omnipraticiens n’y était inférieur que de 6 %! Mieux, si on prend tous les médecins spécialistes et tous les omnipraticiens (y compris ceux qui ne travaillaient pas à temps plein et à l’année), le revenu des médecins du reste du Canada était inférieur à celui des médecins québécois de 12 % (spécialistes) et de 6 % (omnipraticiens). Surpris, j’ai vérifié les données des recensements de 2006 et 2001 (voir le tableau 23 sur cette page). J’ai alors constaté que la différence entre les revenus de nos médecins spécialistes et omnipraticiens et les leurs n’a jamais été supérieure à 5 % (entre – 5 % et + 0,3 %)! Notons que la grande différence entre les données produites dans le cadre de l’étude des crédits du gouvernement (celles du premier tableau), celles de l’ICIS et celles des recensements et de l’ENM n’est pas uniquement due au fait que les deux premières ne concernent que les médecins ayant gagné plus qu’une certaine somme dans l’année (121 368 $ pour les médecins spécialistes et 86 802 $ pour les médecins omnipraticiens dans le premier tableau, et 60 000 $ pour les données de l’ICIS). En effet, comme les membres de certaines spécialités ont des dépenses de bureaux nulles, il est clair que les données de l’ICIS et du premier tableau omettent, contrairement à celles de l’ENM et des recensements, de soustraire des dépenses communes à tous les médecins (en cabinet comme en établissement), comme les cotisations au Collège des médecins et à leur association (Fédération des médecins spécialistes et Fédération des médecins omnipraticiens), les frais d’assurance, l’abonnement à des revues médicales, la participation à des colloques, etc. Et, on ne sait pas si ces dépenses sont les mêmes dans chaque province… On sait par contre qu’on parle ici de plusieurs milliers de dollars par année.

Le tableau nous montre aussi que, si notre gouvernement cherchait vraiment à diminuer les différences de revenus entre le Québec et le Canada, il aurait plutôt intérêt à augmenter celui des membres de toutes les autres professions de la santé (notamment celui de nos ambulanciers) et encore plus celui de nos enseignants du primaire et du secondaire! Mais, non, à eux, il impose des hausses salariales inférieures à l’inflation… Par contre, le montant des dépenses totales de rémunération des médecins omnipraticiens est passé de 1692 millions $ en 2009-2010 à 2417 millions $ en 2015-2016, une hausse de 43 %, et celles des médecins spécialistes de 2735 millions $ en 2009-2010 à 4560 millions $ en 2015-2016, une hausse de 67 % (voir les pages 115 et 116 de ce document et les pages 146 et 147 de celui-là)!

Il nous dira peut-être qu’il craint l’exode de nos médecins… On se demanderait bien pourquoi, car, en plus du fait que leurs revenus sont plus élevés que dans les autres provinces, les médecins québécois ont toujours été les médecins canadiens qui quittaient le moins leur province selon les données de l’ICIS, comme je l’ai montré entre autres dans ce billet. Alors, pourquoi avoir autant augmenté leurs revenus? Le Québec avait encore en 2015 les dépenses de santé les plus basses du Canada, soit 5665 $ par habitant, 7 % de moins que la moyenne canadienne de 6105 $ selon les données de l’ICIS. Et il est clair que ce n’est pas en raison des différences salariales entre les médecins du Québec et ceux des autres provinces, mais bien plus en raison de celles des autres professions de la santé.

Et alors…

Il est assez étrange de voir que, pour nos éditorialistes néolibéraux, les hausses de revenus des médecins sont acceptables. Alain Dubuc disait par exemple en décembre 2010 que le rattrapage du revenu des médecins spécialistes avec leurs collègues canadiens «était nécessaire». Peu importe que ces hausses fassent exploser les coûts du système de santé qui aura de la difficulté à offrir les mêmes services qu’actuellement en raison du vieillissement de la population. Et peu importe que nos médecins ne soient pas vraiment moins bien payées que dans le reste du Canada (mais ça, il ne devait pas le savoir…).

Par contre, quand nos pompiers cherchent à simplement protéger leurs acquis (leur régime de retraite), ils devraient être gênés de leurs «conditions de travail en or», même si, comme le montre aussi le dernier tableau, ils gagnaient en 2010 moins que dans le reste du Canada (de 16 %). Je ne connais pas la teneur du fonds de pension des pompiers des autres provinces, mais il ne doit pas être bien différent de celui de nos pompiers! Quand les employés de la Société des alcools ont fait la grève en 2004, on s’est indigné du fait qu’ils étaient mieux payés que les caissiers de Wal-Mart. Mais, M. Dubuc les a-t-il appuyés en constatant que leur salaire était 30 % inférieur à celui de leurs collègues de la Liquor Control Board of Ontario (LCBO)? Bien sûr que non!

En fait, les inégalités et le statut supérieur des castes comme celle des médecins par rapport aux droits des travailleurs de la base semblent si bien acceptées par nos faiseurs d’opinions que nos classes dominantes se croient tout permis, même de négocier entre eux des avantages de plus en plus indécents. Dans la première version de ce billet, je concluais en disant que cette fois «ils sont peut-être allés trop loin». J’en suis maintenant moins sûr, quoique des mouvements de résistance à ces hausses se développent même à l’intérieur même de la profession. Permettront-ils un virage? C’est possible, mais loin d’être certain!

13 commentaires leave one →
  1. 11 Mai 2016 7 h 46 min

    Je ne suis pas le seul à penser que les infirmières méritent davantage que les médecins des hausses salariales significatives…

    «Plus précisément, ce sont 65 % des personnes interrogées qui croient que le salaire des infirmières devrait augmenter et 28 % qui pensent qu’il devrait rester inchangé.

    L’opinion quant à la rémunération des médecins est tout autre. Ainsi, seulement 15 % des personnes interrogées croient que la rémunération des médecins devrait augmenter et 53 % qu’elle devrait rester inchangée. Ils sont même 27 % à croire que la rémunération des médecins devrait plutôt diminuer.»

    http://www.ledevoir.com/societe/sante/470497/les-infirmieres-devraient-etre-mieux-payees-selon-un-sondage-crop

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  2. Sciencesenviro permalink
    11 Mai 2016 10 h 35 min

    En plus, votre billet tombe à point nommé. Demain le 12 mai, c’est la journée internationale des infirmières.

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  3. Sciencesenviro permalink
    11 Mai 2016 10 h 37 min

    Pour info, j’ai partagé votre excellent billet avec un député de l’assemblée nationale 😉

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  4. 11 Mai 2016 11 h 54 min

    Merci!

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  5. 11 Mai 2016 12 h 57 min

    De mémoire, la revue Actualité avait produit des données sur les médecins spécialistes, voilà environ 2 ans, comme quoi depuis leurs augmentations de salaire, ils ont réduit en moyenne les heures travaillées de près 20%.
    Si c’est le cas, cela a un impact sur le 36% a 43% d’augmentation….

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  6. 11 Mai 2016 13 h 22 min

    Vrai, j’ai aussi lu sur la baisse d’heures travaillées, mais n’ai jamais vu de source fiable. Si tu en connais, j’aimerais beaucoup en être informé. Trop souvent, les estimations des articles de journaux sont basées sur des déclarations de personnes qui ont des intérêts sur le sujet. Sans source fiable, il faut prendre ce genre d’évaluations avec des pincettes.

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  7. Dédale permalink
    12 Mai 2016 16 h 22 min

    À s’faire emplir de même, on peut ben être obèse

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  8. MadPharmacist permalink
    27 Mai 2016 12 h 40 min

    Michel David, dans un article du Devoir, explique d’ailleurs que toute cette histoire de  »rattrapage » inutile et de faux-exode, inventé par Barrette lorsqu’il était président du syndicat des spécialistes pour obtenir des milliards, constitue «une arnaque». Lorsqu’on lit votre article, on ne peut que constater que Michel David avait raison.

    Pourtant, tout les jours, je lis des commentaires de citoyens qui croient réellement que les médecins méritaient un tel «rattrapage», et que nous devons vraiment leur donner des milliards pour «éviter un exode des médecins». La propagande de Barrette et des 2 Fédérations médicales fonctionnent malheureusement très bien auprès de Monsieur et Madame «Tout-le-Monde».

    http://www.ledevoir.com/politique/quebec/460796/une-arnaque

    Merci pour cet excellent article qui remet les pendules a l’heure. Cet article devrait avoir beaucoup plus de visibilité selon moi.

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  9. 27 Mai 2016 12 h 54 min

    pour «éviter un exode des médecins »

    Cette histoire d’exode des cerveaux ou des médecins est un épouvantail que la droite utilise aussi bien quand les gouvernements parlent de hausser le taux marginal d’imposition des plus riches que pour justifier leurs avantages et les inégalités. C’est pourtant de la bouillie pour les chats. J’ai d’ailleurs consacré de nombreux billets à cette question (et y reviendrai bientôt, car j’ai commencé à lire une étude très intéressante sur le sujet). En voici trois, dont deux parlent du cas des médecins.

    L’impôt et l’«exode» des cerveaux

    Exode, vous dites?

    Quel exode des cerveaux?

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  10. Sos permalink
    10 octobre 2017 15 h 43 min

    Malheureusement, votre « étude » ne tient debout puisque, vous oubliez effectivement de mentionner, que tous les autres castes à part les médecins ont de confortable retraite, vacances payées, assurances privées tres bien garnis et plus des autres facilités. Les médecins doivent assumer des longues années des études, de grosses dettes d’étude en plus de travailler plus de 60-70 heures par semaines. Ce n’est pas les médecins, qui à la retraite, roulent en Rolls… Vous allez voir que des retraites de 70000 – 100000 dollars par an appartient surtout à des autres castes ( policiers, pompiers, hydro….etc) et que leur âge de retraite et de 50-52 ans. Mélangez pas les choses afin que votre étude reste crédible.

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  11. 10 octobre 2017 19 h 15 min

    Si vous aviez cité des sources fiables pour appuyer les données de votre commentaire, ce que j’ai fait amplement dans ce billet, il serait peut-être possible d’avoir un échange.

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