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Une drôle de demande d’accès à l’information

14 janvier 2017

demande-dacces-a-linformationDans un billet datant de quelques semaines, j’ai mentionné que j’ai déjà eu une expérience bizarre de demande d’accès à l’information et que je la conterais peut-être un jour «car elle a eu un impact important». Face à la demande générale d’une personne, je m’y mets aujourd’hui…

Un lent début…

Tout cela a commencé en lisant un article du Devoir paru en novembre 2002 (oui, je lis ce journal depuis longtemps!). On y apprenait notamment que, sur une enveloppe de 6,7 millions $ reçue pour financer des projets dans les écoles secondaires de milieux défavorisés dans le cadre de la stratégie Agir autrement, la Commission scolaire de Montréal (CSDM) a décidé d’utiliser 2,5 millions, soit 37 % du total, «pour les redistribuer aux écoles sous forme de ressources enseignantes». Ce que l’article ne disait pas et que j’ai appris par du bouche-à-oreille, c’est que cette somme était destinée principalement aux écoles primaires. Étant à l’époque président d’un conseil d’établissement d’une école secondaire admissible à ces sommes, je ne l’ai pas trouvée drôle. En plus, notre école venait de perdre ses subventions reçues dans le cadre d’un autre programme (l’École montréalaise), car, avec la mise sur pied d’Agir autrement, destiné uniquement aux écoles secondaires, ce programme est devenu disponible uniquement pour les écoles primaires. Bref, en tenant compte de la ponction de la CSDM et de la perte des sommes reçues de l’École montréalaise, notre école recevait à peine plus qu’avant l’adoption de ce programme, alors que le ministre parlait d’un investissement massif dans les écoles secondaires défavorisées. Grrrrr. D’ailleurs, le ministre de l’Éducation de l’époque (Sylvain Simard du PQ), en visite dans notre école, m’a demandé avec un grand sourire ce que je pensais ce cette subvention. Disons qu’il n’a pas aimé ma réponse (je lui ai rappelé tout ce que je viens de dire), mais le directeur de l’école m’a remercié après son départ…

Une demande d’accès à l’information involontaire

Lors de la campagne électorale de 2003 à la CSDM, je me suis dit que ce serait une bonne idée de poser des questions aux candidat.e.s et de leur demander leur position sur le sujet. La situation était confuse à la CSDM à l’époque. À la suite d’une scission, le Mouvement pour une école moderne et ouverte (MÉMO), pourtant élu majoritaire en 1998, était dans l’opposition. Je me doutais que, dans l’opposition, le MÉMO avait sûrement voté contre la ponction de 2,5 millions $. Pour m’en assurer (c’est toujours mieux de posséder l’information avant de faire des revendications et de poser des questions), j’ai visité le site Internet de la CSDM, ai bien trouvé l’ordre du jour de la séance du Conseil des commissaires où ce sujet avait été abordé, mais pas le procès-verbal. Innocemment, j’ai écrit à l’adresse courriel mentionnée sur le site pour savoir si c’était possible de l’obtenir. Après tout, il s’agit d’un document public. À ma grande surprise (euphémisme, je suis resté bouche bée), j’ai reçu en réponse un courriel d’une avocate de la CSDM m’informant que ma demande d’accès à l’information serait étudiée dans les prochains jours… J’ignorais que le fait de demander une copie d’un document public était considéré comme une demande d’accès à l’information et qu’il fallait étudier une demande aussi peu compromettante! D’ailleurs, je viens de constater que les procès-verbaux des séances du Conseil des commissaires de la CSDM sont maintenant disponibles sur son site Internet.

Et, de fait, cela a pris quelques jours… pour que je reçoive un document incomplet! Il manquait juste l’annexe qui contenait l’information que je cherchais. Je l’ai donc demandée. Quelques jours plus tard, j’ai reçu l’annexe en question qui référait à un autre document, que j’ai bien sûr demandé. Bref, quand j’ai eu la preuve que la présidente du MÉMO de l’époque, Diane De Courcy, s’était opposée au détournement de 2,5 millions $, l’élection était terminée, et le MÉMO était bien installé à la direction de la CSDM. J’étais un peu découragé…

Désœuvrement

Quelques jours plus tard, disposant d’un peu de temps (je n’écrivais pas dans un blogue à l’époque, je passais plutôt mes soirées à jouer à des jeux vidéo), je me suis décidé à écrire quand même à Mme De Courcy et à mon commissaire pour leur demander s’ils avaient la même position que lors de la séance où leur parti s’était prononcé contre la ponction de 2,5 millions $. À ma grande surprise (encore une…), plutôt qu’une réponse, j’ai reçu une invitation à les rencontrer. Lors de cette rencontre, la présidente m’a souligné le lourd déficit de la CSDM (c’était un état fortement médiatisé, donc je le savais), m’a assuré qu’elle tenterait de rehausser graduellement les sommes remises au secondaire, mais que cela devrait attendre à l’année suivante (j’y vais de mémoire). Je m’y attendais un peu, mais me suis dit que c’était quand même mieux que rien…

Une autre réunion

Lors de la réunion suivante du Comité de parents du quartier (on parlait de «district» à l’époque, mais il semble que cette structure n’existe plus), j’ai raconté cette histoire. Je ne m’attendais pas à grand-chose, car environ 80 % des parents membres de ces comités venaient du primaire (car il y a bien plus d’écoles primaires, plus petites, que d’écoles secondaires), et que ma démarche, au bout du compte, consistait à faire augmenter les sommes reçues par les écoles secondaires, donc, à faire réduire celles reçues (de façon illégitime, faut-il préciser) par les écoles primaires. Peut-être que les parents présents n’ont pas vu ce corollaire, mais peut-être aussi qu’ils ont été convaincus de l’iniquité de la situation. En tout cas, ma présentation a reçu un bon accueil. Le président de ce comité m’a alors demandé (à ma grande surprise, ça devient une habitude!) d’écrire des questions à ce sujet et de les lui envoyer, car le directeur général de la CSDM répondait à des questions du Comité central des parents (l’instance au-dessus du Comité de parents auquel je participais à l’époque, instance qui s’appelle maintenant plus simplement le Comité de parents, car il n’y en a plus par quartier ou district) une fois par mois et que ce sujet lui semblait prometteur. Ce que je fis.

Une question, une réponse et des réactions

Je n’étais pas présent lorsque la (ou les, j’en avais écrit trois ou quatre) question a été posée. Ce que je me rappelle, c’est que le directeur général de la CSDM a entre autres répondu que les directions d’écoles secondaires avaient été consultées et qu’elles avaient donné leur accord à la ponction de 37 % des sommes qui devaient être remises à leurs écoles. J’étais estomaqué, ne pouvant pas croire une telle chose. Mais, à ma grande surprise (une n’attend pas l’autre!), c’est l’Association montréalaise des directions d’établissements scolaires (AMDÈS) qui a réagi le plus fortement à cette réponse du directeur de la CSDM, en précisant que jamais les directions d’écoles secondaires n’avaient donné leur accord, car jamais elles n’avaient été consultées. Le directeur général les avait en fait mis devant un fait accompli (il me semblait qu’au moins un article ou une lettre aux journaux avait été écrit sur le sujet dans des journaux, mais je ne trouve pas…). Devant cette réaction et les commentaires des médias, les 2,5 millions $ manquants ont fini par être remis intégralement (et non graduellement) aux écoles secondaires dès l’année suivante (sur ce, j’ai trouvé cet éditorial datant de mars 2004 où on peut lire : «on a appris que l’ancienne direction de la CSDM, pendant deux ans, avait réservé 40 % des subventions du programme pour payer des professeurs. Et elle a distribué le reste en ne respectant pas les règles d’attribution du programme»). Pour l’école dont j’étais le président du conseil d’établissement, cela a signifié la possibilité d’embaucher deux personnes de plus pour aider les élèves. Cela a aussi permis à bien d’autres écoles de milieux défavorisés de mettre sur pied des programmes d’aide aux élèves ou de prévention au décrochage plus complets.

Et alors…

Jamais je n’aurais pensé que ma décision de laisser de côté mes jeux vidéo un soir aurait pu avoir un tel impact! Ce résultat est bien sûr dû à la contribution de nombreuses personnes et à des circonstances bien particulières et absolument pas prévisibles. Seul, je n’ai réussi qu’à obtenir des promesses nébuleuses (ce qui était déjà plus que ce à quoi je m’attendais…). Avec la collaboration d’autres personnes, collaboration parfois inattendue (surtout celle de l’AMDÈS, mais aussi du Comité de parents de notre district), nous avons obtenu une hausse de 2,5 millions $ par année des budgets accordés à des écoles secondaires de milieux défavorisés. Ce n’est pas rien!

Cette anecdote comporte quelques enseignements :

  • quand on ne tente rien, on n’a rien, mais quand on essaie, il y a une petite chance que cela réussisse;
  • sans solidarité, une action individuelle est souvent vaine;
  • comme le dit bien Claude Robillard dans son livre La liberté de presse, la Loi d’accès à l’information devrait plutôt s’appeler «la Loi qui empêche d’avoir accès à l’information»…
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4 commentaires leave one →
  1. 14 janvier 2017 7 h 35 min

    Fascinant en effet. Et c’est aussi un enseignement pour moi: on a souvent l’impression que nos démarches ne servent à rien, mais parfois, il y en a une qui changera quelque chose pour le mieux!

    Aimé par 2 personnes

  2. Richard Langelier permalink
    14 janvier 2017 19 h 21 min

    Le trouble-fête que je suis racontera de mauvaises expériences:
    1) Un ami m’a demandé de faire une demande d’accès à l’information pour lui (il n’avait aucune protection syndicale). Sur le site de l’organisme public, l’information qu’il voulait avoir était incluse dans un poste budgétaire avec d’autres dépenses [1]. Le président de l’organisme m’a répondu que je devais payer 0,50$ par page et que ma requête coûterait une centaine de dollars. Mon ami m’a dit de lui écrire que je renonçais à ma demande à cause des coûts prohibitifs.
    2) Pour la préparation du projet de loi 112 «pour contrer la pauvreté et l’exclusion sociale», des chercheurs ont été mandatés. Lors d’une conférence-midi de http://www.omiss.ca/ , une chercheuse nous avait présenté une étude qu’elle avait faite. Elle a cependant précisé que lors de la signature du contrat, elle s’engageait à ne pas publier les résultats de sa recherche pendant un an. Un membre de l’assistance était scandalisé. «Pour faire un débat éclairé, ce serait élémentaire que ces études soient publiées». Dre Marie-France Rayneault de l’OMISS lui a répondu qu’il avait le droit d’écrire, en tant que citoyen pour demander la publication de ces études. Il l’a fait, mais on lui a répondu: «dura lex sed lex».

    Morale de l’histoire: «Lâche-pas, Darwin et persiste à trouver plus libidineux de faire des croisements de fichiers publiés qu’à regarder un match éliminatoire de football». Oups, je suis à pause depuis la seconde demie et je n’ai pas encore lancé la correction.

    [1] Calque de l’anglais? Je donnerai l’exemple d’une décision du gouvernement du Québec pour le financement des Arts. Tu avais lu le document. La justification était que les contribuables québécois étaient moins portés vers le mécénat que ceux des autres provinces. Tu avais vu que les dons de charité et le mécénat se retrouvaient sous la même rubrique. Par croisement des données, tu avais observé que les contribuables des autres provinces faisaient plus de dons aux organismes religieux et que le mécénat était semblable au Québec.

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  3. benton65 permalink
    15 janvier 2017 0 h 44 min

    La loi d’accès à l’information produit l’effet contraire. En légalisant la pratique cela devient un processus légal encadré par les avocats. Le système est plus lourd, plus cher et plus compliqué. Elle décourage ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas mettre du temps.

    Je me souviens d’une autre loi, celle de 2003 contre le harcèlement au travail. Où je travaillais à l’époque, un surintendant passa la consigne suivante à ses superviseurs:
    « Mettez plus de pression sur les employés et si l’un proteste ou se fâche, on a la loi de notre bord! »

    J’aime

  4. 15 janvier 2017 10 h 36 min

    @ Richard

    «Par croisement des données, tu avais observé que les contribuables des autres provinces faisaient plus de dons aux organismes religieux et que le mécénat était semblable au Québec.»

    Pire, en fait, que les Québécois donnent en fait proportionnellement plus aux organismes des arts et de la culture que les autres Canadiens. Voir https://jeanneemard.wordpress.com/2013/06/19/la-philanthropie/ .

    Bravo quand même pour ta mémoire!

    «persiste à trouver plus libidineux de faire des croisements de fichiers publiés qu’à regarder un match éliminatoire de football»

    J’ai pourtant bien vu les matchs d’hier et regarderai ceux d’aujourd’hui!

    @ benton65

    Merci pour cet exemple qui va tout à fait dans le sens du billet.

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