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Les escrocs

28 mai 2016

escrocs

«Lorsqu’on attend quarante minutes un autobus à moins 20 degrés Celsius, c’est à cause des paradis fiscaux. Lorsqu’un hôpital met un an et demi à procéder à une intervention chirurgicale pourtant cruciale, c’est à cause des paradis fiscaux. Lorsque s’effondre un viaduc faute d’entretien, lorsque ferme un centre d’aide aux toxicomanes, lorsqu’une commission scolaire abolit son programme d’aide aux élèves en difficulté (…) c’est à cause des paradis fiscaux.»

Ainsi commence Une escroquerie légalisée – précis sur les «paradis fiscaux» de Alain Deneault. Même si on pourrait craindre qu’un gouvernement comme le nôtre préfère baisser les impôts plutôt que d’améliorer les services publics s’il récupérait les sommes perdues dans les paradis fiscaux, il est indéniable que le manque à gagner dû à l’évitement fiscal contribue à nuire à nos services publics. Et c’est encore plus vrai dans les pays en développement.

1 – Ce que l’on sait : Dans ce chapitre, l’auteur montre l’ampleur des sommes en jeu. Il précise ensuite les facteurs qui caractérisent les «paradis fiscaux» : l’absence d’imposition, les lois complaisantes, le secret bancaire et l’absence d’activité économique. Chacune des législations de complaisance (terme qu’il préfère à «paradis fiscaux» pour des raisons qu’il explique clairement) a sa spécialité propre : zones franches, ports francs, paradis bancaires et réglementaires par type d’industrie (même pour les pourriels et les paris sportifs!), blanchiment d’activités criminelles, etc. «Il ne s’agit donc pas de paradis «fiscaux» où l’on prend des libertés par rapport aux institutions fiscales, en inscrivant ses fonds hors de portée des autorités, mais de législations où le capital trouve ses aises pour évoluer hors de toutes contraintes juridiques». L’auteur présente par la suite quelques facteurs qui expliquent la création puis l’essor de ces législations de complaisance.

2 – Cinq conséquences graves : Voici ces cinq conséquences :

  • des pertes fiscales par milliards de dollars : l’auteur présente les estimations les plus fiables des pertes fiscales des pays dues à l’utilisation des législations de complaisance, même s’il sait bien que ces estimations ne peuvent que sous-estimer l’ampleur de ces pertes;
  • un affaissement de l’État : non contents de perdre ces recettes, la plupart des États diminuent en plus le taux d’imposition des entreprises et leur offrent plus de subventions et de crédits d’impôt s’imaginant en vain pouvoir concurrencer les législations de complaisance en se transformant eux-mêmes en paradis fiscaux;
  • des emprunts à des institutions financières que l’État n’impose plus : c’est clair!
  • une augmentation ou une introduction de la tarification : idem;
  • la mise à mal du service public : l’auteur présente les principales compressions de services publics en se basant sur le contenu d’un site Internet créé par l’Institut de recherche et d’information socio-économiques (IRIS). Il conclut en montrant que ces compressions sont un effet direct de l’idéologie néolibérale : on détourne le rôle de l’État du service aux citoyens vers le service aux entreprises.

3 – Le biais idéologique : L’auteur montre dans ce chapitre que tous ces cadeaux faits aux entreprises bénéficient rarement aux citoyens des États qui leur remettent ces cadeaux. Ils servent plutôt à favoriser la financiarisation de l’économie et la délocalisation des emplois, trop souvent dans des zones franches (même le gouvernement du Québec songe à en créer). L’auteur en donne de très nombreux exemples, tous à l’avantage des entreprises et des plus riches. Quand une loi les rebute, les entreprises embauchent une armée de lobbyistes pour la faire changer, et ça fonctionne trop souvent.

4 – Le blanchiment par le langage : Pour leurrer le public, on utilise une terminologie trompeuse pour parler de la création d’entités dont le seul but est l’évitement fiscal : fiducies, associations caritatives (qui ne travaillent qu’au seul bien de leur propriétaire), investissements directs à l’étranger (dont le montant est établi sous la seule foi des entreprises qui déclarent ces sommes, comme l’avoue candidement Statistique Canada), etc.

5 – Qui a dit: «C’est légal»? : La terminologie trompeuse s’applique aussi à ce qu’on appelle des lois. Évidemment, quand on adopte des lois pour tout rendre légal, tout devient légal. Or, l’objet de bien des lois adoptées dans les législations de complaisances ou portant sur ces législations est justement de retirer l’application d’autres lois (du travail, fiscales, environnementales, etc.) des transactions et activités liées à l’évitement fiscal. Sous le couvert d’accords sur l’échange de renseignements fiscaux, on légalise en fait ce qui était illégal. «Les pratiques d’évitement sont devenues légales parce qu’on n’a jamais adapté la loi au contexte de la mondialisation financière et industrielle, quand on n’a pas tout bonnement rendu légales des pratiques d’évitement qui ne l’étaient pas (…)».

L’auteur poursuit en démontrant que, même comme province, le Québec a la possibilité d’adopter des lois et de signer des ententes qui ne respectent pas nécessairement celles signées par le Canada, car ces dernières ne touchent que le fonctionnement fiscal de l’impôt fédéral, pas celui de l’impôt provincial.

Conclusion : En plus de revenir sur certains thèmes abordés plus tôt, l’auteur souligne quelques initiatives récentes, comme celle de l’OCDE pour lutter contre «l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices des entreprises (soit le BEPS, pour Base Erosion and Profit Shifting)», initiative que j’ai décrite plus en détail dans ce billet. Tout en soulignant qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction, l’auteur se désole de son manque de précision et d’obligations pour les signataires. Il présente plutôt des mesures qui permettraient vraiment de reprendre le contrôle de la situation, entre autres par la création d’une «entité fiscale mondiale» qui pourrait collecter les impôts dus et les répartir entre les pays où les entreprises transnationales effectuent vraiment des activités. En s’abstenant d’adopter des mesures de ce type, nos gouvernements semblent préférer faire subir les effets de l’austérité à la population qu’ils sont censés servir…

Postface – Paradis fiscaux, source d’inégalités croissantes : Denise Byrnes, directrice générale d’Oxfam-Québec, approfondit le lien entre les recettes des États perdues dans les paradis fiscaux et la croissance des inégalités, ainsi qu’avec le manque de services publics ou leur dégradation, dont les pires effets se font sentir dans les pays pauvres. Elle s’indigne avec raison de voir tant de richesse concentrée entre si peu de personnes qui ne savent même pas quoi faire de leur richesse alors que les besoins de la multitude sont si grands.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre, très court (moins de 100 pages de texte, même en comptant la postface), contient l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur les législations de complaisance, leur variété, les tactiques utilisées pour éviter de payer de l’impôt et les solutions qui fonctionneraient vraiment pour mettre fin aux abus de leurs utilisateurs. Tout un investissement!

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