Le transport de pétrole en train trois ans après la tragédie
J’ai publié un billet sur le transport de pétrole en train en août 2015 (et quelques autres avant) à la suite de la parution d’un article de Radio-Canada, deux ans après la tragédie de Lac-Mégantic. Cet article prétendait que «Entre la fin 2013 [après la tragédie de Lac-Mégantic] et la fin 2016, il aura plus que triplé, selon une estimation documentée par Transports Canada». Pour appuyer son affirmation, cet article présentait un graphique qui était en fait mensonger (tant pour les données montrées pour l’année de départ (2009) que pour les tendances qu’il illustrait entre 2013, année de la tragédie de Lac-Mégantic, et la fin de 2016. Les données de la troisième année après la tragédie étant maintenant disponible, il serait intéressant de regarder comment elles ont évolué récemment.
Transport de pétrole en train depuis 2008
Le graphique qui suit montre justement l’évolution du nombre de wagons transportant du pétrole et du mazout au Canada depuis 2008. Je signale que ces données ont été mises à jour la semaine dernière.
Pour mieux voir les mouvements récents, j’ai fait partir ce graphique en janvier 2008 plutôt qu’en janvier 1999, première année où ces données sont disponibles. En fait, on peut voir qu’il y a eu peu de changement de 2008 à 2011 (et il n’y en avait eu guère plus entre 1999 et 2008). Tout cela a commencé à changer vers la fin de 2011. Si on évite de tenir compte des variations saisonnières (sans surprise, les chargements diminuent le printemps et l’été, et augmente l’hiver, celles de janvier ayant été en moyenne 25 % plus élevées que celles de mai entre 1999 et 2016), le nombre de wagons transportant du pétrole et du mazout a augmenté de près de 250 % entre septembre 2010 et le sommet de janvier 2014, donc après la tragédie de Lac-Mégantic, ce nombre étant passé d’environ 5000 à 17 400. Puis, ce nombre a commencé à baisser. Finalement, il a diminué de 50 % entre son sommet de janvier 2014 (17 400) et juillet 2016 (8630) et, de façon plus spécifique, de près de 30 % entre la tragédie de Lac-Mégantic et la dernière donnée disponible, celle de juillet 2016 .
Comme ces données portent uniquement sur le Canada, elles ne nous permettent pas de connaître la situation spécifique au Québec. Par contre, Statistique Canada fournit des données sur le nombre de wagons transportant du pétrole et du mazout dont le chargement s’est fait entre Thunder Bay, en Ontario, et la côte du Pacifique (division Ouest) et le nombre de ceux dont le chargement s’est fait entre Armstrong, en Ontario, et la côte de l’Atlantique (division Est). Cela est expliqué dans l’encadré au bas de ce communiqué.
Le deuxième graphique nous permet de constater que le nombre de wagons transportant du pétrole et du mazout chargés dans chacune des deux divisions était semblable de 2008 à 2011. Tout d’un coup, tout a changé vers la fin de 2011. On voit que, non seulement le nombre de ces wagons chargés dans la division Ouest a grimpé en flèche entre novembre 2011 et décembre 2014 (hausse de près de 400 %, de 2900 wagons à plus de 14 100), mais, à partir de 2013, le nombre de ces wagons chargés dans la division Est a chuté, passant de son sommet de près de 5900 en mars 2013 à moins de 1400 en juillet 2016, une baisse de plus de 75 %. En fait, le gros de la baisse s’est réalisé en deux mois, soit entre juin et août 2014 (baisse de près de 65 %, de 4250 wagons à 1600). J’aimerais bien expliquer cette baisse, mais ne sachant pas d’où vient ce pétrole et où il se rendait, ce n’est pas facile de le savoir! Si la période de cette baisse correspondait à un événement particulier, on pourrait comprendre, mais là…
L’évolution des chargements de la division Ouest est plus facile à comprendre. Tout d’abord, la hausse de ces chargements, peu importe leur destination, correspond à l’augmentation de la production de pétrole dans l’Ouest, surtout provenant des sables bitumineux (voir aussi les tableaux cansim 126-0001 et 126-0003). Ensuite, on peut voir sur le graphique que la dernière chute de ces chargements a commencé après son sommet atteint en octobre 2015 (plus de 14 100 wagons), soit le dernier mois précédant l’entrée en fonction de la canalisation 9B d’Enbridge à la suite de son inversion à la fin novembre 2015. Il est possible que d’autres facteurs aient joué, les chargements de la division Ouest ne se dirigent pas tous vers le Québec et les Maritimes (j’espère!), mais la coïncidence serait étonnante si ce facteur n’avait pas influencé cette hausse. Finalement, s’il est courant que le nombre de chargements provenant de l’Ouest diminue en mai, la baisse de mai dernier fut particulièrement forte et correspond au mois où les feux de forêt ont fait diminuer la production dans la région de Fort McMurray.
Et alors…
Il devient de plus en plus clair que le nombre de trains transportant du pétrole et du mazout ne tripleront pas entre 2013 et 2016, même si des médias (et Transports Canada…) le prétendaient l’an dernier. Au contraire, leur nombre a diminué substantiellement depuis. Cela dit, cela ne signifie pas qu’ils n’augmenteront pas à l’avenir. L’acharnement des entreprises et des politiciens de l’Alberta et de la Saskatchewan à vouloir augmenter la production de pétrole des sables bitumineux malgré les conséquences de cette production sur la sécurité des personnes (que ce soit en raison des feux de forêt, de la pollution des terres environnantes ou du transport de ce produit délétère) et sur le réchauffement climatique ne semble pas près de diminuer d’ampleur et de hargne. Et, à ce sujet, notre premier ministre semble meilleur à faire aller ses babines que d’agir avec ses bottines!
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