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Lettre ouverte aux animaux

11 septembre 2017

Philosophe, sociologue et auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Frédéric Lenoir vise, avec son livre Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment) à ce que l’être humain utilise «ses forces non plus pour exploiter et détruire» les êtres sensibles qui peuplent la Terre, «mais pour les protéger et les servir».

Bien chers animaux (non humains) : L’auteur souligne dans cette introduction le comportement irrationnel et contradictoire des êtres humains qui, par exemple, chérissent certains animaux et sont prêts à faire de nombreux sacrifice pour eux, mais n’hésitent pas à manger des bébés provenant d’espèces aussi intelligentes et sensibles que celles qu’ils chérissent tant.

1. Comment Homo sapiens est devenu le maître du monde : L’auteur raconte comment Homo sapiens s’est répandu partout sur Terre et décrit certaines de ses caractéristiques qui le distinguent des autres animaux en citant amplement le livre Sapiens de Yuval Noah Harari que je recommande chaudement (je lui ai d’ailleurs consacré  deux billets).

2. De la domestication à l’exploitation : Selon l’auteur, Sapiens a vécu en relative harmonie avec les autres animaux jusqu’au début de l’agriculture et de l’élevage. Là, ils sont devenus des animaux de compagnie (chiens et, plus tard, chats), mais surtout des animaux domestiqués, soit une expression bien gentille pour parler d’esclaves considérés uniquement pour leur utilité à l’être humain, tant par leur travail que pour leur peau, leur pelage, leur lait et surtout leur viande. L’auteur poursuit en racontant ce que nous leur faisons subir de nos jours (description qui est semblable à celle qu’on a pu lire dans L’humanité carnivore de Florence Burgat, livre dont j’ai parlé dans ce billet), maintenant que nous connaissons les meilleures méthodes pour en tirer le maximum en leur consacrant le minimum de ressources (en nourriture, en espace et en durée de vie)…

3. Ne seriez-vous donc que des choses ? : Selon l’auteur, l’assimilation des animaux non humains à des choses résulte de croyances religieuses (plus spécifiquement au passage, lors de la révolution agricole, de religions animistes à des religions où les dieux n’habitent plus la Terre) et d’explications pseudo-scientifiques pour justifier leur utilisation «comme matériau de laboratoire» et pour «promouvoir la consommation massive de chair animale». En les chosifiant, «nous nous sommes octroyé en bonne conscience le droit de (les) exploiter et de (les) tuer». Bien des philosophes ont aussi conclu à la supériorité de l’être humain, certains dénonçant toutefois la cruauté envers les animaux non humains, mais uniquement comme attitude répréhensible pouvant encourager des gestes similaires envers des humains, pas en raison de la souffrance d’êtres sensibles. L’auteur mentionne brièvement à la fin de ce chapitre que seule une minorité des philosophes (et des théologues) ont reconnu que les animaux non humains ont une sensibilité importante et qu’il faut éviter en conséquence de les faire souffrir. Il approfondira cette question plus loin.

4. Sommes-nous si différents ? : L’auteur fait ici le tour des recherches sur ce qui distingue l’homme des autres animaux, sur ce qui constitue le «propre de l’homme». J’ai déjà lu ailleurs presque tout ce qu’il y dit à ce sujet, surtout dans le livre Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? de Frans De Waal (dont j’ai parlé dans ce billet) qu’il cite d’ailleurs dans ce chapitre.

5. Nos singularités : L’auteur aborde cette fois les singularités de l’être humain et d’autres espèces. Là encore, j’ai déjà lu un bon nombre des exemples qu’il présente et ceux que j’ai lus pour la première fois sont souvent douteux (comme la supposée télépathie de certains animaux non humains).

6. De l’exploitation à la protection : L’auteur présente ici des philosophes et des théologues qui ont défendu la cause animale, certains seulement pour interdire toute violence contre les animaux (parfois parce qu’ils croient à la réincarnation et craignent qu’un animal devant eux soit la réincarnation d’un humain qu’ils ont connu…), d’autres reconnaissant leur sensibilité et quelques-uns s’interdisant toute nourriture ou tout vêtement provenant d’un animal.

7. Au-delà du débat du « spécisme » : La majorité des philosophes refusent d’étendre aux animaux non humains les principes d’éthique appliqués aux êtres humains parce que les premiers ne peuvent pas approuver les termes d’un contrat qu’ils ne peuvent comprendre ni consentir à exercer la réciprocité des droits qui leur seraient accordés. D’autres réfutent ce raisonnement en montrant qu’on accorde bien des droits aux bébés, à des handicapés mentaux et à d’autres personnes qui ne peuvent pas approuver les termes d’un contrat.

C’est dans ce contexte que l’auteur aborde la question du spécisme (le fait d’accorder des droits moraux plus étendus à certaines espèces, dont à l’être humain, qu’à d’autres). Il se demande, comme je l’ai déjà fait, où mettre la ligne entre les animaux à qui on accorde des droits et les autres (insectes nuisibles, par exemple) à qui on n’en accorderait pas (ou moins). En fait, bien des antispécistes tracent cette ligne avec le concept de la capacité de souffrir ou de l’être sensible (ou encore de l’intelligence et de la conscience de soi) même si, en utilisant des critères, ils font preuve de spécisme…

8. Que faire ? : L’auteur présente les différentes réactions qu’on peut avoir face à cette question : militer pour de meilleures conditions des animaux et contre la chasse et les expériences sur eux, refuser de manger les animaux et leurs produits (lait, œufs, etc.), ou finalement adopter un mode de vie complètement végane (refuser aussi de porter des vêtements dont la moindre partie vient des animaux). Selon l’auteur, la position des véganes est certainement la plus cohérente (j’endosse), mais il existe beaucoup de barrières à l’adoption d’un tel régime : culture, religion, goûts, habitudes, etc. J’ajouterais à ces barrières le fait qu’une décision individuelle a peu d’impact pour améliorer les conditions de vie des animaux ou pour faire diminuer l’impact de l’élevage sur les émissions de GES, sur la pollution et sur la diversité.

L’auteur, lui, propose des changements de comportement bien minces, comme de rechercher de la viande et des œufs «éthiques», c’est-à-dire provenant d’élevages en «liberté» (sans préciser ce que peut bien être un abattage éthique, même s’il propose l’abattage à la ferme), mais aussi des changements au statut juridique des animaux. Il aborde ensuite d’autres aspects que je ne peux pas tous résumer ici, dont le sort qui serait réservé aux animaux domestiques d’élevage si l’élevage devenait interdit (ainsi qu’à ceux qui sont dans les zoos, les cirques, les parcs marins, les centres de recherche, etc.), la propriété des animaux et le concept du bien-être animal.

Ce chapitre a suscité bien plus mon intérêt que les précédents, mais m’a aussi laissé sur ma faim, de nombreux aspects de la question n’étant qu’esquissés, pas suffisamment approfondis.

9. Un combat pour tous : Si les humains arrêtaient de consommer de la viande, ce serait positif pour tous les animaux, humains comme non humains. L’auteur mentionne des bienfaits sur bien des plans : baisse des émissions de gaz à effet de serre et de la pollution, amélioration de la santé cardio-vasculaire des humains, capacité de nourrir beaucoup plus d’humains avec la production agricole actuelle, protection accrue des forêts et de la diversité animale et végétale, etc.

10. Ces animaux qui nous font du bien : La seule présence des animaux non humains peut faire beaucoup de bien aux animaux humains. L’auteur raconte ici avec beaucoup (trop) d’anecdotes personnelles l’apport des animaux à la santé mentale et à la quiétude des êtres humains, aborde la zoothérapie et présente d’autres contributions positives des animaux sur les humains.

Pour conclure : L’auteur consacre cette conclusion presque uniquement à l’argument qu’on devrait s’occuper des humains qui souffrent avant de se consacrer au bien-être des animaux non humains. L’auteur répond bien sûr qu’on peut faire les deux et qu’en plus, si on arrêtait de manger de la viande, cela aiderait beaucoup d’humains en raison de l’impact de ce changement sur le réchauffement climatique et la disponibilité des aliments (entre autres). C’est drôle comme ce genre d’argument sans fondement est populaire, les droitistes qui disent qu’on devrait s’occuper de nos pauvres avant de penser aux réfugiés utilisant le même sophisme…

 

Post-scriptum : Ce post-scriptum est une publicité pour une fondation créée par l’auteur dans le but d’appuyer des causes concrètes pour la défense des animaux, comme la création d’un secrétariat d’État à la condition animale en France.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Je suis embêté… Même si certaines parties du livre m’ont intéressé, il m’a en général ennuyé. Tout d’abord, de très nombreux éléments présentés dans ce livre sont abordés de façon beaucoup plus approfondie et intéressante dans d’autres livres que j’ai déjà lus. Alors, aussi bien lire directement Sapiens de Yuval Noah Harari et Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ? de Frans De Waal (ainsi que quelques autres) que le compte-rendu bien moyen qui en est fait ici. Ensuite, l’idée de départ du livre de s’adresser aux animaux non humains plutôt qu’au lecteur devient vite lassante, n’ajoute absolument rien au livre, alourdit la lecture et déconcentre fréquemment. Finalement, les notes, pas très volumineuses, sont à la fin, ce qui n’est pas trop gênant, vu qu’il ne s’agit que de références.

6 commentaires leave one →
  1. MBÉ permalink
    11 septembre 2017 10 h 53 min

    Jeanne Émard est végane ?

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  2. 11 septembre 2017 13 h 26 min

    Non, pourquoi? On peut reconnaître la validité des arguments sur les effets de l’élevage sur l’environnement ou sur la faiblesse des arguments des mangeurs de viande sans nécessairement adopter un mode de vie végane. J’ai arrêté de manger des ruminants, par contre. Pour que j’aille plus loin, il faudrait qu’il y ait un vaste mouvement dans ce sens pour que cette action ait un impact significatif. Pour l’instant, mes décisions ne changent rien au contexte global. Pourquoi avoir arrêté de manger des ruminants alors? Disons que l’effort n’est pas vraiment élevé et que c’est en plus très bon pour la santé de moins manger ces viandes grasses. Et, je ne prétends surtout pas être pleinement rationnel!

    Aimé par 1 personne

  3. MBÉ permalink
    11 septembre 2017 14 h 14 min

    Les véganes ne prétendent pas être rationnels. La plupart ont des animaux de compagnies… 😉

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  4. 11 septembre 2017 14 h 32 min

    Je n’ai pas de stats à ce sujet, alors je ne commente pas! 😉

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  5. 11 septembre 2017 15 h 44 min

    Une ligne qui me fait sursauter : « En fait, bien des antispécistes tracent cette ligne avec le concept de la capacité de souffrir ou de l’être sensible (ou encore de l’intelligence et de la conscience de soi) même si, en utilisant des critères, ils font preuve de spécisme… »

    Ce n’est pas du tout charitable et un peu confus.

    Le spécisme, c’est faire de l’espèce le critère moral pour déterminer qui sont les individus qui comptent d’un point de vue moral. Si on choisit la sensibilité comme critère moral, on ne fait pas du spécisme, puisque la sensibilité n’est pas une espèce.

    On pourrait dire que le critère de sensibilité discrimine certaines espèces, celles qui n’ont pas la sensibilité, mais ce n’est pas comme ça que ça marche.

    Faisons une analogie avec le sexisme. Si je dis que les femmes ne peuvent pas travailler dans la construction parce qu’elles sont des femmes, je fais du sexisme (je discrimine selon le sexe). Mais si je dis que certaines femmes ne peuvent pas travailler dans la construction (celles qui n’ont pas la force physique nécessaire), on ne peut pas m’accuser de la même manière, si la capacité sélectionnée est pertinente pour la tâche à exécuter.

    Pour les antispécistes, la sensibilité est à la considération morale ce qu’un minimum de force physique est à la construction : un critère pertinent et pas arbitraire pour trier les individus.

    Remarquez, la sensibilité est une capacité. En étant très rigoureux, on pourrait accuser les antispécistes (j’en suis, à toute fin pratique) de faire du capacitisme puisqu’ils font d’une capacité donnée le critère moral en la matière.

    À ceci, les antispécistes répondront qu’il n’y a pas de mal à ça, la capacité à ressentir du plaisir et de la souffrance étant justement la capacité pertinente pour déterminer quels sont les individus qui doivent être respectés d’un point de vue moral.

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  6. 11 septembre 2017 16 h 00 min

    «En étant très rigoureux, on pourrait accuser les antispécistes (j’en suis, à toute fin pratique) de faire du capacitisme puisqu’ils font d’une capacité donnée le critère moral en la matière.»

    Ça me va! Il demeure que cette capacité est liée aux caractéristiques d’espèces précises (la démarcation divise les espèces entre celles qui satisfont au critère et celles qui n’y satisfont pas) et que le choix du critère est fait en fonction de la perception humaine de la réalité, qui n’est qu’une des façon de la percevoir. Là, je triche un peu en devançant le sujet d’un autre livre que je suis en train de lire, mais du même type que certains des sujets abordés par Frans De Waal dans son livre Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux ?.

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