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Sables mouvants au Canada

23 juillet 2016

Sables mouvantsMême si l’étude dont je vais parler dans ce billet a été assez bien couverte par les médias traditionnels, notamment par La Presse et Le Devoir, je trouve important de la présenter. Tout d’abord, elle complète très bien le billet que j’ai publié plus tôt cette semaine, billet qui montrait que si aucune mesure majeure n’est adoptée rapidement, le réchauffement serait encore plus élevé que ne le prévoit le GIEC. Ensuite, elle contient bien des graphiques révélateurs qui permettent de mieux visualiser son message que les simples mots contenus dans les articles mentionnés plus tôt. Finalement, son titre est irrésistible : Sables mouvants au Canada : production, distribution et répercussions du pétrole, de 2005 à 2014

Historique et évolution récente de la production

La premier baril de pétrole produit au Canada le fut «il y a plus de 150 ans à Oil Springs, en Ontario». En Ontario! Qui l’eut cru? Le premier baril provenant des sables bitumineux date de trois fois moins longtemps. Aujourd’hui, il se produit du pétrole surtout en Alberta, mais aussi en Saskatchewan et à Sables mouvants1Terre-Neuve. Le graphique ci-contre montre l’évolution de la production de pétrole au Canada entre 2005 et 2014. Si cette production a augmenté de 50 %, celle de pétrole léger, moyen et lourd (représentée par la portion grisée, pâle et foncée, des barres de ce graphique) n’a fourni que 3 % de cette hausse, la quasi-totalité provenant de l’extraction de pétrole brut bitumineux non classique (portion bleue foncée du haut de ces barres) et de pétrole brut synthétique (portion bleu pâle). L’étude définit ainsi le pétrole brut synthétique : «Produit obtenu de la valorisation du pétrole brut extra lourd ou du pétrole brut bitumineux des sables bitumineux». Il est ainsi transformé pour pouvoir être transporté plus facilement et être traité dans des raffineries classiques.

Cette hausse importante de la production a fait :

  • augmenter les exportations (en volume) de 80 %;
  • diminuer les importations de 42 %;
  • augmenter le transport de pétrole par pipeline de 58 % (et c’était avant l’entrée en fonction de la ligne 9B de Enbridge à la fin novembre 2015);
  • tripler le nombre de wagons transportant du pétrole.

Répercussions environnementales

On s’inquiète de plus en plus et avec raison des risques occasionnés par le transport du pétrole. Le nombre d’accidents concernant «des marchandises dangereuses à signaler» selon le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses, malgré certains écarts annuels, n’a pas vraiment augmenté Sables mouvants2entre 2005 et 2014, comme on peut le voir sur le graphique ci-contre. Fait qui peut surprendre, la majorité de ces accidents «se produisent pendant la manipulation de celles-ci aux installations (c.-à-d. gares, ports et entrepôts)», comme le montre la plus grande portion des barres de ce graphique (partie verdâtre), plutôt que pendant leur transport. Et les accidents se déroulant pendant le transport sont beaucoup plus fréquents par transport routier (portion bleue du bas des barres) que par transport ferroviaire (petite portion jaune au centre des barres). En effet, la proportion d’accidents concernant des marchandises dangereuses qui se produisent lors du transport ferroviaire n’a représenté que 1,5 % de tous les accidents enregistrés, soit une moyenne se situant entre 5 et 6 accidents par année. Cela dit, en consultant la source mentionnée par l’étude, soit le tableau cansim 409-0001, j’ai constaté que le nombre d’accidents «à déclaration non obligatoire» fut plus nombreux que le nombre de ceux «à signaler» (le tableau parle d’accidents «enregistrés»), soit plutôt une moyenne de 7,3 par année. Malheureusement, Statistique Canada ne précise pas la source de ces accidents «à déclaration non obligatoire», ni pourquoi leur déclaration n’est pas obligatoire.

Cela ne nous dit pas la proportion des accidents concernant des marchandises dangereuses provenant du Sables mouvants3transport de pétrole. Le graphique ci-contre répond à cette question. De 2005 à 2011, la proportion d’accidents «concernant des marchandises dangereuses» (ce graphique semble tenir compte aussi bien des accidents «à signaler» que de ceux «à déclaration non obligatoire») autres que les produits de pétrole brut (barres rouges) ont été plus nombreux que ceux impliquant les produits de pétrole brut, alors que ce fut l’inverse de 2012 à 2014. En fait, la tendance est encore plus forte que cela. En utilisant les données du tableau cansim 409-0006 d’où est tiré ce graphique, on peut constater que le nombre d’accidents concernant des marchandises dangereuses autres que les produits de pétrole brut a diminué de plus de 55 % (de 292 à 127) entre 2002 et 2014 alors que ce nombre concernant des produits du pétrole brut a augmenté de 265 % (de 60 à 219). La hausse est même de 370 % entre 2002 et 2013 (283 accidents). Et il n’y en avait eu en moyenne que 18 entre 1987 et 1992, selon le tableau cansim 409-0005. Notons que ces données ne fournissent aucune indication de la gravité des conséquences de ces accidents. Un léger déversement dans une gare de triage sera donc compilé au même titre qu’une catastrophe comme celle vécue en 2013 à Lac-Mégantic.

Pour obtenir des données similaires sur les accidents lors du transport de pétrole par pipeline, il faut utiliser les données du Bureau de la sécurité des transports, soit celles de la base de données sur les événements de pipeline. Cette base compile en effet tout accident de pipeline «en cas de rejet du produit, de blessures ou de dommages». Elle en a recensé en moyenne 55 entre 2005 et 2014, allant d’une trentaine en 2006 à environ 80 en 2012, «84 % d’entre eux menant au rejet de pétrole brut, de condensat ou d’un produit raffiné». Le volume rejeté est estimé à 36 m3 en moyenne, mais les auteurs mentionnent que cette estimation est peu fiable, car 70 % des rapports ne mentionnaient aucune quantité puisque «les rapports obligatoires de la quantité rejetée n’ont été instaurés qu’en juillet 2014». À cet effet, notons que «La semaine dernière [mi-juillet], l’Alberta Energy Regulator nous apprenait que, dans 8 des 23 cas de« déversement majeur » étudiés sur son territoire, il avait fallu 48 jours en moyenne aux pétrolières pour trouver et colmater les brèches». Or, il doit bien se rejeter plus que 36 m3 en 48 jours!

Et, la veille même de la publication de ce billet (en fait, je l’avais presque terminé), on nous annonçait deux déversements de pipeline le même jour. Un en Alberta, où 20 000 litres (selon l’entreprise…) de diluants se sont déversés «sur le site d’une usine de Suncor, à environ 26 km au nord de Fort McMurray», l’autre, bien plus grave, en Saskatchewan, où Husky Energy «a déversé plus de 200 000 litres de pétrole dans la rivière Saskatchewan Nord», ce qui a obligé la ville de North Battleford de cesser de pomper l’eau de cette rivière pour abreuver sa population. Au moins, elle a des réserves pour trois jours. Mais après? Plus sécuritaire, le transport de pétrole par pipeline, M. Wall? On se rappellera que Brad Wall, premier ministre de la Saskatchewan, reprochant au Québec ses hésitations à accepter le passage du pipeline Énergie Est, qui traverserait environ 830 cours d’eau. a déclaré au début de 2016 que la construction de ce pipeline était sécuritaire…

Émissions de gaz à effet de serre (GES)

La dernière partie de l’étude s’intéresse aux émissions de GES. Les auteurs établissent que, en tenant compte de «toute la chaîne d’approvisionnement (c.-à-d. l’extraction, le transport, le raffinage, la commercialisation et la combustion)», certaines formes de pétrole lourd émettent 50 % plus de GES que les formes de pétrole plus légères. Si la quantité d’émissions par baril a été réduite entre 1990 et 2014, l’augmentation de la production de sable bitumineux a entraîné une hausse de 85 mégatonnes d’émissions de GES. Cette hausse fut telle que la quantité d’émissions du secteur du pétrole et du gaz a Sables mouvants4surpassé celle du secteur du transport en 2012, comme on peut le voir dans le graphique ci-contre. La contribution de ce secteur a atteint plus de 26 % des émissions canadiennes en 2014, dont plus de 9 % provenaient du secteur des sables bitumineux.

Même si le prix du pétrole a grandement diminué depuis 2014, les auteurs soulignent que cela n’a pas empêché la production de pétrole au Canada d’augmenter en 2015 et 2016, sauf au cours de la période des feux de forêt en Alberta.

Les auteurs concluent que c’est dans ce contexte que les discussions «sur le rôle du secteur de l’énergie dans l’économie canadienne» se dérouleront au cours des prochaines années. Les arguments opposeront ceux qui ne pensent qu’à la croissance et ceux qui veulent éviter des accidents et limiter les émissions de GES (bon, ils ne disent pas exactement cela, devoir de réserve oblige, mais ça ressemble à ça!).

Et alors…

Nous voilà donc dans les sables mouvants. D’un côté, il y a un réchauffement de la planète qui pourrait finalement atteindre entre 5 et 10 °C d’ici la fin du siècle, et de l’autre, il y a la production du secteur canadien qui génère le plus d’émissions qui ne cesse d’augmenter, même quand il le produit à perte! Et, pire encore, on s’enfonce encore plus dans ces sables en discutant des pseudo avantages de la construction du pipeline Énergie Est qui permettrait d’accélérer la hausse de cette production.

Pendant ce temps, la «planète flirte depuis plusieurs mois avec un réchauffement de 1,5 degré Celsius par rapport à la moyenne du XXe siècle», soit le niveau auquel les signataires de l’accord de Paris sur le climat voulaient limiter le réchauffement climatique d’ici la fin du siècle, dans 84 ans! Il n’y aura bien sûr pas de El Niño chaque année, mais ce réchauffement montre qu’il est plus qu’urgent de s’opposer énergiquement à la construction du pipeline Énergie Est. Le premier ministre canadien semble de ce côté moins dogmatique que le précédent, jonglant entre les pressions du lobby pétrolier et l’opposition de plus en plus manifeste des Premières nations et du reste de la population. C’est à nous de faire en sorte qu’il tranche du bon côté…

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4 commentaires leave one →
  1. Yves permalink
    23 juillet 2016 10 h 56 min

    Ça va prendre un gouvernement courageux en tipère pour qu’il tranche du bon côté. Espérons.

    J’aime

  2. 23 juillet 2016 11 h 08 min

    D’où l’idée de lui rendre cette décision plus facile!

    J’aime

  3. benton65 permalink
    25 juillet 2016 2 h 47 min

    Comme disait un conservateur: « Dieu et la science vont nous sauver! »

    Aimé par 3 personnes

  4. benton65 permalink
    25 juillet 2016 17 h 56 min

    … et ce même conservateur ajoute: « Mais méfiez-vous des scientifiques, la science ne devrait pas être aux mains des scientifiques! »

    Aimé par 2 personnes

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