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L’économie de la stratification

29 mars 2017

Avez-vous déjà entendu parler de l’économie de la stratification? En tout cas, avant de lire l’article que je vais présenter dans ce billet, j’ignorais l’existence de ce courant (même si le concept ne m’était pas inconnu) qui est pourtant mentionné dans la classification pour l’économie établie par le Journal of Economic Literature (JEL). Il faut ajouter que, malgré de nombreuses tentatives, je n’ai pas trouvé grand-chose sur ce courant, si ce n’est quelques articles en sociologie et une mention dans la version anglaise de Wikipédia (qui décrit en fait plutôt le concept de stratification économique que le courant qui l’étudie).

L’article que je vais présenter dans ce billet contient une entrevue avec un des fondateurs de ce mouvement, William A. « Sandy » Darity, Jr. Le site Encyclopedia définit ainsi l’économie de la stratification :

«(traduction) L’économie de la stratification est un sous-domaine émergent de l’économie qui utilise le concept de stratification sociale comme point de départ pour examiner les processus structurels et intentionnels qui causent la hiérarchisation de groupes dont les membres sont définis par une ou plusieurs caractéristiques ou attributs, et les inégalités économiques entre eux. La stratification sociale se réfère généralement à l’arrangement hiérarchique des classes sociales, des castes et des strates au sein d’une société. L’économie de la stratification analyse les processus sociaux influençant la nature et la reproduction de la stratification non seulement à l’intérieur, mais aussi à travers, des sociétés différentes. Dans le domaine de la stratification, une attention particulière est accordée au rôle des distinctions raciales et de castes et aux affiliations de groupes similaires dans la production et la perpétuation des inégalités de revenu et de richesse.»

La stratification peut aussi se manifester selon la religion et le sexe (et aussi selon d’autres caractéristiques), et ses effets seront encore plus élevés dans les cas d’intersectionnalité, soit quand des personnes appartiennent et s’identifient à plusieurs strates défavorisées.

L’entrevue

– L’économie de la stratification

Selon Sandy Darity, l’économie de la stratification offre une explication structurelle plutôt que comportementale des inégalités entre des groupes socialement identifiés. Elle va donc à l’encontre des courants qui prétendent que ces inégalités proviennent de la culture ou des comportements propres à ces groupes. Elle invite donc les professionnels des sciences sociales (dont les économistes) à se pencher sur les politiques et les structures sociales pour expliquer ces inégalités. En outre, elle met l’accent sur l’importance de la position relative du groupe et pas seulement de sa position absolue. De nombreuses recherches démontrent en effet que c’est la perception de sa position relative qui influence le plus le bien-être (ou le bonheur) d’une personne. L’économie de la stratification étudie justement la question de savoir avec qui les gens se comparent. En fait, ils regardent leur position dans leur groupe, mais aussi la position de leur groupe par rapport aux autres groupes (cette analyse ne me semble pas étrangère avec le concept de consommation ostentatoire, quoique moins limité au domaine de la consommation).

– L’exemple de la discrimination

Même si des économistes orthodoxes prétendent que la concurrence réduit la discrimination, celle-ci est toujours bien présente, ce que l’économie de la stratification explique très bien en raison du sentiment d’appartenance de chaque membre à son groupe et à ses réticences à collaborer avec les membres des autres groupes. Pire, si les écarts entre les groupes diminuent, les membres du groupe dominant auront tendance à vouloir les accentuer, exerçant encore plus de discrimination envers les membres du groupe dominé. L’économie orthodoxe n’a jamais pu expliquer ce phénomène.

Cette lecture correspond très bien à la demande de Québec solidaire, Projet Montréal, une soixantaine d’organismes et plus de 2500 signataires d’une pétition de lancer une commission sur le racisme systémique qui aurait «notamment pour effet d’appauvrir, de judiciariser, de stigmatiser et d’exclure des citoyennes et des citoyens». Cette commission permettrait, selon eux, «de lutter notamment contre le profilage racial, la discrimination et le manque de représentativité dans la fonction publique».

– L’origine de l’économie de la stratification

Si le nom donné à ce courant est relativement récent, ses origines sont lointaines et nombreuses. Sandy Darity mentionne en premier lieu l’institutionnaliste Thorstein Veblen, qui fut un des premiers à montrer l’importance de la position relative d’un individu dans un groupe, puis James Duesenberry et sa théorie de la consommation basée entre autres sur le revenu relatif. Il ajoute des auteurs en sociologie, en psychologie et en économie du travail qui ont notamment étudié l’importance du climat de travail et même du climat social sur la productivité.

– Les inégalités de richesse

Les inégalités de richesse sont en partie une conséquence du racisme, du sexisme et de la discrimination. Elles sont donc un enjeu majeur de l’économie de la stratification, qui a notamment montré que l’éducation ne parvient pas à éliminer les inégalités de richesse raciales. Certes, l’éducation peut jouer un rôle positif, mais elle n’a pas permis de combler les écarts de richesse, de salaires et de taux de chômage.

– La discipline économique

Darity considère que le courant dominant de la discipline économique respecte peu les autres disciplines et fait preuve d’anti-intellectualisme. Plutôt que de tenir compte des particularités d’une situation, les économistes orthodoxes ont tendance à toujours les analyser en fonction de leurs modèles qui sont peu réalistes. Il trouve aussi que la discipline ne tient pas assez compte du point de départ des personnes, des avantages de naître dans une famille riche ou pauvre, appartenant à un groupe favorisé ou défavorisé.

S’il a un peu plus de considération pour l’économie comportementale, il se questionne sur l’application de ses principes aux groupes défavorisés. Ce n’est pas par manque de rationalité que les groupes défavorisés agissent comme ils le font, mais au contraire, parce qu’ils sont conscients d’être désavantagés.

Il conclut en encourageant les jeunes qui désirent étudier en économie à le faire, mais en n’hésitant pas à proposer des façons différentes d’envisager les problèmes économiques et de réaliser les recherches dans ce domaine. Pour atteindre cet objectif, ils doivent choisir une université où on accepte les idées qui s’écartent du courant dominant (ce qui n’est pas facile).

Et alors…

Même si ce texte et les autres que j’ai lus sur l’économie de la stratification ne me permettent pas de me faire une idée complète de ce courant que je ne connaissais pas il y a moins de deux semaines, il est indéniable pour moi qu’il représente un apport appréciable à la compréhension du fonctionnement de l’économie. Il me fait d’ailleurs penser sous bien des aspects à l’économie féminisme (dont j’ai parlé dans ce billet), qui porte surtout sur un groupe désavantagé, les femmes, tout en abordant aussi le concept d’intersectionnalité, tenant donc compte des autres groupes défavorisés. Ces deux courants semblables montrent que, non, nous ne sommes pas des êtres désincarnés n’agissant qu’en fonction d’une rationalité centrée sur nos besoins égoïstes, mais que nous sommes surtout les membres de groupes divers qui forment notre identité, mais qui discriminent ou sont trop souvent discriminés par d’autres groupes.

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3 commentaires leave one →
  1. 30 mars 2017 12 h 06 min

    Je connaissais. Mais bon, je suis en sociologie et mon département offre un cours qui s’appelle « Stratifications sociales ». Ça aide.
    C’est un concept effectivement très éclairant!

    Aimé par 2 personnes

  2. 30 mars 2017 14 h 14 min

    Je trouve rafraîchissant de constater que certains économistes commencent à adopter des concepts des autres sciences sociales (économie comportementale de la psycho et celle-ci de la socio, par exemple), plutôt que de rester collé à l’homo oeconomicus. Il était temps!

    Aimé par 2 personnes

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