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La mobilité intergénérationnelle au Canada (2)

15 juillet 2017

Je poursuis ici la présentation commencée dans ce billet de l’étude de Miles Corak intitulée Divided landscapes of economic opportunity: the canadian geography of intergenerational income mobility (Portraits divergents des possibilités économiques: la géographie canadienne de la mobilité intergénérationnelle des revenus). On a vu dans le premier billet que la mobilité intergénérationnelle (MI), c’est-à-dire la mesure dans laquelle le revenu des enfants devenus adultes est corrélé avec le revenu de leurs parents, peut varier considérablement selon les provinces canadiennes et qu’il est nécessaire de prendre connaissance de plus d’une mesure de MI pour pouvoir l’analyser sous plusieurs angles. Nous regarderons dans celui-ci quelques-uns des résultats de cette étude pour les 266 divisions de recensement que l’auteur a analysées.

Introduction

Je rappelle que l’auteur vise par cette étude à trouver dans quelle mesure le niveau de revenus des adultes est lié à leur origine familiale et si cette relation varie selon la région du Canada. Grâce aux données des déclarations de revenus fédérales (T1), il a pu analyser le revenu familial des parents des personnes nées entre 1963 et 1970 quand elles avaient entre 15 et 19 ans dans 266 divisions de recensement et comparer ce revenu familial avec celui de ces personnes plus de 20 ans plus tard, soit quand elles avaient entre 38 à 45 ans (entre 2004 et 2008). Son échantillon total étant formé de plus de 2 millions de personnes, il permet de fournir des résultats fiables et détaillés dans chacune des 266 divisions de recensement analysées.

Revenus et mobilité

Les premières données que fournit l’auteur sur le lien entre le revenu familial des parents et celui de leurs enfants quand ils avaient entre 38 à 45 ans dans les 266 divisions de recensement analysées sont illustrées dans le graphique ci-contre. Dans ce graphique, le revenu familial des parents, en dollars constants de 2014, est présenté horizontalement (en abscisse), tandis que celui des enfants à l’âge adulte est présenté verticalement (en ordonnée). Chaque point représente le lien entre la moyenne du revenu familial des parents de chacune des 266 divisions de recensement avec la moyenne de celui de leurs enfants. Ce graphique permet de faire deux constats principaux :

  • le lien entre le revenu familial des parents et celui de leurs enfants est très fort; on voit en effet que, la plupart du temps, une moyenne de revenu familial plus élevée chez les parents dans une division de recensement correspond à une moyenne de revenu familial plus élevée chez les enfants de la même division de recensement; d’ailleurs, le coefficient de corrélation entre ces deux séries de données est de 0,742, ce qui est très élevé;
  • dans la très grande majorité des divisions de recensement, soit dans 262 des 266 divisions, le revenu familial moyen réel (en dollars constants de 2014) des enfants devenus adultes est plus élevé que celui que gagnaient en moyenne leurs parents (les points bleus qui sont au-dessus de la diagonale, alors que les quatre divisions où ce revenu est plus faible sont représentées par les points rouges au-dessous de cette diagonale); ce constat n’est pas étonnant, compte tenu de la hausse réelle des revenus entre ces deux époques et surtout de la hausse du taux d’emploi des femmes (celui des femmes âgées de 25 à 54 ans est d’ailleurs passé d’environ 61 % à 77 % entre ces deux époques, soit entre 1978 à 1989 et 2004 à 2008, selon le tableau cansim 282-0002).

Le deuxième graphique est un peu plus complexe, mais illustre bien le fort lien entre le revenu familial des parents et celui de leurs enfants dans chacune des 266 divisions de recensement analysées dans cette étude. L’ordonnée présente le rang percentile moyen (rang de 1 à 100) du revenu familial des enfants devenus adultes, tandis que l’abscisse représente les 266 divisions de recensement classées dans l’ordre du rang le plus bas au plus élevé du revenu familial moyen des enfants faisant partie de la moitié de ces enfants ayant le revenu le moins élevé (fiou!).

Les points noirs montrent le rang moyen du revenu familial des enfants des parents faisant partie de la moitié ayant gagné le revenu le moins élevé. Comme c’est dans cet ordre que sont classées les divisions de recensement, il s’agit de la série de points la plus régulière. L’auteur fait remarquer que le rang moyen illustré par ces points n’est supérieur à la moyenne de 50 que dans 14 des 266 divisions de recensement. J’ajouterai que le rang percentile moyen des enfants dont les parents faisaient partie de la moitié ayant gagné le revenu le moins élevé provenant des divisions les plus pauvres est au moins deux fois moins élevé (les deux plus bas sont juste au-dessus du 20e rang percentile) que celui de ces enfants provenant des divisions les plus riches (le plus élevé est environ au 55e rang percentile).

Les points rouges montrent le rang moyen du revenu familial des enfants des parents faisant partie du cinquième ayant gagné le revenu le moins élevé. Dans ce cas, le rang moyen illustré par ces points n’est supérieur à la moyenne de 50 que dans 5 des 266 divisions de recensement. Ici, le rang percentile moyen des enfants dont les parents faisaient partie du cinquième ayant gagné le revenu le moins élevé provenant des divisions les plus pauvres est jusqu’à trois fois moins élevé (les deux plus bas sont autour du 15e rang percentile) que celui de ces enfants provenant des divisions les plus riches (les cinq plus élevés sont au-dessus du 50e rang percentile).

Les points bleus montrent le rang moyen du revenu familial des enfants des parents faisant partie de la moitié ayant gagné le revenu le plus élevé. Comme ces points ne sont pas directement liés à l’ordre dans lequel les divisions de recensement sont classées, il s’agit de la série de points la moins régulière. À l’inverse des deux autres séries, le rang moyen illustré par ces points n’est inférieur à la moyenne de 50 que dans un peu moins de 29 des 266 divisions de recensement. Même si on voit une tendance haussière, la différence de rang entre les divisions les plus pauvres et les plus riches est bien moins accentuée que dans les deux autres séries, quoiqu’on puisse apercevoir un point bleu autour du 32e rang percentile. Il est toutefois bien isolé! On voit donc que le fait d’avoir été élevé dans une division de recensement relativement plus pauvre que les autres semble avoir eu un impact négatif bien plus fort chez les pauvres que chez les plus riches de ces divisions (qui ont peut-être aussi davantage déménagé, l’auteur ne le dit pas).

Quelques cartes

L’auteur applique ensuite aux 266 divisions de recensement les mesures de mobilité intergénérationnelle que j’ai présentées dans le premier billet pour l’ensemble du Canada et les provinces. Je vais en montrer quelques-unes.

– de la pauvreté à la richesse : cette mesure représente le pourcentage d’enfants dont le revenu familial des parents était dans le quintile inférieur et dont le revenu familial se retrouve dans le quintile supérieur. On se rappellera que cette proportion était de 11,4 % pour l’ensemble du Canada et qu’elle variait de 6,1 % (Nouveau-Brunswick) à 18,5 % (Alberta) dans les provinces.

Le graphique ci-haut illustre les résultats de cette mesure pour chacune des 266 divisions de recensement. Les divisions en vert sont celles où ce pourcentage est supérieur à 20 %, celles en jaune pâle entre 15 et 20 % et ainsi de suite jusqu’à celles en rouge où ce pourcentage est inférieur à 2,5 %. En fait, on ne trouve des divisions en vert qu’en Alberta (six), en Saskatchewan (deux) et en Ontario (une), et des divisions en rouge qu’au Manitoba (une) et en Colombie-Britannique (une). D’ailleurs, 70 % des enfants rendus adultes habitent des divisions où ce pourcentage est entre 5 et 15 %. Cette carte fournit de l’information intéressante, même si elle est fortement influencée par le fait que, comme je l’ai expliqué dans le précédent billet, les revenus utilisés pour former les quintiles sont ceux de l’ensemble du Canada. Alors, forcément, on retrouve davantage de résultats positifs dans les provinces où les revenus moyens étaient les plus élevés entre 2004 et 2008, comme en Alberta et en Saskatchewan, et davantage de résultats négatifs dans les provinces où les revenus moyens étaient les moins élevés, comme dans les Maritimes. Cela dit, cette carte montre tout de même que les revenus semblent mieux répartis dans les Maritimes qu’au Manitoba (et, dans une moindre mesure, qu’en Colombie-Britannique), car on ne retrouve aucune division en rouge dans les Maritimes (ni de division en jaune), alors qu’on retrouve à la fois des divisions en rouge et en jaune au Manitoba (et en Colombie-Britannique). Il semble donc clair que les problèmes de faible de mobilité intergénérationnelle que nous avions déjà observés dans cette province dans le billet précédent se concentrent dans quelques divisions que cet exercice nous permet d’identifier.

– la pauvreté intergénérationnelle : cette mesure représente le pourcentage d’enfants dont le revenu familial des parents était dans le quintile inférieur et dont le revenu familial se retrouve aussi dans le quintile inférieur. Cette proportion était de 30,1 % pour l’ensemble du Canada et elle variait de 25,9 % (Alberta) à 41,4 % (Manitoba) dans les provinces.

Cette fois, les divisions en rouge sont celles où ce pourcentage est supérieur à 40 %, et les divisions en vert sont celles où ce pourcentage est inférieur à 20 %. Ce choix de répartition peut sembler moins heureux que celle choisie dans le chapitre précédent, puisqu’on retrouve bien plus de divisions en rouge (23) qu’en vert (7). Par contre, il faut savoir que ces divisions ne regroupent respectivement que 2,0 % (en rouge) et 1,6 % (en vert) des familles des enfants rendus adultes et que 78 % d’entre elles vivent dans des divisions où ce pourcentage (d’enfants dont le revenu familial des parents était dans le quintile inférieur et dont le revenu familial se retrouve aussi dans le quintile inférieur) se situait entre 25 et 35 %. L’auteur précise aussi qu’on trouve des réserves des membres des Premières nations dans 16 des 23 divisions où le pourcentage de maintien dans la pauvreté est supérieur à 40 %. Or, la source utilisée pour estimer le revenu familial, les déclarations de revenus, n’est pas fiable ou comparable dans ces communautés, car les revenus ne sont pas tous imposés de la même façon (et ne l’étaient pas de la même façon dans les deux périodes comparées, celle des parents et celle des enfants devenus adultes). Cela dit, d’autres indicateurs montrent que, de fait, une forte proportion de ces communautés ont un revenu inférieur à la moyenne. Finalement, ce graphique confirme que les revenus semblent mieux répartis dans les Maritimes (et au Québec) qu’au Manitoba et qu’en Colombie-Britannique.

La suite

Cette étude étant exploratoire, l’auteur présente ensuite d’autres analyses basées sur les huit mesures de mobilité intergénérationnelle. Il étudie notamment leurs liens avec d’autres caractéristiques des divisions de recensement provenant surtout des données du recensement de 1986, portant donc sur les caractéristiques associées aux parents, comme le taux de pauvreté, le niveau d’inégalités, le statut d’immigrant, la langue maternelle française, la scolarité, la mobilité géographique (le fait que les parents aient changé de division de recensement), l’industrie d’emploi, etc. Cela me prendrait un billet complet pour présenter toutes les relations qu’il a trouvées, alors, je vais me contenter de n’en mentionner que quelques-unes :

  • le taux de pauvreté est corrélé négativement avec le revenu des parents, le passage de la pauvreté à la richesse et le maintien dans le quintile supérieur, et positivement avec le maintien dans la pauvreté;
  • le niveau d’inégalités (soit le coefficient de Gini) est corrélé positivement avec une faible mobilité intergénérationnelle et, en conséquence, un fort maintien dans la pauvreté et dans la richesse;
  • une faible scolarité est corrélée négativement avec le passage de la pauvreté à la richesse et fortement avec le maintien dans le quintile supérieur, et positivement avec le maintien dans la pauvreté;
  • la proportion d’immigrants est corrélée fortement avec le maintien dans le quintile supérieur et avec le passage de la pauvreté à la richesse;
  • la proportion de la population de langue maternelle française et celle qui remplit le questionnaire du recensement en français sont toutes les deux corrélées négativement avec le revenu des parents, le passage de la pauvreté à la richesse et le maintien dans le quintile supérieur.

Si ces relations ne sont pas étonnantes, l’intérêt de cet exercice est de confirmer nos impressions et surtout de mesurer l’ampleur de ces relations. Ces données peuvent être vraiment utiles en développement de politiques.

Et alors…

Cette étude est de loin la plus complète que j’ai lue sur la mobilité intergénérationnelle. Non seulement l’auteur y présente huit mesures de mobilité, mais il les calcule pour 266 parties du Canada. Comme si ce n’était pas déjà assez, l’auteur tente (et réussit dans bien des cas) à établir des liens entre ses huit mesures de mobilité et une série de caractéristiques démographiques et socio-économiques. Si les corrélations qu’il trouve ne sont pas nécessairement causales, elles ouvrent la porte à des études ultérieures sur le sujet et au développement de politiques pour favoriser la mobilité intergénérationnelle de la population, viser de s’approcher d’une véritable égalité des chances et mieux connaître les populations qui ont le plus besoin d’aide pour atteindre ces objectifs.

En plus des éléments présentés dans les deux billets que j’ai consacrés à cette étude, l’auteur a en plus mis à la disposition du public un site dans lequel il donne accès à d’autres documents :

  • un fichier Excel contenant toutes les données traitées dans l’étude et bien d’autres;
  • une annexe contenant d’autres tableaux et graphiques;
  • une courte présentation et une plus longue.
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