Aller au contenu principal

Les importations de pétrole au Québec

23 novembre 2017

Dans mon billet précédent sur les importations de pétrole au Québec datant de mars 2016 et présentant des données jusqu’à la fin de 2015, on a pu prendre connaissance de deux tendances récentes : les États-Unis étaient devenus depuis 2014 le principal fournisseur étranger de pétrole au Québec et le reste du Canada a soudainement fourni la moitié du pétrole utilisé au Québec en décembre 2015 en raison de l’entrée en fonction de la canalisation 9B d’Enbridge, le 30 novembre 2015.

Je m’étais bien juré de suivre de près cette situation, surtout dans le cas de la contribution du reste du Canada à l’approvisionnement des raffineries du Québec, mais les sources que j’ai utilisées dans le billet précédent sur le sujet n’ont vraiment pas collaboré… En effet, Statistique Canada a mis fin en février 2016 à la production du tableau cansim 126-0001 pour le remplacer par le tableau 126-0003 qui n’est pas identique, «n’est plus directement comparable avec l’information qui était disponible dans le tableau CANSIM 126-0001» et contient plus de données confidentielles que de données publiées. De son côté, l’autre tableau que j’ai utilisé pour estimer la proportion du pétrole provenant du reste du Canada, le tableau 134-0001, contient aussi beaucoup plus de données confidentielles pour les années 2015 à 2017 que pour les années précédentes. J’ai toutefois pu consulter un document de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal qui m’a convaincu de la possibilité de présenter un portrait au moins approximatif de la contribution du reste du Canada à l’approvisionnement du Québec en pétrole. Quant à la provenance de nos importations internationales, la source que j’utilisais, soit le site des Données sur le commerce en direct, est toujours disponible (fiou!).

Provenance des importations

Le graphique ci-contre vient de la page numérotée 8 du document État de l’énergie au Québec de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal dont j’ai parlé en amorce. La mention des sources m’a quasiment plus intéressé que le graphique. On y mentionne en effet que ce graphique a été produit à l’aide de deux sources, soit du tableau 134-0001 (dont j’ai parlé en amorce) et de la Base de données sur le commerce international canadien de marchandises de Statistique Canada (je préfère utiliser le site des Données sur le commerce en direct qui contient les mêmes données, car l’interface y est plus conviviale). On y dit aussi que les données de ces deux sources «ne sont pas entièrement cohérentes», ce que j’ai aussi soulevé avec les autres sources que j’ai utilisées. Je me suis dit que si les membres de cette chaire des HEC pouvaient produire un tel graphique avec des données incomplètes, je pouvais aussi me permettre d’essayer!

Je dois avouer que je déteste ce genre de graphique et celui-là encore plus. Tout d’abord, à part la section du bas (pétrole provenant du Canada), il est difficile de bien visualiser l’évolution des parts des pays. Ensuite, je préfère regarder l’évolution des parts des pays étrangers sur un graphique différent de l’évolution de la part du Canada. Finalement, ce graphique laisse penser qu’il présente tous les pays qui approvisionnent le Québec en pétrole, car le graphique est plein (le sommet est à 100 %), alors que certains pays d’où on en a fait venir (comme le Mexique) sont absents du graphique. Alors, plutôt que de commenter un graphique que je n’aime pas et qui est manifestement erroné, je vais réaliser et présenter mes propres graphiques!

Le graphique qui suit présente justement la proportion des importations internationales de pétrole du Québec provenant des plus importants pays fournisseurs de 2013 à 2017 (au cours des sept premiers mois), selon les données de Statistique Canada compilées par Industrie Canada sur le site des Données sur le commerce en direct. Pour ce, j’ai utilisé les données pour l’industrie «Extraction de pétrole et de gaz» (code SCIAN 211). J’ai aussi vérifié en utilisant plutôt les données par produit avec le code SH (système harmonisé de désignation et de codification des marchandises) 270900 – Huiles brutes de pétrole ou de minéraux bitumineux, et les résultats furent les mêmes (écart maximal inférieur à 0,1 %…).

Ce graphique montre que le changement le plus important de la répartition des importations de pétrole par le Québec par pays de provenance a eu lieu entre 2013 et 2014. Alors que seulement 8,4 % de la valeur de ses importations de pétrole venait des États-Unis en 2013, c’était le cas de 52 et 54 % de celles-ci en 2014 et 2015, de 41 % en 2016 et de 60 % au cours des sept premiers mois de 2017. Entre 2013 et 2017, ce sont les parts des importations de pétrole en provenance de la Norvège (baisse de 16,7 % à rien du tout), du Kazakhstan (baisse de 12 points de pourcentage), de l’Angola (de 9,0 % à rien du tout en 2016 et en 2017), du Mexique (de 6,5 % à rien du tout de 2015 à 2017) et de l’Azerbaïdjan (de 3,4 % à rien du tout en 2017) qui ont le plus diminué. Pays de provenance de près du quart des importations de pétrole en 2013 (et entre 29 et 42 % entre 2003 et 2012), l’Algérie a vu sa part baisser de moitié en 2014 et en 2015 avant d’atteindre 40 % en 2016 et revenir à 25,5 % au cours des sept premiers mois de 2017. Malgré d’importantes variations annuelles, la part des importations provenant du Royaume-Uni n’a baissé que de 1,4 point entre 2013 et 2017, tandis que celle du Nigéria s’est à peu près maintenue, avec de petites hausses et baisses selon les années (toujours entre 3,5 % et 7,5 %).

Dans mon dernier billet sur le sujet, je justifiais sa mise à jour en citant les affirmations intempestives du premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, sur le fait que les Québécois qui reçoivent de la péréquation grâce aux autres provinces canadiennes «utilisent du pétrole de n’importe quel autre pays que le Canada» (notamment «de l’Irak, de l’Algérie, de l’Arabie Saoudite, du Venezuela et des États-Unis»). Ayant montré que le Québec n’importe plus de pétrole de trois de ces pays depuis des années, ce que bien d’autres personnes dont des politiciens ont confirmé, je ne m’attendais plus à entendre de telles énormités en 2017. J’avais tort… En effet, pas plus tard qu’en août dernier, c’était au tour de Jason Kenney, ancien ministre fédéral, candidat à la direction du Parti conservateur uni de l’Alberta à l’époque (il a gagné) de répéter les mêmes inanités : «Dans sa diatribe, Jason Kenney a également fustigé « les bobos et les gauchistes québécois, les gens de Québec solidaire, qui préfèrent acheter le pétrole de l’Arabie saoudite, de la République islamique de l’Iran ou de la République socialiste du Venezuela, au lieu du pétrole canadien de l’Ouest». Comme le montre le graphique qui suit, M. Kenney est encore plus fort que M. Wall, car ce dernier avait au moins nommé deux pays d’où le Québec importe du pétrole (l’Algérie et les États-Unis) alors que M. Kenney est zéro en quatre (et même en cinq, comme on le verra plus loin)!

Ce graphique nous montre que des six pays nommés par nos politiciens de l’Ouest, le Québec n’importe du pétrole que de deux d’entre eux depuis 2011, soit de l’Algérie (ligne rouge vin) et des États-Unis (ligne bleue)! S’il en a déjà importé en quantité appréciable du Venezuela (ligne rouge), soit 16,9 % de ses importations internationales en 1998, il y a 19 ans, le Québec n’en fait plus venir de ce pays depuis 2010. De même, il n’a pas importé de pétrole de l’Irak (ligne jaune, difficile à voir, car cachée la plupart des années) depuis 2010 (en fait, il n’en a acheté qu’en 2002 et de 2007 à 2010, et jamais plus de 1,0 % de ses importations totales), de l’Arabie saoudite (ligne verte) depuis 2006 (jamais plus de 2,0 % de ses importations totales, taux atteint en 1994 seulement), de l’Iran (ligne bleu pâle) depuis 1993 (!) et jamais plus de 2,7% de ses importations (en 1992). Bref, il n’y a pas qu’aux États-Unis qu’un dirigeant politique invente les faits qui lui conviennent!

Les importations en provenance des provinces canadiennes

Le graphique qui suit a été réalisé avec le tableau cansim 134-0001. Il est un peu différent de celui que j’avais fait dans le précédent billet (essentiellement pour les années postérieures à 2010), car j’avais surtout utilisé le tableau 126-0001 qui n’est plus mis à jour ni révisé et dont les données manquantes étaient de plus en plus nombreuses. J’ai dû, comme l’ont fait les personnes qui ont réalisé le graphique de HEC Montréal, faire quelques approximations pour 2014 à 2017 (huit premiers mois), en supposant que les stocks sont demeurés constants entre le début et la fin des périodes couvertes pour ces quatre années (toutes les années 2014, 2015 et 2016, et les huit premiers mois de 2017). Cela dit, l’écart maximal des pourcentages que j’ai calculés ne peut pas excéder un demi-point de pourcentage et en fait doit être bien moins élevé que ça, sauf pour 2014 où les données manquantes étaient tellement nombreuses que j’ai utilisé certaines données des tableaux 134-0001 et d’autres du tableau 126-0001, et ai dû en plus faire certaines hypothèses. On remarquera que le premier graphique de ce billet montre une * à côté de l’année 2014, ce qui montre que la personne qui a fait ce graphique a fait face aux mêmes problèmes que moi. Heureusement, l’année 2014 ne joue pas un grand rôle dans les tendances.

Ce graphique présente l’évolution de la proportion des importations totales de pétrole par le Québec (interprovinciales et internationales) qui proviennent du Canada. En collectant les données pour réaliser ce graphique, je me suis aperçu que Statistique Canada avait révisé les données des tableaux 126-0001 et 134-0001, ce qui est fréquent, et que, au lieu de représenter entre 47 et 50 % des importations totales de pétrole en décembre 2015 (soit le premier mois après l’entrée en fonction de la canalisation 9B d’Enbridge, le 30 novembre 2015), comme ces données l’indiquaient au départ, celles qui proviennent du Québec représentaient plutôt autour de 38 % du total. Cela dit, cette révision change peu de choses aux tendances illustrées dans ce graphique.

On peut en effet voir que les provinces canadiennes ont comblé moins de 5 % des besoins en pétrole du Québec de 1992 à 2001. Les 13 années suivantes, soit de 2002 à 2014, cette proportion a varié entre 6 % et 14 %. Cela pourrait donner raison en partie au discours de messieurs Wall et Kenny, quand ils affirment que les Québécois utilisent peu ou pas de pétrole du Canada, surtout de l’Ouest de ce pays. Par contre, ces taux se sont mis à augmenter par la suite, pour atteindre 23 % en 2015 et 32 % en 2016 et 33 % en 2017 (moyenne des huit premiers mois), ce pétrole venant depuis 2015 exclusivement de l’Ouest du Canada, alors qu’il venait essentiellement de l’Est, soit de Terre-Neuve, de 1998 à 2010 (les tableaux contiennent trop de données manquantes de 2011 à 2014 pour pouvoir estimer cette proportion). Le pétrole de l’Ouest a donc fourni près du tiers des besoins totaux du Québec en 2016 et en 2017, soit presque autant que le pétrole des États-Unis (qui a fourni en moyenne 50 % des 68 % de nos besoins satisfaits par le pétrole importé de l’étranger, soit 50 % x 68 % = 34 %, proportion à peine un peu plus élevée que les 32 à 33 % venant du Canada). C’est là qu’on voit que, si on peut excuser M. Wall d’avoir affirmé qu’on n’utilisait pas de pétrole canadien quand il a fait son affirmation en novembre 2014, c’est plus difficile de le faire avec M. Kenney qui n’a sûrement vérifié aucun fait en énonçant sa cinquième fausseté dans la même phrase en août 2017. Notons finalement que les quelque 22 % de nos besoins qui venaient de l’Ouest du Canada au cours des 11 premiers mois de 2015 ne pouvant pas avoir été acheminés par le pipeline 9B d’Enbridge qui n’était pas encore en fonction, il nous parvenait fort probablement en train. D’ailleurs, il faut se rappeler que Suncor acheminait «du pétrole lourd de l’Ouest par train jusqu’à la raffinerie de Montréal depuis décembre 2013».

Et alors…

On peut maintenant affirmer que la tendance observée en décembre 2015 (même si un peu amoindrie par les révisions de données de Statistique Canada) s’est maintenue par la suite. En effet, en regardant les données mensuelles (non illustrées dans les graphiques de ce billet), on peut constater que le taux de pétrole utilisé au Québec provenant du Canada n’a été inférieur à 20 % qu’au cours de deux des 21 mois pour lesquels le tableau 134-0001 a fourni des données, et encore de très peu, alors que ce taux était rarement atteint auparavant (et que ces faibles taux sont peut-être dû au fait que mes calculs ne tiennent pas compte des variations de stocks, comme mentionné auparavant; en effet, si cela ne peut pas changer grand-chose sur des moyennes annuelles, cela peut faire varier le résultat de mes calculs mensuels). Nos amis politiciens de l’Ouest devraient donc se calmer et regarder les données (ou demander à leurs recherchistes et économistes de le faire) au lieu de continuer à dire des âneries (je m’excuse auprès des ânes…).

Est-ce une bonne nouvelle? Pas vraiment, car signifie que le Québec utilise de plus en plus de pétrole de l’Ouest du Canada sous forme de pétrole bitumineux et synthétique (c’est-à-dire de pétrole bitumineux transformé), ce que d’autres données non illustrées du tableau cansim 134-0001 confirment. Seule consolation on n’a plus à craindre (en tout cas, dans un avenir prévisible) que le pipeline Énergie Est de TransCanada fasse augmenter la quantité de pétrole bitumineux passant par le Québec.

2 commentaires leave one →
  1. Stéphane Côté permalink
    2 janvier 2018 1 h 11 min

    Merci beaucoup, pour ces données et évaluations de « Darwin » légèrement approximatives par la force des choses, mais sans aucun doute fiables. Et ça ne manque pas d’ironie, merci encore.

    J’aime

  2. 2 janvier 2018 7 h 48 min

    Ce qui ne manque pas d’ironie non plus, c’est que les données sur les importations internationales sont plus précises que celles sur les importations interprovinciales.

    J’aime

Laisser un commentaire