L’empire de l’or rouge
Dans son livre L’empire de l’or rouge – enquête mondiale sur la tomate d’industrie, le journaliste Jean-Baptiste Malet relate les résultats d’une enquête qu’il a menée pendant deux ans tout autour du globe pour savoir «Où, comment et par qui ces tomates [d’industrie qu’on nous vend en boîte de conserve, sur une pizza ou dans une bouteille de ketchup] sont-elles cultivées et récoltées?». On verra que l’histoire que nous raconte l’auteur n’est qu’une autre facette du «capitalisme mondialisé», où tout n’est qu’une marchandise.
Chapitre premier : L’auteur décrit tout d’abord le travail d’ouvriers et surtout ouvrières chinois.es dans des champs de tomates immenses. Ces ouvrier.ères sont souvent accompagné.es de leurs enfants (les moins jeunes travaillent aussi) qui s’intoxiquent souvent en mangeant des tomates non lavées recouvertes de pesticides. Il nous invite ensuite dans une usine de première transformation qui produit du concentré de tomates qui sera exporté vers des usines de deuxième transformation (ketchup, pâtes de tomates, etc.) de pays occidentaux, surtout. Il explique finalement le rôle prépondérant de la société Heinz à toutes les étapes de la production et de la commercialisation.
Chapitre II : Le concentré exporté de la Chine ne sert pas qu’aux produits Heinz, mais aussi à ceux supposément typiques de différentes régions (dont de la Provence). L’auteur nous apprend que la tomate industrielle est bien différente de celles qu’on achète : plus dure et contenant moins de liquide et plus de chair. Elle représenterait le quart de la production mondiale de tomates (information à prendre avec des pincettes, car les données fournies par l’auteur ne balancent pas toujours et sont parfois carrément erronées).
Chapitre III : L’auteur raconte quelques événements historiques illustrant la puissance de la société Heinz et montre à quel point elle est représentative de la place prise par les entreprises géantes dans le capitalisme mondialisé. On apprend entre autres que Henry John Heinz a appliqué le taylorisme et a compris l’importance d’offrir de bons salaires bien avant Henry Ford. Heinz n’a d’ailleurs jamais connu de grève, à une époque où celles-ci étaient nombreuses et sévèrement réprimées.
Chapitre IV : L’auteur explique comment il a réussi à rencontrer un ancien président de la plus grosse société chinoise de production de concentré de tomates. Le résultat est intéressant, mais n’explique que le processus qui a amené la Chine à s’intéresser à la production de tomates, sans plus.
Chapitre V : L’auteur nous parle maintenant de la société italienne Petti. Elle aussi utilise des tomates industrielles pour ses produits courants, mais aussi d’autres tomates notamment bio pour ses produits de luxe.
Chapitre VI : L’auteur explique les différents mouvements d’importations-exportations (et de réexportations) de produits de la tomate entre la Chine, l’Italie et le reste du monde (l’Afrique servant entre autres à écouler les concentrés périmés, voire pourris), en profitant souvent d’une réglementation laxiste ou contournée (notamment par des entreprises gérées par la mafia qui prétendent par exemple que des concentrés chinois qu’elles mettent en conserve sont italiens). J’en profite pour insérer l’image ci-contre qui illustre les mouvements les plus importants de ce commerce.
Chapitre VII : L’auteur raconte l’histoire de la conserve, de l’amélioration des techniques agricoles pour la culture de tomates en Italie, de l’évolution de ses exportations et finalement de l’invention de machines pour accélérer la fabrication de divers produits de la tomate, dont du concentré, machines qui seront ensuite exportées dans de nombreux pays, dont en Chine à partir des années 1990.
Chapitre VIII : Nous visitons dans ce chapitre une usine désaffectée en Chine.
Chapitre IX : L’auteur nous explique que la croissance de la production de tomates en Chine dans les années 1990 s’est réalisée à la suite d’ententes avec des fabricants de machinerie italienne et avec d’autres sociétés italiennes de distribution de tomates pour écouler cette nouvelle production. Mais, les Chinois ont construit trop d’usines et ont dû en détruire quelques-unes, dont celle que nous avons visitée dans le chapitre précédent. L’auteur décrit ensuite le cartel italien qui a alors gonflé pour accaparer une grande partie de la production mondiale et pour permettre les magouilles présentées dans les précédents chapitres. La croissance de la production chinoise a aussi été entourée d’irrégularités (camps de travail, pots de vin, etc.). Au bout du compte, la Chine est devenue le plus grand exportateur mondial de tomates industrielles dans les années 2000 et le deuxième producteur (derrière les États-Unis) à égalité avec l’Italie.
Chapitre X : L’auteur se penche plus à fond sur la croissance de la société transnationale Heinz. Il raconte comment elle a su profiter de ses liens avec le parti républicain et des interventions d’anciens politiciens, comme Henry Kissinger, pour favoriser ses investissements en Chine et en Afrique (notamment au Zimbabwe du dictateur Robert Mugabe). Il poursuit en relatant les nombreux scandales de rappels de pots de nourriture pour bébés Heinz produits en Chine depuis au moins 10 ans, alors qu’on a retrouvé des traces de mélamine dans ses produits, puis d’autres fois du mercure et enfin du plomb.
Chapitre XI : Nous visitons cette fois une des plus grosses usines de première transformation de tomates. Même si la production dans ses trois usines équivaut à celle de la Chine, la société Morning Star de Californie n’embaucherait que 400 employé.es! L’auteur présente diverses innovations qui ont permis ce niveau d’automatisation inégalé ailleurs (pour l’instant!).
L’auteur raconte ensuite que la culture de la tomates (et d’autres produits) a été marquée en Californie par le quasi-esclavage des ouvriers, d’abord autochtones, puis chinois (immigrés à l’origine pour construire le chemin de fer), japonais et mexicains. Ce n’est que lorsque John Kennedy mit fin en 1963 au programme qui permettait aux propriétaires de disposer d’une main-d’œuvre immigrante presque infinie pour remplacer les ouvriers plus revendicateurs que les conditions de travail se sont un peu améliorées. Mais cela n’a pas duré, car les propriétaires ont alors investi pour développer une tomate qui pouvait être récoltée par des machines (avant cela, les machines écrapoutissaient les tomates), la tomate d’industrie. Dès 1970, 98 % de la récolte était automatisée, avec seulement quelques employé.es pour compléter le travail de la machinerie et pour vérifier son fonctionnement.
Chapitre XII : L’auteur revient plus en détail sur le commerce de tomates en conserve en Afrique. Vendu comme italiennes (car mis en conserves en Italie…), ces produits sont en fait du concentré chinois transformé. D’ailleurs, les Chinois ont fini par se passer de leurs intermédiaires italiens pour transformer eux-mêmes leur concentré, le mettre en conserve et le vendre en Afrique.
Chapitre XIII : L’auteur nous fait visiter une conserverie chinoise, beaucoup moins moderne que l’usine californienne visitée il y a deux chapitres. Elle compte beaucoup plus de travailleurs, mais ceux-ci doivent endurer des conditions de travail très difficiles (chaleur, bruit, plancher glissant, etc.), avec des mesures de sécurité minimales.
Chapitre XIV : Se faisant passer pour un négociant qui veut exporter des conserves de concentré de tomates en Afrique lors d’un Salon international de l’alimentation (SIAL) tenu à Paris, l’auteur fait avouer à des représentants chinois qu’ils coupent leur concentré avec de l’amidon ou du soya ou de la poudre de carottes, ou… On lui propose même parfois de les couper davantage pour faire baisser les prix! Ainsi, selon l’auteur, il ne resterait souvent que le tiers de concentré de tomates dans les conserves les moins chères et guère plus de 50 % dans les plus chères!
Chapitre XV : L’auteur nous amène dans ce chapitre au Ghana. Anciennement gros producteur et transformateur de tomates, il n’en produit plus seulement que pour en vendre au marché. Ce recul est à la fois dû à des événements politiques (ajustements structurels, renversements politiques menés par la CIA, etc.) et à l’envahissement de ce marché par les concentrés (coupés…) chinois.
Chapitre XVI : Ce ne fut pas mieux au Sénégal. Autre pays avec une industrie vigoureuse de la tomate, le Sénégal a aussi subi les conséquences néfastes des ajustements structurels et du dumping chinois de concentré de tomates. L’auteur nous montre que la quasi disparition de cette industrie n’est pas étrangère avec la vague d’immigration africaine en Europe (surtout en Italie) par la Méditerranée et avec les nombreuses morts qu’elle entraîne.
Chapitre XVII : L’auteur nous fait maintenant voir des ghettos du sud de l’Italie, dans les Pouilles. On y trouve de nombreux Africain.es qui ont survécu à leur traversée de la Méditerranée et qui sont exploité.es par les «caporaux» mafieux de l’industrie agricole, notamment pour la récolte des tomates. Non seulement leurs salaires sont ridicules, mais il est amputé des frais de logement (des baraques sans eau courante!) et de transport pour se rendre des ghettos aux champs (!!). Et, bien sûr, les autorités regardent ailleurs. Ce chapitre est étrangement un des plus durs du livre, la vie de ces ouvriers étant encore plus misérable que celle des paysans africains ou chinois.
Chapitre XVIII : L’auteur retrace l’histoire des «caporaux» mafieux qui se sont imposés bien avant l’arrivée de l’immigration illégale. Ils contrôlent donc depuis des décennies (son récit commence vers 1920) la main-d’œuvre agricole de l’Italie.
Chapitre XIX : Dans ce dernier chapitre, l’auteur visite une usine ghanéenne dans laquelle on produit des conserves pour l’ancien président de la plus grosse société chinoise de production de concentré de tomates rencontré au chapitre IV. Sans jeu de mots, on atteint ici le fond du baril, les concentrés utilisés étant carrément pourris avant même d’être mis en conserve.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre est un véritable concentré de capitalisme mondialisé juteux! On n’en saura jamais assez sur les multiples facettes de l’exploitation des humains par d’autres sapiens… Même si j’ai des réserves envers le style journalistique, surtout que l’auteur cite rarement ses sources et fournit parfois des données douteuses ou que je sais carrément fausses (totaux qui ne balancent pas, secteur financier qui accaparerait 46 % du PIB des États-Unis, etc.), ce livre se lit très bien. En plus, je dois avouer que je ne connaissais pas grand-chose du commerce de la tomate d’industrie et des magouilles qui l’entourent. Que des capitalistes trompent leur clients sur la nature et l’origine des produits qu’ils vendent n’est pas étonnant, c’est même classique, mais qu’ils fournissent de la nourriture qu’ils savent avariée à leurs clients atteint un autre sommet du capitalisme sauvage. En plus, les notes sont en bas de page!
J’ai beaucoup de difficulté à comprendre ton argumentation et je suis sidéré par la conclusion. Ce journaliste découvre des entreprises qui font de la fraude, dont certaines sont contrôlées par le crime organisé, et ça c’est la faute du capitalisme?
Il n’y a aucun espèce de rapport entre le capitalisme et ce qui est relaté dans ce livre. Quand une entreprise trompe ses clients, elle ne pratique pas le capitalisme, elle commet un crime.
D’ailleurs, tous les pays impliqués ici sont parmis les moins capitalistes de la planète! Et j’inclue l’Italie là-dedans, qui avec la Grèce est probablement le pays le moins capitaliste de l’Europe occidentale.
De tels crimes surviendraient dans n’importe quel système économique. Des gens qui tournent les coins ronds (euphémisme) pour s’en mettre plein les poches sur le dos des autres, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Pas besoin d’aller chercher bien loin pour trouver des exemples, à commencer par les entreprise d’état, qui sont à l’opposé du capitalisme.
Ceci dit, comment ne pas reconnaître que c’est dans les pays où la propriété privée est le mieux défendue par le système légal et où la liberté économique individuelle est la meilleure que ces crimes surviennent le moins et sont le plus punis?
La raison est simple: dogmatisme idéologique. Si quelqu’un commet une fraude pour faire du profit, c’est forcément un capitaliste!
Doit-on encore rappeler que le capitalisme implique simplement l’accroissement de la production par le réinvestissement des profits dans le capital productif et que ces profits doivent résulter d’échanges VOLONTAIRES.
Or, il n’y a pas d’échanges volontaires lorsque l’information est falsifiée ou lorsqu’un être humain se voit soumis à l’esclavage par le crime organisé. Dans ces cas, on ne peut pas parler de capitalisme.
C’est vraiment déplorable et frustrant de lire de telles sottises.
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Nous n’avons pas du tout la même vision du capitalisme, vous devriez le savoir depuis longtemps. Et je n’ai aucune envie d’argumenter sur le sujet, j’ai déjà donné.
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@Minarchiste
Le but même du capitalisme n’est pas de prôner une saine concurrence mais de la détruire!
Cela reste un rapport de force et la liberté individuelle ne pèse rien devant les multinationales…
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