Le vieillissement de la population et les taux d’activité
Statistique Canada a publié à la mi-juin une étude sur les effets du vieillissement de la population sur le taux d’activité. Même si aucun média ne l’a à ma connaissance mentionnée, cette étude de Andrew Fields, Sharanjit Uppal et Sébastien LaRochelle-Côté intitulée L’incidence du vieillissement de la population sur les taux d’activité du marché du travail contient quelques éléments que j’ai trouvés dignes d’intérêt. Comme cette étude se concentre sur les données pour l’ensemble du Canada, cela m’a donné l’idée de regarder comment la situation décrite dans cette étude se distingue au Québec et dans les différentes provinces et régions du Canada. Notons que toutes les données présentées dans ce billet proviennent du tableau cansim 282-0002 de Statistique Canada, tiré de l’Enquête sur la population active.
Premiers constats
Le premier constat qui a attiré mon attention est celui bien connu du vieillissement de la population en âge de travailler. Même si ce constat est de fait bien connu, j’ai parfois l’impression qu’on en sous-estime l’ampleur. Plutôt que de présenter les données sur ce vieillissement dans un graphique en ligne comme l’ont fait les auteurs de l’étude (voir le graphique 1 de la page numérotée 2), j’ai préféré comparer directement les proportions des adultes (15 ans et plus) qui avaient de 15 à 24 ans, de 25 à 54 ans et 55 ans et plus en 1976 (barres bleues) avec celles des mêmes tranches d’âge 40 ans plus tard, en 2016 (barres rouges). De cette façon, le graphique ci-contre montre clairement l’effondrement de la population adulte de la tranche d’âge des 15 à 24 ans (de 26,7 % à 14,8 %, une baisse de près de 45 % entre 1976 et 2016) et la très forte croissance de celle âgée de 55 ans et plus (de 22,2 % à 35,7 %, une hausse de plus de 60 %). Alors que les jeunes étaient nettement plus nombreux que les plus âgés en 1976 (de 20 %), ces derniers étaient plus de deux fois plus nombreux (en fait 140 % plus nombreux!) en 2016. Le seul désavantage de présenter ces données ainsi, c’est que ce graphique semble indiquer que la proportion des personnes âgées de 25 à 54 ans est demeurée assez stable entre 1976 et 2016, alors qu’elle a augmenté de 12 % entre 1976 et son sommet de 1996 (de 51,1 % à 57,6 %) avant de diminuer de 14 % entre 1996 et 2016 (de 57,6 % à 49,4 %). Si ces mouvements furent très importants dans l’ensemble du Canada, ils se sont manifestés de façon bien différente dans chacune des provinces et régions du pays comme le montrent les graphiques qui suivent.
15 à 24 ans : La baisse fut semblable dans chacune des régions et provinces présentées dans ces graphiques. Cela dit, les taux les plus bas en 2016 et les baisses les plus importantes entre 1976 et 2016 s’observent dans les Maritimes (13,5 %, en baisse de 53 %) et au Québec (13,6 % en baisse de 51 %). C’est dans la région Manitoba-Saskatchewan que le taux de jeunes était le plus élevé en 2016 (16,0 %, en fait 16,3 % au Manitoba et 15,5 % en Saskatchewan), région qui a aussi connu les baisses les plus faibles (37 % au Manitoba et 42 % en Saskatchewan).
25 à 54 ans : Si la proportion d’adultes âgés de 25 à 54 ans a diminué dans la plupart des provinces et régions entre 1976 et 2016, elle a augmenté légèrement au Manitoba (de 1,3 point de pourcentage), mais davantage en Saskatchewan (de 4,8 points de pourcentage) et en Alberta (de 4,0 points de pourcentage). C’est dans cette dernière province que la proportion d’adultes âgés de 25 à 54 ans était en 2016 de loin la plus élevée avec un taux de 55,6 %, le seul qui dépasse 50 % mis à part la Saskatchewan, qui le fait de justesse (50,3 %), et c’est dans les Maritimes que cette proportion était la plus basse (45,9 %).
55 ans et plus : Si la proportion d’adultes âgés de 55 ans et plus a augmenté dans toutes provinces et régions entre 1976 et 2016, le niveau de cette augmentation a varié davantage que je le pensais avant de consulter ces données. Les hausses les plus élevées entre 1976 et 2016 ont eu lieu au Québec (hausse de 89 % pour atteindre 38,1 %) et dans les Maritimes (hausse de 72 % pour atteindre 40,7 %, le taux le plus élevé des régions et provinces). Notons que ce taux varie très peu dans ces quatre provinces, soit de 39,7 % à l’Île-du-Prince-Édouard à 41,7 % au Nouveau-Brunswick, qui présentent les quatre taux les plus élevés des 10 provinces. À l’inverse, c’est en Saskatchewan et au Manitoba que ces proportions ont le moins augmenté (de respectivement 23,2 % et 31,9 %), mais en Alberta que la proportion d’adultes âgés de 55 ans et plus est demeurée la plus faible en 2016, étant la seule région présentant un taux inférieur à 30 %, en fait la seule avec un taux inférieur à 34 % (29,2 %).
Notons que les données démographiques de l’Enquête sur la population active (EPA) diffèrent passablement des estimations démographiques complètes de Statistique Canada et de l’Institut de la statistique du Québec, car celles de l’EPA excluent les personnes vivant dans des établissements institutionnels (prisons, hôpitaux de longue durée, etc.) et quelques autres populations (personnes vivant dans certaines réserves, membres des Forces armées, etc.). Ces exclusions font surtout diminuer la population âgée de 65 ans et plus, et sous-estiment donc l’ensemble des effets du vieillissement.
Taux d’activité
On s’imagine bien que les changements démographiques majeurs présentés dans la section précédente ont eu un impact important sur le taux d’activité, la forte augmentation de la proportion de la population adulte ayant plus de 55 ans, et surtout plus de 65 ans, ayant un impact négatif important sur cet indicateur.
La partie qui a le plus suscité mon intérêt dans cette étude est justement la présentation de cet effet. La ligne bleue du graphique ci-contre (qui reproduit le graphique 3 de la page numérotée 4 de l’étude) montre l’évolution du taux d’activité officiel du Canada de 1976 à 2016. La ligne rouge, elle, indique le taux d’activité ajusté, soit celui qu’aurait eu le Canada s’il avait gardé la même structure démographique qu’en 1976. Pour calculer les données de ce taux d’activité ajusté, j’ai multiplié les taux d’activité par tranche d’âge de 5 ans (de 15 à 19 ans, 20 à 24 ans… 65 à 69 ans et 70 ans et plus) de chacune des années de 1976 à 2016 par la population de ces tranches d’âge en 1976, ai additionné ces 12 résultats par année et les ai divisés par la population adulte des mêmes années. Il s’agit essentiellement de la même technique que j’ai utilisée quelques fois pour calculer quel serait le taux d’emploi au Québec s’il avait la structure d’âge de l’Ontario ou du reste du Canada (la dernière fois dans ce billet). Le graphique montre que l’impact du vieillissement fut :
- presque nul (entre 0 et 0,1 point de pourcentage) entre 1976 et 1986 (la hausse de la population âgée de 25 à 54 ans, la plus active, compensant la baisse de celle âgée de 15 à 24 ans et la hausse de celle âgée de 55 ans et plus);
- négatif, mais inférieur à 1,0 point entre 1986 et 1999;
- de plus en plus négatif par la suite pour atteindre 4,1 points en 2016; cela signifie que le taux d’activité au Canada aurait été de 69,8 % cette année-là au lieu de 65,7 % si sa structure démographique était restée comme en 1976; on notera en plus que la baisse du taux d’activité entre son sommet de 2003 et 2016 de 67,6 % à 65,7 % est uniquement dû au vieillissement de la population adulte, car le taux ajusté, lui, a augmenté de 0,7 point entre ces deux années, passant de 69,1 % à 69,8 %.
Comme l’évolution démographique fut bien différente d’une province et région à l’autre, on se doute bien que l’impact du vieillissement de la population adulte sur le taux d’activité a aussi grandement varié entre ces territoires. C’est ce que montrent les six graphiques qui suivent. J’ai bâti ces graphiques de la même façon que celui pour l’ensemble du Canada. On notera toutefois que j’ai effectué les calculs en utilisant la structure démographique de chaque province ou région en 1976 et non pas en utilisant la structure démographique du Canada cette même année. J’ai trouvé cela plus logique. Cela dit, quelques tests que j’ai effectués montrent que cela n’aurait pas changé grand-chose d’utiliser la structure démographique du Canada de 1976, car ces structures étaient assez semblables dans toutes les provinces et régions cette année-là comme les graphiques de la section précédente le montrent bien.
Dans les Maritimes, l’impact du vieillissement fut nul de 1976 à 1982, positif de 1982 à 1999 (avec un effet maximal de 1,0 point de pourcentage en 1993), ce qui veut dire que le taux d’activité aurait été plus faible au cours de cette période si la structure démographique n’avait pas changé et était restée la même qu’en 1976, puis négatif de 2000 à 2016, cet effet augmentant graduellement pour atteindre 5,5 points en 2016 (ou 6,5 points par rapport à 1993); cela signifie que le taux d’activité dans les Maritimes aurait été de 67,3 % cette année-là au lieu de 61,9 % si sa structure démographique était restée comme en 1976 (et de 68,3 % si elle était restée comme en 1993).
Au Québec, l’impact du vieillissement fut nul (au plus de 0,2 point de pourcentage) de 1976 à 1986, n’a nui que légèrement (d’au plus 1,0 point) au taux d’activité entre 1986 et 1996, puis l’a désavantagé de plus en plus par la suite pour atteindre le niveau le plus élevé de toutes les provinces et régions, soit 7,2 points en 2016; cela signifie que le taux d’activité au Québec aurait été de 71,8 % cette année-là au lieu de 64,6 % si sa structure démographique était restée comme en 1976, ce qui aurait été le deuxième taux le plus élevé du Canada (derrière l’Alberta), et cela même si le Québec avait en 2016 le deuxième taux d’activité le plus bas des provinces canadiennes chez les personnes âgées de 55 ans et plus (derrière Terre-Neuve). Cela montre à quel point son taux d’activité était élevé chez les personnes âgées de 15 à 54 ans en 2016 par rapport à celui des autres provinces (surtout chez les femmes de cette tranche d’âge, où il est le plus élevé des provinces canadiennes, sûrement en grande partie en raison de la présence du programme de service de garde à contribution réduite). Autre constat important, alors qu’on déplore souvent la baisse du taux d’activité depuis son sommet de 2003 (de 66,1 % à 64,6 % en 2016), le taux ajusté a de son côté augmenté de 2,4 points de pourcentage (de 69,1 % à 71,8 %), ce qui montre que la population est proportionnellement de plus en plus active et non pas de plus en plus inactive comme semble le montrer le taux officiel qui ne baisse qu’en raison du vieillissement de la population.
En Ontario, l’impact du vieillissement fut très semblable à celui observé dans l’ensemble du Canada : négatif, mais inférieur à 1,0 point de pourcentage entre 1976 et 1999, puis de plus en plus négatif par la suite pour atteindre 3,7 points en 2016; cela signifie que le taux d’activité en Ontario aurait été de 68,7 % cette année-là au lieu de 65,0 % si sa structure démographique était restée comme en 1976.
Dans la région du Manitoba et de la Saskatchewan, l’impact du vieillissement fut négatif, mais inférieur à 1,0 point de pourcentage entre 1976 et 2005, puis guère plus négatif par la suite pour atteindre seulement 1,1 point en 2016; cela signifie que le taux d’activité dans cette région aurait été de 69,7 % cette année-là au lieu de 68,6 % si sa structure démographique était restée comme en 1976. Ce faible impact négatif ne devrait pas nous étonner, car on a vu dans la section précédente que c’est dans cette région que la proportion de la population adulte qui est âgée de 55 ans et plus a le moins augmenté (de 28 % par rapport à la hausse moyenne de 61 % dans l’ensemble du Canada et de 89 % au Québec).
En Alberta, l’impact du vieillissement fut positif de 1977 à 1998 (avec un effet maximal de 1,5 point de pourcentage en 1983 et en 1984), ce qui veut dire que le taux d’activité aurait été plus faible au cours de cette période si la structure démographique n’avait pas changé et était restée la même qu’en 1976, puis négatif de 1999 à 2016, cet effet augmentant très lentement pour atteindre seulement 0,9 point en 2016, l’effet le plus faible de toutes les provinces et régions présentées ici. Cela signifie que le taux d’activité en Alberta aurait été de 73,4 % cette année-là au lieu de 72,5 % si sa structure démographique était restée comme en 1976. Encore là, ce faible impact négatif ne devrait pas nous étonner, car on a vu dans la section précédente que l’Alberta fut une des seules provinces où la population âgée de 25 à 54 ans a augmenté et qu’elle fut celle où cette proportion a le plus augmenté (de 4 points de pourcentage, soit de 51,6 % à 55,6 %). En plus, on a aussi vu que cette province est celle où la proportion d’adultes âgés de 55 ans et plus était en 2016 de loin la plus basse (29,2 % par rapport à la moyenne de 35,7 % dans l’ensemble du Canada, à 40,7 % dans les Maritimes et à 38,1 % au Québec).
En Colombie-Britannique, l’impact du vieillissement fut nul (au plus de 0,2 point de pourcentage) de 1976 à 1985, n’a nui que légèrement (d’au plus 1,1 point) au taux d’activité entre 1986 et 2002, puis l’a désavantagé de plus en plus par la suite pour atteindre 4,3 points en 2016, impact semblable à celui observé dans l’ensemble du Canada (4,1 points); cela signifie que le taux d’activité en Colombie-Britannique aurait été de 68,7 % cette année-là au lieu de 64,4 % si sa structure démographique était restée comme en 1976.
Le reste de l’étude
L’étude analyse ensuite l’impact de la scolarité et de la structure familiale sur le taux d’activité canadien de 2007 à 2016, ainsi que d’autres facteurs expliquant la hausse du taux d’activité des personnes âgées de 55 ans et plus. Malgré l’intérêt de ces analyses, je vais devoir les omettre et inviter les personnes intéressées par ces sujets à lire ces parties de l’étude. De toute façon, je ne dispose pas des données ni des outils (ni du temps!) pour pouvoir appliquer ces analyses aux provinces et régions.
Et alors…
Cette étude a permis de mieux comprendre et de quantifier les effets du vieillissement de la population sur le marché du travail. On voit que le taux d’activité du Québec était déjà en 2016 plus de 7 points de pourcentage plus faible que si la structure démographique était restée la même qu’en 1976. Et le vieillissement n’est pas terminé! En fait, en utilisant les données du scénario de référence des prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et les taux d’activité par tranche d’âge de 2016, j’ai calculé que le taux d’activité serait plus bas de 12,2 points en 2026 et de 14,5 points en 2036 que si la structure démographique était restée la même qu’en 1976. En fait, comme les données de l’ISQ comprennent plus de personnes âgées que celles de l’EPA (comme mentionné précédemment), cette différence fait augmenter l’écart d’environ 1,5 point de pourcentage, si on se fie à l’écart que j’ai calculé en comparant les données de 2016. Cela signifie que l’écart serait environ de 10,7 points en 2026 et de 13,0 points en 2036. Ainsi, le taux d’activité serait en 2036 de 58,8 % au lieu de 71,8 % si la structure démographique était restée comme celle de 1976. Le vieillissement de la population fera donc diminuer le taux d’activité d’environ 18 %, ce qui est loin d’être négligeable.
Ces calculs sont bien sûr approximatifs, mais fournissent un ordre de grandeur assez précis de l’impact du vieillissement de la population sur le taux d’activité. Si certaines personnes ont intérêt à surestimer cet impact et qu’il faut se méfier de ces prophètes de malheur, il est tout aussi important de ne pas le sous-estimer. C’était un des objectifs de cette étude et c’est certainement un des miens en publiant ce billet!
Très intéressant Darwin. Merci! Erik
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Je trouve moi aussi cela intéressant, mais cela ne semble pas partagé par beaucoup de monde! Pas grave…
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