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Le savoir engagé

3 octobre 2016

savoir-engageLa connaissance scientifique est-elle toujours objective, neutre et apolitique? Non, bien sûr. Cette connaissance s’inscrit en effet toujours dans un contexte social. Mais, comment peut-on concilier la pensée scientifique avec l’engagement social? Voilà le genre de questions auxquelles les sept textes regroupés sous la direction de Michel Dorais dans le livre Le savoir engagé tentent de répondre.

1. Pour un savoir engagé : Après une courte introduction (que j’ai résumée dans l’amorce de ce billet), Michel Dorais dit viser avec son texte à «esquisser les conditions de construction et de diffusion d’un savoir engagé» en sciences humaines et sociales dans un contexte où de nombreux obstacles s’y opposent, notamment les forces d’inertie présentes en milieu universitaire. L’auteur définit ensuite le savoir engagé comme «un savoir fondé sur des données empiriques» conçu comme «un outil de compréhension afin d’intervenir sur les problèmes énoncés». Selon lui, «ce qui caractérise le plus un chercheur engagé», c’est le fait que «son but n’est pas de faire de la recherche comme s’il s’agissait d’une entreprise désincarnée, mais de faire œuvre utile». Pour ce, il faut :

  • bien choisir son sujet et se poser les bonnes questions;
  • écrire clairement et s’assurer que sa recherche sera disponible;
  • s’opposer au conformisme, à l’autocensure et à la rectitude politique trop souvent favorisée dans le cadre de la recherche universitaire;
  • ne pas hésiter à intervenir dans les médias;
  • tenter de publier et diffuser ses travaux, que ce soit dans un livre, dans les médias sociaux ou en participant à des conférences;
  • participer aux activités d’organismes militants;
  • agir conformément à ses valeurs.

2. Penser le vivre-ensemble : Rachida Azdouz aborde la difficile articulation du caractère interdisciplinaire de la question du vivre-ensemble (aussi bien entre générations qu’entre communautés différentes). Ce sujet touche en effet aussi bien au droit, à la sociologie, à la psychologie qu’aux autres sciences humaines et sociales, et qu’à quelques autres disciplines. Elle présente ensuite des cas où les droits fondamentaux des uns affrontent ceux des autres. Elle poursuit en énonçant des conditions qui doivent être réunies «pour assurer le vivre-ensemble dans une perspective interculturelle» et émet cette citation bien sentie : «C’est en conciliant la normativité de la science avec la subjectivité de l’engagement que l’on fait avancer le débat public : le savoir engagé, c’est aussi l’engagement en connaissance de cause».

Ce résumé ne rend nullement justice à la richesse de ce texte et à ses nuances. Je l’ai trouvé un peu difficile à lire, mais fort intéressant et très utile pour pouvoir débattre intelligemment sur le vivre-ensemble.

3. Confessions d’un paria : Normand Baillargeon aborde dans ce texte l’opposition apparente entre «savoir» et «engagement». On peut en effet penser qu’un engagement orientera l’appréciation du savoir. Or, selon, lui, le choix même des savoirs qui nous intéressent est en soi un engagement, ce qui montre que savoir et engagement ne sont pas contradictoires. Pour expliquer cette relation, l’auteur donne en exemple son parcours comme professeur d’université et sa décision d’abandonner ce poste. Je vous laisse le plaisir de lire la suite…

4. Sur le chemin de ma sociologie engagée : Patrick C. Pilotte, qui revendique le titre de sociologue engagé, se sert de son parcours de vie pour illustrer ce qu’est pour lui un engagement. Issu d’une famille pauvre, il explique comment les stigmates de cette défavorisation l’ont marqué et ont influencé sa volonté de changer les choses. Un texte fort et très émouvant (et impossible à résumer)!

5. La comptabilité engagée : Chantal Santerre montre qu’on peut être engagé même en comptabilité. Après avoir expliqué que la comptabilité représente un savoir social, elle utilise son parcours pour donner des exemples concrets d’engagement dans son domaine. Elle possède justement le genre de compétences qui ne sont pas très fréquentes dans les milieux contestataires. Un autre texte difficile à résumer, mais très pertinent.

6. Du journalisme d’Albert Londres à celui de Twitter, esprit critique y es-tu? : Laurent Debesse, présentateur à TV5 Monde donne de son côté l’exemple de l’engagement dans le journalisme. Il divise cet engagement sur le plan du savoir en trois catégories :

  • la transmission des savoirs : il s’agit du travail de base du journalisme, rapporter les informations; dans ce domaine, l’engagement se situe principalement du côté du choix des nouvelles et du temps qu’on leur consacre;
  • la création de savoirs : à partir d’une nouvelle, le journaliste engagé peut la creuser, faire des recherches, créer des liens avec d’autres événements, poser des questions pertinentes; dans ce cas, il créera un savoir qui n’était pas là au départ;
  • la critique des savoirs : l’auteur regroupe dans cette catégorie le journalisme d’opinion (éditoriaux, blogues et chroniques) et le journalisme d’enquête.

7. «Engagé » Le jeune intellectuel : Alain Deneault explique comment il s’est retrouvé affublé du titre d’intellectuel engagé, uniquement parce qu’il s’est posé des questions et qu’il a résisté à la censure (et encore plus à l’autocensure). Selon lui, le savoir engagé n’est rien d’autre que la pensée critique. Un autre texte plus facile à lire qu’à résumer!

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Ce livre est finalement pas mal différent de ce à quoi que je m’attendais. Ce n’est surtout pas un défaut! Plutôt que de contenir plein de textes sur la conception qu’ont différents auteurs du savoir engagé, il nous présente la perception qu’ont ces auteurs de leur engagement dans des domaines bien différents. Personnellement, si je pouvais me considérer comme un porteur du savoir engagé, je m’identifierais en premier lieu à Chantal Santerre, car je tente, comme elle, d’utiliser mes compétences pas très fréquentes à gauche pour contredire les porteurs consacrés de ces compétences de l’orthodoxie économique. Bref, oui, j’ai bien aimé ce livre!

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3 commentaires leave one →
  1. 11 octobre 2016 3 h 05 min

    J’ajoute ce livre à ma liste de lecture non seulement car (1) le sujet m’intéresse, (2) qu’on y retrouve des auteurs que j’aime beaucoup et (3) que votre critique est positive, mais surtout (surtout!) pour le design de sa couverture. C’est qu’il fallait avoir confiance en son produit pour oser un tel dégradé jaune sur rouge…!

    Aimé par 1 personne

  2. 11 octobre 2016 5 h 54 min

    Il n’y a pas de mauvaise raison! 😉

    J’aime

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