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La baisse du taux d’activité des hommes au Canada et au Québec

9 juillet 2016

baisse-taux d'activité des hommesDans le précédent billet, on a pu voir que la forte baisse du taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans des États-Unis, de 98 % en 1954 à 88 % en 2014 (baisse qu’on peut voir illustrée dans le graphique qui sert d’image à ce billet), était principalement due à des facteurs institutionnels : hausse du taux d’emprisonnement, baisse de la syndicalisation, salaire minimum insuffisant, manque de mesures d’aide à la recherche d’emploi, à la formation et à la création d’emplois, etc. Je me demandais en conclusion de ce billet si le Canada et le Québec ont aussi connu une baisse équivalente du taux d’activité des hommes de ces âges, surtout si on considère que ces facteurs institutionnels y sont bien moins présents. Pour présenter la situation au Canada et surtout au Québec, je me suis servi de deux tableaux cansim de Statistique Canada, soit les tableaux 282-0002 et 282-0004 (ce deuxième pour les données selon le niveau de scolarité).

Taux d’activité

Le premier graphique reproduit celui qui accompagne ce billet, mais pour le Québec et le reste du Canada (le Canada moins le Québec), et pour une période un peu plus courte.

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Alors que le taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans des États-Unis est passé d’environ 94 % en 1976 à 88 % en 2014, une baisse de 6 points de pourcentage, celui des hommes du même âge du reste du Canada (ligne bleue) a baissé de 95,0 % à 91.0 %, une diminution de 4,0 points de pourcentage, et celui de ces hommes du Québec (ligne rouge) est passé de 93,4 % à de 90,5 %, en baisse de 2,9 points de pourcentage. On voit que, si les hommes de ces âges ont aussi connu une baisse de leur taux d’activité dans le reste du Canada et au Québec, cette baisse fut bien moins importante, surtout au Québec (dont l’écart avec le reste du Canada a fondu, passant de 3,2 points de pourcentage en 1983 à 0,5 point en 2015). En plus, alors que le taux d’activité des hommes du reste du Canada a à peine diminué à partir du milieu des années 1990 (de 0,5 point) et a même augmenté de 1,3 point au Québec, il a diminué de 4 points de pourcentage aux États-Unis (de 92 % à 88 %), ce qui représente les deux tiers de la baisse totale observée de 1976 à 2014. Il semble donc clair que les facteurs qui expliquent les baisses dans nos pays ne sont pas les mêmes. Pour la suite du billet, je me concentrerai sur les données du Québec.

Niveau de scolarité

Le deuxième graphique montre l’évolution du niveau de scolarité des hommes âgés de 25 à 54 ans du Québec entre 1990 et 2015. Il est dommage que Statistique Canada ait retiré de son répertoire son tableau qui contenait des données de 1976 à 1989. Certaines définitions, touchant les types de formation postsecondaire, ont de fait été modifiées à partir de 1990, mais cela n’aurait eu aucun effet sur les trois catégories que j’ai conservées pour ce billet. Mais bon, 25 ans d’historique, c’est mieux que rien!

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On peut voir que le niveau de scolarité des hommes âgés de 25 à 54 ans a grandement évolué en 25 ans. Ainsi, la proportion de cette population qui a au plus un diplôme d’études secondaires (DES, y compris ceux qui ont étudié à un niveau plus élevé sans obtenir de diplôme, ligne bleue) a pratiquement diminué de moitié, passant de 57,3 % en 1991 à 30,2 % en 2015. À l’inverse, la proportion de ces hommes ayant un diplôme universitaire (ligne jaune) a augmenté de près de 12 points de pourcentage (ou de 80 %), passant de 14,7 % à 26,5 %, et celle ayant étudié au niveau postsecondaire (ligne rouge) de 15 points (ou de 55 %), de 28,0 % en 1991 à 43,3 % en 2015. On remarquera en plus que les tendances décrites s’observent encore au cours des récentes années, ce qui laisse penser qu’elles pourraient encore s’observer au cours des prochaines années, quand des jeunes fortement scolarisés remplaceront les plus âgés de ces hommes qui sont moins scolarisés.

Le graphique suivant indique le taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans selon leur niveau de scolarité.

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On peut voir :

  • que les taux d’activité des hommes titulaires de diplômes universitaires et postsecondaires (lignes jaune et rouge) sont semblables et qu’ils sont beaucoup plus élevés que celui des hommes n’ayant qu’au plus un DES (ligne bleue);
  • que le taux d’activité des titulaires de diplômes universitaires et postsecondaires a un peu diminué entre 1990 et 2015 (respectivement de 2,6 points de pourcentage et de 1,0 point), mais que celui des hommes n’ayant qu’au plus un DES a connu une baisse nettement plus forte (de 4,6 points), quoique les deux tiers de cette diminution (3,1 points sur les 4,6) aient eu lieu les deux premières années de cette période alors qu’il y avait une récession. Cette baisse, importante, demeure tout de même moins abrupte que celle vécue par les hommes des mêmes âges ayant au plus un DES aux États-Unis (voir ce graphique), leur taux ayant diminué d’environ 8 points (soit près du double), de 91 % à 83 %.

En jumelant les constats des deux derniers graphiques, on réalise que la proportion de ces hommes ayant les taux d’activité les plus élevés (ceux qui sont titulaires de diplômes universitaires et postsecondaires) a fortement augmenté, passant de 42,7 % en 1991 à 69,8 % en 2015, alors que la proportion de ceux ayant le taux d’activité le plus faible (ceux n’ayant qu’au plus un DES) a diminué au même rythme (soit, je le répète, de 57,3 % en 1991 à 30,2 %). Dans un tel contexte, on comprend mieux que le taux d’activité global de ces hommes ait augmenté au Québec entre 1992 et 2015 (taux passant de 89,2 % à 90,5 %. Cela dit, on pourrait s’étonner de constater que ce taux n’ait pas augmenté davantage. Il doit avoir d’autres facteurs qui ont joué…

Démographie

Lorsqu’on utilise la tranche d’âge des personnes âgées de 25 à 54 ans, on le fait parce qu’on suppose que leur comportement sur le marché du travail est assez semblable. Mais, est-ce vraiment le cas?

Le graphique qui suit montre l’évolution du taux d’activité des hommes faisant partie de trois tranches d’âge à l’intérieur de la grande tranche des 25 à 54 ans. J’ai regroupé les tranches entre 30 et 49 ans, car mon premier essai avec des tranches d’âge de cinq ans me donnait quatre courbes presque identiques, impossibles à distinguer. On voit que ce sont les membres de cette tranche regroupée (ligne rouge) qui présentent le taux d’activité le plus élevé. Si leur taux a diminué en début de période, de 94 % en 1976 à 90 % en 1992, il s’est relativement maintenu au même niveau par la suite, si on oublie certains écarts et surtout l’étrange hausse de 2015.

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L’évolution du taux d’activité des hommes âgés de 50 à 54 ans (ligne jaune) est divisée en quatre périodes : une baisse d’environ quatre points de pourcentage entre 1976 et 1985, une relative stabilité entre cette année et 2000 (si on oublie le saut inexplicable et temporaire de 1987), une hausse entre 2000 et 2005 et une stabilité relative par la suite, à un niveau toutefois légèrement inférieur à celui des hommes âgés de 30 à 49 ans.

Le taux d’activité des hommes âgés de 25 à 29 ans (ligne bleue), malgré certains soubresauts lors des récessions (surtout celles des débuts des années 1980 et 1990) et des reprises, montre une nette tendance à la baisse, ce taux étant passé de près de 94 % en 1976 à environ 87 % en 2015, une chute de 7 points de pourcentage. Cette baisse peut s’expliquer par différents facteurs. J’en ai retenu deux. Tout d’abord, selon le tableau cansim 282-0095, le taux de fréquentation scolaire à temps plein de ces hommes est passé de 4,1 % en 1976 à 12,7 % en 2015 (soit plus du triple). Or le taux d’activité des étudiants à temps plein fut beaucoup moins élevé (un peu moins de 50 % entre 2008 et 2015) que ceux des étudiants à temps partiel (près de 90 %) et des non-étudiants (93 %). Ensuite, comme ces jeunes sont sur le marché du travail régulier depuis moins longtemps que les jeunes du même âge des années 1970 et 1980 en raison de la forte hausse du taux de fréquentation scolaire des jeunes âgés de 20 à 24 ans (de 16,1% en 1976 à 39,0 % en 2015, soit une hausse de 140 %), il n’est pas anormal qu’ils soient moins actifs.

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Le dernier graphique de ce billet montre l’évolution du pourcentage du nombre d’hommes âgés de 25 à 54 ans dans les six tranches d’âge de cinq ans qui composent cette population. On voit de façon très nette le déplacement des baby-boomers au cours des 40 dernières années (je trouve le mouvement des vagues de ce graphique fascinant…). Alors que les jeunes âgés de 25 à 29 ans (ligne bleue foncée) formaient 23,4 % des hommes âgés de 25 à 54 ans en 1976 (soit 40 % de plus que les 16,7 % que cette proportion indiquerait si la répartition entre ces six tranches d’âge était égale), leur proportion n’était plus que de 15,6 % en 2015. Or, en 1976, leur taux d’activité était semblable à celui de la moyenne de tout le groupe des 25 à 54 ans, tandis qu’il y était nettement inférieur en 2015. Cette évolution a donc dû n’avoir qu’un faible impact sur la baisse globale du taux d’activité du groupe. Par contre, l’importance relative de l’autre tranche d’âge dont les membres montrent un taux d’activité plus faible que la moyenne, soit ceux ayant de 50 à 54 ans, a augmenté fortement, leur proportion passant d’un creux de 10,4 % en 1989 à un sommet de de 19,9 % en 2013 (c’est près du double!), proportion presque aussi élevée en 2015 (19,3 %). Le fait que leur taux d’activité ait augmenté entre ces années diminue bien sûr l’effet négatif de leur gain en importance, mais comme ce taux d’activité est toujours inférieur à la moyenne des 25-54 ans, ce gain en importance a tout de même eu un léger effet négatif sur le taux d’activité de l’ensemble des hommes âgés de 25 à 54 ans. On voit donc qu’en plus de l’évolution de la scolarité, celle de la démographie a aussi joué un rôle non négligeable dans l’évolution du taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans du Québec.

Et alors…

Même si je ne dispose pas des très nombreuses données utilisées par l’Executive Office of the President of the United States pour expliquer l’évolution du taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans, je crois que celles que j’ai présentées permettent de mieux la comprendre. En tout cas, j’en ai personnellement appris beaucoup sur ce groupe!

5 commentaires leave one →
  1. Gilbert Boileau permalink
    9 juillet 2016 10 h 18 min

    Essai concluant . Faire des projections pour l’emploi dans les années à venir devrait relever du pur défi : la composition démographique aura un effet énorme sur la croissance à long terme de l’emploi… Non?

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  2. 9 juillet 2016 10 h 50 min

    «la composition démographique aura un effet énorme sur la croissance à long terme de l’emploi… Non?»

    En effet. J’ai fait des calculs pour tenir compte du vieillissement dans quelques billets, notamment pour estimer la croissance des taux d’emploi par tranche d’âge qui permettrai une poursuite de la croissance globale de l’emploi, notamment lors des promesses de croissance de l’emploi par les différents partis lors de la dernière campagne électorale (https://jeanneemard.wordpress.com/2014/03/13/172-000-emplois-210-000-250-000-qui-dit-mieux/). Par exemple il faudrait une hausse de 3,2 points de pourcentage dans chacune des 12 tranches d’âge (15-19 à 70 ans et plus) pour que la promesse libérale de 250 000 emplois se réalise. Il faudrait que je refasse ces calculs, mais il est clair qu’on est loin du compte!

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  3. 10 juillet 2016 14 h 13 min

    Oui, les courbes colorées du dernier graphique m’ont aussi happées quand je l’ai vu! 🙂

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  4. 12 juillet 2016 7 h 44 min

    Suite au rapport Parent, les écoles secondaires ont embauché beaucoup de personnels dans les années 1960. En 1987, beaucoup d’entre-eux pouvaient déjà prendre leur retraite. Avoir une bonne retraite signifiait avoir le meilleur des salaires pour 5 années (ou presque). Ainsi, beaucoup, d’employés du secteur publique ont retardé leur retraite afin d’obtenir une meilleure pension.

    Ce qui peut expliquer le pic de 1987 du graphique : «Taux d’activité des hommes âgés de 25 à 54 ans du Québec par tranche d’âge».

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  5. 12 juillet 2016 7 h 58 min

    Merci pour l’hypothèse, mais elle n’explique pas pourquoi ce taux aurait augmenté de plus de cinq points de pourcentage en un an. Elle pourrait expliquer un maintien de ce taux à un niveau élevé suivi d’un départ en masse, donc une baisse en 1988, mais je ne vois pas comment elle pourrait expliquer une hausse d’une telle ampleur.

    Cela dit, je vais tenter de creuser cette question, mais cela me semble simplement être un écart dans les données, compte tenu de la forte marge d’erreur des données de l’Enquête sur la population active.

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