La démondialisation ou le chaos
Face à de nombreux événements qui semblent nous mener au chaos, Aurélien Bernier propose avec son livre La démondialisation ou le chaos – démondialiser, décroître et coopérer de redonner espoir en l’avenir avec un projet politique reposant sur trois piliers : «la démondialisation pour rompre avec le capitalisme, la décroissance pour répondre aux crises environnementales et la coopération internationale pour renouer avec l’idée de justice sociale au sens le plus global».
Introduction : «Face [au] capitalisme hégémonique, les mouvements progressistes sont dépassés. Ils doivent se battre à la fois contre une classe dominante extrêmement puissante et contre un fatalisme qui s’est profondément ancré dans la conscience collective». Pour pouvoir surmonter ces obstacles, l’auteur ne voit qu’une piste de solution, soit d’«articuler la démondialisation, la coopération, la décroissance et la répartition des richesses dans un seul et même projet politique», alors que les mouvements qui prônent chacun de ces objectifs luttent actuellement trop souvent séparément les uns des autres.
1. De quoi la mondialisation est-elle le nom? : Le concept et la réalité de la mondialisation ont grandement évolué au cours du dernier siècle. Les objectifs des entreprises transnationales ne sont plus uniquement de conquérir de nouveaux marchés, mais aussi et surtout de discipliner les salariés et leurs revendications, et les États et leurs politiques (fiscales, sociales, environnementales, pénales, etc.). L’auteur donne ensuite de nombreux exemples de ces «nouveaux» objectifs, insistant entre autres sur la mondialisation de la culture des États-Unis, qui n’est en fait qu’une forme d’impérialisme culturel.
2. L’échec des forces progressistes : L’auteur relate le contexte du virage à droite des partis socialistes et sociaux-démocrates après les Trente Glorieuses, et même un peu avant en Allemagne. Il poursuit en racontant:
- la montée en popularité de l’altermondialisme dans les années 1990, qui, même si prometteuse, n’a pas amené de changements durables;
- l’élection de gouvernements de gauche en Amérique du Sud qui, même si elle a permis une réduction de la pauvreté, a vu ses efforts limités par la grande dépendance de ces économies aux matières premières;
- les contestations des mouvements d’indignation et d’occupation, qui se sont éteintes sans avancées notables;
- l’élection d’un vrai parti de gauche en Grèce (mais qui s’est enlevé toute marge de manœuvre en refusant d’envisager la sortie de la zone euro) et la montée d’autres de ces partis en Espagne, au Portugal, en France et en Allemagne (ainsi que le virage à gauche du parti travailliste au Royaume-Uni), événements qui n’ont pas permis de changement réel.
L’auteur conclut de ce tour d’horizon que «Les mouvements qui devraient porter l’utopie ne sont plus crédibles. Si leurs positions n’évoluent pas, ils sont voués à disparaître».
3. Démondialiser : L’auteur présente tout d’abord quelques documents et livres portant sur la démondialisation. Si certains auteurs de ces textes abordent la question avec clarté, d’autres (notamment des politiciens) semblent plutôt dénaturer ce concept pour des motifs électoralistes. L’auteur considère qu’on ne peut pas vraiment démondialiser sans remettre en question le capitalisme. Il émet ensuite une série de recommandations portant aussi bien sur la monnaie et la dette que sur la forme juridique des entreprises, les nationalisations nécessaires et bien d’autres sujets.
4. Refuser la croissance : Après avoir démontré que nous consommons beaucoup plus de ressources que la Terre ne peut en régénérer, l’auteur tente de rejeter certaines solutions qu’il juge inadéquates. Il s’attaque en premier lieu à l’altercroissance (que je favorise) avec un raisonnement que j’ai trouvé circulaire et utilisant le sophisme de l’épouvantail, soit en supposant que les altercroissancistes ne prônent pas de changement majeur au système économique et donc, au mode de vie, alors que ces changements sont justement à la base du concept d’altercroissance. Il ne s’agit pas de produire les mêmes choses en consommant moins de ressources comme il le dit, mais de cesser la production de biens qui utilisent beaucoup de ressources (comme des automobiles individuelles) et de produire plus de services qui utilisent peu ou pas de ressources tout en améliorant vraiment le bien-être de la population, comme des services sociaux.
Cela dit, l’auteur a bien raison de reprocher à bien des politiciens d’avoir dénaturé les concepts d’autre croissance, de développement durable et d’économie verte pour faire bonne figure. Il décrit ensuite sa vision de la décroissance qui me semble surprenamment timide en termes de modification du mode de vie, car visant surtout les modes de production (comme l’obsolescence planifiée) et la fabrication de biens de luxe et d’armements. Il parle bien d’investissements dans le transport en commun et le logement (financés on ne sait trop comment par des fonds publics), mais sans préciser s’il vise la disparition de la voiture individuelle. Il mentionne aussi l’agriculture, mais insiste surtout sur le mode de production industrielle (surutilisation des pesticides et des antibiotiques, entre autres) et sur les pertes inutiles (aliments jetés lors du processus de fabrication), sans parler spécifiquement du gaspillage de ressources que constitue l’élevage. Je suis peut-être un peu sévère ici, car il y a quand même de bons points dans ses propositions.
5. Sortir de l’ère néocoloniale : L’auteur fait rapidement le tour de l’ère coloniale et de l’arrivée de l’ère néocoloniale qui l’a suivie. Il explique plus longuement pourquoi les anciennes colonies et les autres pays en développement ont échoué dans leurs tentatives d’émancipation. Il recommande notamment que la France quitte le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), qu’elle nationalise les entreprises des secteurs dits stratégiques comme l’énergie, les télécommunications, la défense, les matières premières et la construction (avec ou sans indemnités, dans le cas de firmes coupables de «crimes économiques»), et qu’elle se contente de démanteler les autres entreprises multinationales trop grosses. Il poursuit en plaidant pour le droit des pays à l’autonomie en reconnaissant le droit démocratique des peuples de choisir leur propre système économique et politique.
Il conclut ce chapitre en prônant la coopération, tout en reconnaissant qu’il peut être difficile, voire contradictoire, de respecter l’autonomie d’un pays tout en lui demandant de coopérer (par exemple à la réduction des émissions de gaz à effet de serre), surtout quand l’autre pays a un système politique et économique néolibéral ou autoritaire. Sa solution repose sur la nationalisation des multinationales effectuée plus tôt. Comme elles sont présentes dans ces pays aussi, on pourrait leur imposer «une exemplarité absolue en termes de protection sociale des employés, de respect de l’environnement et de démocratie interne. Non seulement ces changements auront pour effet d’améliorer directement les conditions de vie des salariés et des populations locales, mais ils constitueront des points d’appuis majeurs pour les luttes sociales, dans le respect scrupuleux de la souveraineté des peuples». Simple, non?
6. Transformer les relations marchandes : Dans ce chapitre, l’auteur présente les changements qu’il voudrait instaurer dans les relations marchandes internationales. Il faudrait changer «la structure des échanges de marchandises et de services, les stratégies d’investissement et le fonctionnement des multinationales, et [reprendre] le contrôle public des outils financiers». Il fournit ensuite des recommandations pour atteindre ces objectifs.
7. Développer la coopération non marchande : L’auteur donne comme exemple à imiter l’envoi de médecins par Cuba dans d’autres pays ayant des systèmes de santé moins élaborés que le sien. Il aimerait bien voir la France en faire autant dans d’autres domaines, notamment en éducation, en agronomie, en transports, en environnement et en gestion de l’eau. Il recommande aussi une augmentation de l’aide aux pays en développement, mais avec un véritable esprit de coopération. Pour les pays développés, il croit qu’il serait possible de coopérer avec les régions ou villes progressistes de pays ayant encore des systèmes politiques et économiques opposés aux valeurs qu’il met de l’avant. Il propose par ailleurs de modifier les politiques d’immigration pour compenser les pays d’où proviennent les immigrants sélectionnés (en général formés à coûts élevés dans leur pays d’origine), d’améliorer les programmes d’accueil, d’assurer l’asile aux réfugiés politiques et climatiques, et de terminer la décolonisation des territoires d’outre-mer français.
En guise de conclusion : Face au chaos actuel (crises économiques, austérité néolibérale, terrorisme alimenté par le néocolonialisme, racisme et repli identitaire de l’extrême droite, crises écologiques et sanitaires, etc.), les résistances sont pour l’instant morcelées. L’auteur considère que seul son projet, reposant sur la démondialisation, la décroissance et la coopération, peut permettre, même si cela sera difficile, d’offrir une alternative viable.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Pas sûr… Si son idée de viser l’union des forces progressistes (cette expression, en plus d’être un clin d’œil à un des partis qui ont fondé Québec solidaire, aurait fait un meilleur titre que celui-ci axé sur un seul des trois piliers du projet de l’auteur), c’est-à-dire l’union des personnes qui militent aussi bien pour la démondialisation que pour la décroissance, la coopération, l’environnement et d’autres enjeux progressistes, est excellente, ses propositions et recommandations m’ont plutôt refroidi. Il est possible que j’aie lu trop de livres qui mettent en vedette LA solution d’un auteur pour régler tous les problèmes. Livre après livre, j’en sors déçu par le manque de précision sur les moyens d’atteindre les objectifs des auteurs, surtout sur la transition entre la situation actuelle et l’utopie qui nous est présentée. Dans ce livre, cette lacune (y a-t-il au moins un organisme, regroupement ou parti politique qui appuie le programme de l’auteur?) est doublée de projets qu’il est difficile d’imaginer se réaliser sans réaction d’une opposition qui est pourtant plus puissante que jamais (ce qu’il reconnaît). On va tout nationaliser sans coup férir, modifier les biens et services produits par les entreprises nationalisées tout en améliorant les conditions de travail de leurs employés et leurs processus de production en un tour de main, et ainsi convaincre la population d’autres pays d’embarquer avec nous! En même temps, on va augmenter l’aide aux pays en développement et nos investissements en transports en commun et en logement, tout en appliquant la décroissance. J’ai comme un doute! Mais bon, comme je le dis tout le temps après ce genre de critique, je n’ai pas de solution plus réaliste en tête… Au moins, les notes sont en bas de pages!