Les postes vacants, les exigences scolaires et le salaire minimum
Dans un billet publié en avril dernier, j’ai présenté pour la première fois des données provenant de l’Enquête sur les postes vacants et les salaires (EPVS). Comme je l’ai écrit dans ce billet, cela n’était pas idéal, car cette enquête n’avait publié des données que pour trois trimestres, dont celles du premier trimestre qui n’avaient en fait été recueillies seulement en février et mars 2015 et étaient donc incomplètes (voir l’annexe B au bas ce cette page).
Statistique Canada a publié la semaine dernière les données pour le premier trimestre de 2016, ce qui permet maintenant d’analyser des données complètes pour une année entière. Dans le billet précédent, j’ai présenté ces données en faisant un lien entre le chômage et les postes vacants par niveaux de compétence, en montrant entre autres que, contrairement à ce que certains politiciens prétendent, les postes vacants étaient proportionnellement plus nombreux dans les professions les moins spécialisées que dans celles les plus spécialisées. Cette fois, j’examinerai ces données selon les exigences scolaires des employeurs et les comparerai avec le niveau de scolarité de la population et des personnes en emploi, pour le Québec et le reste du Canada. Pour ce, j’utiliserai les données moyennes du deuxième trimestre de 2015 au premier trimestre de 2016 du tableau cansim 285-0004 et les comparerai à celles du tableau 282-0208 sur le niveau de scolarité.
Exigences scolaires des employeurs
Au cours de la première année pour laquelle l’EPVS nous fournit des données complètes, le taux de postes vacants (nombre de postes vacants divisé par le nombre d’emplois salariés) fut nettement plus élevé dans le reste du Canada (données du Canada moins celles du Québec) qu’au Québec, soit 2,72 % par rapport à 1,78 % (soit un taux 53 % plus élevé).
Le graphique qui suit montre la répartition des postes vacants, de la population (âgée de 15 à 64 ans) et de l’emploi (des personnes âgées de 15 à 64 ans, y compris les travailleurs autonomes) selon le niveau de scolarité exigé par les employeurs pour les postes vacants qu’ils ont déclarés et selon le plus haut niveau de scolarité atteint dans la population et chez les personnes en emploi.
Ce graphique est vraiment étonnant. On peut voir que le pourcentage de postes vacants déclarés par les employeurs décroît en fonction du niveau de scolarité exigé. J’aimerais toutefois apporter une précision avant de commenter davantage ce graphique. Pour les postes vacants, l’indication «moins d’un DES» s’applique en fait à ceux pour lesquels les employeurs n’ont aucune exigence scolaire, tandis que les données que je compare sont pour la population et les travailleurs ayant moins d’un diplôme d’études secondaires (DES). Pour vérifier s’il s’agissait d’une omission de la mention des exigences scolaires par les employeurs répondant à l’enquête ou vraiment d’une absence de telles exigences, j’ai tout d’abord comparé les salaires offerts. Or, ceux-ci sont nettement moins élevés dans cette catégorie, soit de 13,48 $ pour l’ensemble du Canada par rapport à 15,30 $ lorsque l’exigence est un DES, à plus de 20,00 $ pour un diplôme d’études postsecondaires, à près de 35,00 $ pour un baccalauréat et à plus de 40,00 $ pour un diplôme supérieur au baccalauréat.
J’ai ensuite regardé dans quelles professions on observait le plus d’absence d’exigences scolaires. La très grande majorité de l’absence d’exigences scolaires se trouve dans des professions peu ou pas spécialisées, ou dont les compétences s’acquièrent plus par l’expérience que par la scolarité. Les dix professions (sur les 500) qui regroupaient le plus de postes vacants sans exigences scolaires sont dans l’ordre les serveurs au comptoir, les vendeurs du commerce de détail, les caissiers, les cuisiniers, les serveurs d’aliments et de boissons, les commis de magasin, les conducteurs de camion, les manœuvres en construction, les ouvriers agricoles et les préposés à l’entretien ménager. Les postes vacants dans ces 10 professions représentaient 54 % de ceux où les employeurs n’ont aucune exigence scolaire. Et les professions qui suivaient avaient les mêmes caractéristiques. On peut donc conclure que les postes vacants sans exigences scolaires sont bien des postes qui peuvent être occupés par des gens n’ayant pas nécessairement un DES.
Mais, revenons au graphique… Alors que les employeurs n’ont aucune exigence scolaire pour 37 % des postes vacants déclarés, ce n’est que pour 11 % de ces postes qu’ils exigent un baccalauréat (9,0 %) ou plus d’un baccalauréat (seulement 2,0 %). En fait, la proportion des postes vacants pour lesquels les employeurs n’ont aucune exigence scolaire est 2,7 fois plus élevée que la proportion de la population âgée de 15 à 64 ans ayant moins d’un DES (14,0 %) et 4,2 fois plus élevée que la proportion des travailleurs ne possédant pas au moins un DES (8,8 %). La proportion des postes vacants pour lesquels les employeurs exigent tout juste un DES (28 %) est aussi plus élevée que celle de la population ayant un DES (22 %) et que celle des travailleurs dans la même situation (21 %). Cela fait en sorte que les employeurs exigent au plus un DES pour près des deux tiers (37 % + 28 % = 65 %) des postes vacants alors que ce niveau de scolarité ne s’observe que pour 36 % de la population (14 % + 22 % = 36 %) et pour 30 % des personnes en emploi (9 % + 21 % = 30 %).
À l’inverse, les proportions de postes vacants pour lesquels les employeurs exigent au moins des diplômes d’études postsecondaires, un baccalauréat ou plus sont toutes inférieures aux proportions de la population et des personnes en emploi étant titulaires de tels diplômes. On observe par exemple une proportion de quatre à cinq fois plus élevée de personnes ayant un niveau de scolarité supérieur au baccalauréat dans la population (8,0 %) et chez les travailleurs (9,3 %) que dans les exigences des employeurs pour leurs postes vacants (2,0 %).
Le graphique suivant est équivalent au précédent, mais pour le Québec.
On observe au Québec le même phénomène qu’au Canada, mais avec moins d’ampleur. Les employeurs exigent au plus un DES pour 52 % des postes vacants (25 % sans aucune exigence et 27 % pour une exigence limitée au DES), alors que seulement 31 % de la population âgée de 15 à 64 ans (16 % et 15 %) et 25 % de la population du même âge en emploi (11 % et 14 %) n’a qu’un DES ou moins. Cette proportion de 52 % demeure toutefois nettement moins élevée que pour les postes vacants du reste du Canada (65 %).
Les écarts entre les exigences scolaires pour les postes vacants et la scolarité de la population et des travailleurs sont un peu moins élevés au Québec que dans le reste du Canada du côté des études postsecondaires et du baccalauréat, mais cet écart l’est tout autant du côté de la scolarité supérieure au baccalauréat.
Comme le taux de postes vacants est moins élevé au Québec (1,78 %) que dans le reste du Canada (2,72 %), il semble donc clair que le surplus de postes vacants dans le reste du Canada est fortement concentré dans des postes ayant peu d’exigences scolaires. Est-ce à dire qu’on manque de personnes peu scolarisées au Québec et encore plus dans le reste du Canada? Ne concluons pas trop vite…
Autres caractéristiques
Je vais rapidement mentionner deux autres constats qui peuvent sembler étonnants :
- pour 49 % des postes vacants canadiens et 45 % de ceux du Québec, les employeurs exigent moins d’un an d’expérience, et pour seulement 2 % de ces postes au Canada et 3 % au Québec, ils exigent au moins 8 ans d’expérience;
- environ 75 % des postes vacants du Canada et 79 % de ceux du Québec sont permanents.
Et alors…
Que conclure de tout cela? Je vais d’abord aborder ce qu’il ne faut pas conclure… En effet, avant de tenter d’interpréter ces résultats, il faut d’abord réaliser qu’un poste doit être vacant pour être considéré dans les données que j’ai présentées. Il ne faut donc pas penser que les caractéristiques des postes vacants sont les mêmes que celles des postes que les employeurs réussissent à pourvoir. Voici la définition de poste vacant utilisée par Statistique Canada (voir la note 11 du tableau cansim 285-0004 que j’ai utilisé pour ce billet) : «Un poste est vacant s’il satisfait aux conditions suivantes : il existe un poste qui est vacant à la date de référence (première journée du mois) ou qui le deviendra au cours du mois; il y a des tâches à accomplir durant le mois pour le poste en question; et l’employeur cherche activement un travailleur à l’extérieur de l’organisation afin de pourvoir le poste». Il ne s’agit donc pas des caractéristiques des postes que les employeurs cherchent à pourvoir, mais des postes que les employeurs ne réussissent pas à pourvoir! En effet, les données nous le montrent depuis des années, la croissance d’emploi est beaucoup plus forte dans les emplois qui exigent le plus de compétences, mais ces emplois semblent moins difficiles à pourvoir, car le niveau de scolarité (et de compétences) de la population augmente encore plus rapidement que les exigences des employeurs (notamment parce que le niveau de scolarité de nos immigrants est plus élevé que celui des natifs). De même, le taux de chômage des personnes ayant moins d’un DES est nettement plus élevé (13,2 % chez les personnes âgées de 25 à 54 ans en moyenne d’avril 2015 à mars 2016, selon les données du tableau cansim 282-0208) que celui des personnes ayant un diplôme universitaire (5,1 %) et leur taux d’emploi est bien plus faible (60,0 % par rapport à 86,2 %).
En fait la question qu’on peut se poser est plutôt : pourquoi les employeurs ont-ils plus de difficulté à pourvoir des postes qui exigent peu de scolarité pour lesquels ils offrent des salaires peu élevés que des postes qui exigent plus de scolarité et pour lesquels ils offrent de meilleurs salaires? Et, la réponse est, comme souvent, dans la question. Comme ce n’est pas parce que la population ne possède pas les compétences exigées, on ne peut que conclure que c’est parce que, justement, les salaires (et autres conditions de travail) offerts ne sont pas satisfaisants. Alors, que faire? Lorsqu’on offre en moyenne 11,02 $ au Canada et 10,66 $ au Québec pour des postes de caissiers ou 11,26 $ au Canada et 10,80 $ au Québec pour des postes de serveurs au comptoir (et qu’on traite souvent les personnes qui acceptent de telles offres comme des moins que rien…), doit-on se demander longtemps pourquoi on ne trouve pas rapidement de personnes prêtes à occuper ces postes quand ils se libèrent? On notera que ces salaires sont ceux qui sont offerts pour les postes demeurés vacants, mais on ne sait pas quels salaires ont été offerts pour les postes de caissiers et de serveurs au comptoir qui ont été pourvus. Chose certaine, si le salaire minimum augmentait à 15,00 $ de l’heure, les employeurs auraient moins de difficulté à trouver preneurs pour ces postes!
Un article sur le sujet :
«Ce qui est nouveau, c’est le manque de travailleurs non spécialisés»
http://www.journaldequebec.com/2016/11/06/les-manufacturiers-en-manque-de-travailleurs-etrangers
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