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Le recensement et le faible revenu

5 octobre 2017

Après deux billets sur les revenus des ménages en 2015 et sur leurs cotisations à des comptes d’épargne enregistrés produits à partir des données du recensement 2016 publiées le 13 septembre dernier, je vais dans celui-ci tenter de compléter l’information transmise par les médias sur le faible revenu. Le graphique ci-contre, tiré de cet article et de cette analyse de Statistique Canada, résume bien cette information (même s’il ne présente pas la moyenne canadienne) :

  • le taux de faible revenu des ménages du Québec est un peu plus élevé que celui des ménages du Canada (14,7 % par rapport à 14,2 %) et le Québec se classe au quatrième rang des provinces à cet égard; ce rang honorable, surtout si on tient compte du fait que le Québec se classe neuvième du côté du revenu médian qui sert pourtant à établir le seuil de faible revenu, est une des conséquences heureuses du niveau moins élevé des inégalités au Québec que dans le reste du Canada;
  • le taux de faible revenu des enfants du Québec est nettement moins élevé que celui des enfants du Canada (14,3 % par rapport à 17,0 %) et le Québec se classe au deuxième rang des provinces à cet égard, mais nettement derrière l’Alberta (8,2 %); je reviendrai là-dessus un peu plus loin.

Notons que l’auteure de cet article a mal compris le document de Statistique Canada, car elle a écrit que «Près d’un enfant sur quatre au pays vit dans la pauvreté» alors que, en plus du fait que Statistique Canada parle de faible revenu et non de pauvreté (et prend même la peine d’écrire qu’il «n’existe pas de mesure de la pauvreté unique et reconnue» au Canada), l’analyse de Statistique Canada affirme plutôt que «Les enfants représentent près du quart des personnes à faible revenu au Canada». Ce n’est pas du tout la même chose! Cette phrase pourrait être vraie que le taux de faible revenu des enfants soit de 1 % ou de 50 %! Or, il était de 17,0 % au Canada, ce qui est plus près d’un enfant sur six que d’un enfant sur quatre (16,7 % et 25,0 %), et était de 14,3 % au Québec, ce qui correspond exactement à un sur sept.

Mais aucun des articles que j’ai lus n’explique la mesure de faible revenu retenue ni les conséquences de ce choix, et ne mentionne le fait que les données du recensement publiées le 13 septembre en contiennent sur trois autres mesures de faible revenu (mais pas sur une des plus utilisées, la mesure du panier de consommation ou MPC). Pour combler ces lacunes, je me servirai des quatre tableaux sur le faible revenu que Statistique Canada a rendus disponibles.

Le concept de taux de faible revenu utilisé dans les principaux documents de Statistique Canada publiés en septembre est basé sur la mesure du faible revenu après impôt (MFR-ApI). Ce taux de faible revenu correspond à la proportion de la population qui a touché moins que la moitié de la médiane canadienne du revenu après impôt ajusté des ménages. Cet ajustement vise à tenir compte de la taille des ménages. Pour ajuster le revenu d’un ménage, on divise le revenu après impôt de tous les membres de chaque ménage par la racine carrée du nombre de personnes dans le ménage. Par exemple, si l’ensemble des membres d’un ménage de quatre personnes a eu un revenu après impôt de 100 000 $ en tout, on divise cette somme par la racine carrée de quatre, soit deux, ce qui donne 50 000 $; on accorde ensuite ce revenu de 50 000 $ aux quatre membres du ménage. On établit ensuite la médiane du revenu après impôt ajusté de l’ensemble des membres des ménages et on le divise par deux. Cet exercice donne 22 133 $. On calcule ensuite le pourcentage de membres des ménages dont le revenu est inférieur à 22 133 $ et cela donne le taux de faible revenu.

Cette mesure a la qualité de permettre d’évaluer la situation des revenus d’un ménage en fonction des revenus de la société dans laquelle elle vit, mais a le défaut d’utiliser pour chaque région la somme obtenue pour l’ensemble du Canada, alors que les revenus des nombreuses communautés diffèrent grandement. En plus, le coût de la vie, surtout pour les biens de nécessité comme le logement, sont aussi très différents d’une région à l’autre. Ce facteur à lui seul explique que les taux de faible revenu des provinces aux revenus et au coût de la vie les moins élevés, comme les provinces maritimes (sauf Terre-Neuve) et le Québec, soient plus élevés que la moyenne, et que celui de l’Alberta soit aussi peu élevé. En fait, c’est parce que la distribution des revenus est plus égalitaire dans les provinces maritimes et au Québec que leurs taux de faible revenu ne sont pas encore plus élevés.

Les trois autres taux de faible revenu

Comme mentionné plus tôt, Statistique Canada a publié des taux de faible revenu selon trois autres mesures. Il s’agit de :

  • la mesure du faible revenu avant impôt (MFR-AvI) est calculé de la même façon que la MFR-ApI, mais à l’aide du revenu total (y compris les transferts gouvernementaux) avant impôt; le seuil calculé par Statistique Canada pour une personne est de 25 516 $; encore là, ce seuil est calculé pour l’ensemble du Canada;
  • les seuils de faible revenu après impôt (SFR-ApI) sont établis en utilisant les données sur les dépenses pour 1992 (!!!) pour calculer le seuil où un ménage consacre au moins 20 points de pourcentage de plus de son revenu après impôt que la moyenne des ménages à la nourriture, au logement et à l’habillement; ces seuils sont aussi calculés pour l’ensemble du Canada, mais varient en fonction du nombre de personnes dans un ménage et de la taille d’une communauté (rurale, petites villes, grosses villes, etc.); ces seuils pour un ménage d’une personne varient de 13 335 $ à 20 386 $;
  • les seuils de faible revenu avant impôt (SFR-AvI) sont établis comme les précédents, mais à partir des revenus avant impôt; ces seuils pour un ménage d’une personne varient de 16 934 $ à 24 600 $.

La MFR-AvI a le même défaut que le MFR-ApI, soit qu’il est établi pour l’ensemble du Canada sans tenir compte des revenus des communautés et du coût de la vie qu’on y trouve. En plus, les seuils de cette mesure, en incluant l’impôt, sont calculés à partir de sommes dont les ménages ne disposent pas pour leurs achats.

Les SFR ont encore plus de défauts. Tout d’abord, ils sont établis en fonction de la structure des dépenses des ménages de 1992. Non seulement le panier de consommation des ménages a grandement changé depuis 1992 (il y a 25 ans!), mais ces seuils sont en fait simplement indexés selon l’indice des prix à la consommation (IPC) depuis 1992! Comme les ménages se sont quand même enrichis depuis 1992 et que de nombreux biens et services se sont ajoutés au panier de consommation sans que cette mesure en tienne compte, le maintien de ces seuils en dollars constants année après année fait diminuer artificiellement le taux de faible revenu. Finalement, comme les MFR, ils sont calculés pour l’ensemble du Canada, comme si le coût du logement (ainsi que celui des vêtements et de l’alimentation) était le même partout, ce qui fait en sorte que le faible revenu est sous-estimé en Ontario et en Colombie-Britannique, et qu’il est surestimé au Québec et dans les provinces maritimes. Malgré ces lacunes importantes, cette mesure est passablement utilisée.

Quelques graphiques

Je vais présenter dans le reste de ce billet quelques graphiques (huit) montrant les taux de faible revenu selon ces quatre mesures pour différentes populations. Cela permettra à la fois de visualiser les différences de taux entre ces mesures et entre ces populations.

Le premier graphique montre les taux de faible revenu pour l’ensemble des ménages en 2005 et en 2015. La première série de barres, soit celles de la MFR-ApI, montre des taux d’une même ampleur en 2005 et en 2015, tant au Québec qu’au Canada, si ce n’est que le taux de faible revenu a légèrement diminué au Québec (de 15,3 % à 14,7 % entre ces deux années). Les tendances furent les mêmes pour la MFR-AvI, sauf que les taux sont plus élevés, ce qui est normal, car, comme les plus pauvres paient peu d’impôt, leurs revenus avant impôt sont à peine plus élevés que leurs revenus après impôt, mais le seuil, lui, est passablement plus élevé (25 516 $, soit 15 % de plus que le seuil de la MFR-ApI de 22 133 $). En plus, la différence entre les taux canadiens et québécois est un peu plus élevée, ce qui est aussi normal, car l’effet égalisateur de l’impôt est plus important au Québec qu’au Canada (en plus du fait qu’il entraîne une plus forte diminution du revenu médian après impôt au Québec qu’au Canada). Comme mentionné dans la présentation des SFR, leurs taux de faible revenu sont beaucoup moins élevés que ceux des MFR, et ont baissé de façon notable entre 2005 et 2015, tant au Canada qu’au Québec et tant avant qu’après impôt (baisses allant de 16 à 26 %).

Le deuxième graphique porte sur les taux de faible revenu des enfants (en fait, des ménages avec enfants) et montre clairement que, selon les quatre mesures, ces taux sont nettement moins élevés au Québec (barres bleues) que dans l’ensemble du Canada (barres rouges). Alors que ces quatre taux sont plus élevés que pour l’ensemble de la population pour le Canada de 10 à 20 % selon la mesure, ils sont moins élevés au Québec de 2 à 10 %. Comme ce phénomène s’observe aussi bien dans les mesures avant qu’après impôt, on peut en conclure que les transferts et l’impôt sont plus avantageux pour les familles avec enfants au Québec qu’au Canada.

Les taux de faible revenu des personnes âgées de 65 ans et plus varient beaucoup plus selon la mesure que pour l’ensemble de la population ou pour les enfants. Par exemple, ce taux selon la MFR-AvI, le plus élevé, est plus de quatre fois plus élevé que celui selon les SFR-ApI, le moins élevé, au Québec (28,5 % par rapport à 6,6 %) et au Canada (22,1 % par rapport à 5,1 %). En fait, ces écarts, aussi bien entre les taux de faible revenu avant et après impôt qu’entre ces taux selon la MFR et les SFR, nous montrent que les personnes âgées sont nombreuses à avoir un revenu suffisant pour surpasser les seuils des SFR, mais pas assez élevé pour dépasser les seuils des MFR. Cela indique probablement le niveau à peine adéquat des prestations du Supplément de revenu garanti (SRG). La différence plus élevée que pour les autres populations entre ces taux au Québec et dans l’ensemble du Canada pour les quatre mesures est sûrement la conséquence des plus faibles revenus privés de retraite et d’emploi au Québec, surtout chez les femmes âgées, historiquement moins présentes sur le marché du travail à l’époque où elles étaient en âge de travailler. D’ailleurs, l’écart de ces taux entre les hommes et les femmes (données non présentées) est nettement plus élevé au Québec (entre 3 et 8 points de pourcentage selon la mesure) qu’au Canada (entre 2 et 6 points de pourcentage).

Les taux de faible revenu des hommes et des femmes varient beaucoup moins que les données mentionnées pour les femmes et les hommes âgés de 65 ans et plus le laissaient penser. Alors que ces différences se situaient entre 3 et 8 points de pourcentage selon la mesure entre les femmes et les hommes âgés de 65 ans et plus, elles varient entre -0,7 (moins élevés chez les femmes!) et +1,8 point dans les autres tranches d’âge (données non illustrées). Le graphique ne montre par ailleurs que de faibles différences entre les taux de faible revenu canadiens et québécois, sauf pour la MFR-AvI, seule mesure où ces écarts dépassent 1 point de pourcentage.

Les taux de faible revenu des ménages avec des hommes chefs de famille monoparentale sont plus élevés que ceux de la moyenne d’entre 10 et 40 %. Ceux tirés de la MFR sont légèrement plus élevés au Québec tandis que ceux de la SFR le sont plus au Canada, ce qui indique qu’il y a proportionnellement plus de Québécois dont le revenu se situe entre les niveaux des seuils de la SFR et de ceux de la MFR. Cela pourrait aussi signifier que les pères monoparentaux à faible revenu du Canada sont plus pauvres que ceux du Québec, mais les données ne permettent pas de conclure avec certitude à ce sujet. Cela dit, cela pourrait être une conséquence du fait que les transferts pour les familles avec enfants et le programme de service de garde à contribution réduite (qui n’existe qu’au Québec) avantagent les pères monoparentaux du Québec par rapport à ceux du Canada.

Les taux de faible revenu des ménages avec des femmes cheffes de famille monoparentale sont beaucoup plus élevés que ceux de la moyenne et que ceux des hommes dans la même condition, mais ces écarts sont nettement plus importants pour les Canadiennes (écarts moyens de 100 % avec la moyenne et de 65 % avec les hommes monoparentaux) que pour les Québécoises (écarts moyens de 80 % et de 50 %). Encore là, les transferts pour les familles avec enfants plus avantageux au Québec qu’au Canada ainsi que la présence du programme de service de garde à contribution réduite semblent expliquer ces différences.

Les taux de faible revenu des ménages formés d’un couple avec enfants sont moins élevés que ceux de la moyenne de 40 à 50 % au Québec et de 25 à 35 % au Canada. Ces taux sont aussi nettement plus faibles au Québec qu’au Canada. Le niveau moins élevé de faible revenu pour ces familles s’explique en premier lieu par le fait que ces ménages sont majoritairement formés d’au moins deux personnes qui ont un revenu d’emploi. Le niveau plus faible au Québec qu’au Canada est sûrement dû en grande partie aux deux facteurs mentionnés dans les deux paragraphes précédents.

Finalement (car toute bonne chose a une fin), les taux de faible revenu des ménages formés d’une seule personne sont les plus élevés parmi les types de ménages présentés ici, avec des taux plus élevés que la moyenne de 115 à 155 % au Québec et de 110 à 125 % au Canada. Cette fois, il est clair que ces ménages n’ont pas bénéficié des deux facteurs mentionnés dans les trois derniers paragraphes. En plus, comme la proportion de personnes vivant dans des ménages formés d’une seule personne est beaucoup plus élevée au Québec (14,8 %) que dans le reste du Canada (10,5 %), le taux élevé de faible revenu dans ces ménages fait bien plus augmenter le taux de faible revenu moyen au Québec qu’au Canada.

Et alors…

Ce petit exercice a permis de mieux connaître les caractéristiques des quatre mesures de faible revenu pour lesquelles Statistique Canada a publié récemment des données tirées du recensement de 2016 ainsi que l’influence de ces caractéristiques sur les taux de faible revenu qui y sont associés. Mais, plus intéressant, je pense, cet exercice nous a aussi permis de prendre connaissance des différences de ces taux selon les types de ménages ainsi que d’effleurer l’influence des politiques publiques sur l’ampleur du faible revenu. Cela montre aussi que la pauvreté n’est pas une fatalité et qu’il est possible de la combattre efficacement si on a la volonté politique de le faire. J’aurais aimé compléter ce portrait avec des données historiques sur l’évolution des taux de faible revenu selon les mesures de faible revenu et certains types de ménages, mais ce sera pour une autre fois (la semaine prochaine, peut-être…)!

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