À la table des philosophes
Normand Baillargeon consacre son dernier livre (à moins qu’il en ait lancé d’autres entre la rédaction de ce billet et sa publication, on ne sait jamais avec lui!), intitulé À la table des philosophes, «aux nombreux enjeux que soulève la nourriture en philosophie».
Mise en bouche : L’auteur raconte les circonstances qui l’ont amené à écrire ce livre et explique la pertinence de s’interroger sur les liens entre l’alimentation et la philosophie : «S’alimenter est une nécessité dont nous avons fait un plaisir, autour de laquelle nous avons élaboré des rituels, et qui invite chacun de nous à s’interroger et à se faire un peu philosophe». Il présente ensuite succinctement les sujets abordés dans ce livre.
1. Gouleyant, astringent ou charnu? : L’auteur explique le déroulement des banquets (ou symposiums) de l’Antiquité. Ce serait au cours de certains de ces banquets «que se développe peu à peu le théâtre». Il imagine ensuite un banquet auquel participeraient cinq personnes dont Emmanuel Kant et Platon au cours duquel on discuterait de vin et plus spécifiquement d’œnologie.
2. Péché de gourmandise : Ce chapitre porte surtout sur la réflexion de Thomas d’Aquin sur la gourmandise. Il ne se demande pas seulement si la gourmandise est vraiment un péché, mais aussi si ce péché (s’il en est un) est important et s’il entraîne des conséquences majeures (je résume). On peut accéder à ce texte avec ce lien (à partir de la quatrième page de ce fichier).
3. Manger local ou manger mondial : Après avoir présenté certains éléments (pas du tout alimentaires) des biographies de Jean-Jacques Rousseau et de John Locke, l’auteur confronte le locavorisme du premier au libertarianisme du deuxième qui l’amène à rejeter toute contrainte dans l’approvisionnement en nourriture.
4. Deviens le végétarien que tu es ! : L’auteur nous présente d’abord quelques philosophes végétariens de l’Antiquité, dont Pythagore, puis quelques penseurs qui ont abordé cette question par la suite, dont René Descartes. Il raconte ensuite comment Peter Singer, un philosophe utilitariste antispéciste influent, est devenu végétarien et explique sa pensée. Il poursuit en abordant la position des déontologues, comme Tom Regan, qui considèrent qu’on doit accorder des droits aux animaux non humains. Finalement, nous avons droit à la réflexion du contractualiste Roger Scruton, qui considère qu’on doit, tout en agissant avec compassion, distinguer la façon de traiter les animaux de compagnie, les animaux «au service de l’homme» et les animaux sauvages.
(Il me semble avoir déjà lu ce texte ailleurs, ou une grande partie de celui-ci. Était-ce un extrait sur Facebook ou un chapitre de L’arche de Socrate? Je ne sais pas…)
5. Je pense, donc je mange : Une amie de l’auteur lui explique en quoi consiste le scepticisme philosophique (pas vraiment étranger au scepticisme courant). Elle lui montre à quel point le scepticisme est approprié quand on fait ses emplettes dans un supermarché qui est conçu pour nous berner.
6. À la santé du zen : L’auteur présente le bouddhisme zen et la façon de manger (et de boire du thé) qui correspond à cette philosophie.
7. De quoi l’alimentation sera-t-elle faite? :Ce chapitre contient une réflexion sur l’avenir de l’alimentation qui confronte les opinions des pessimistes (que l’auteur illustre avec la pensée de Thomas Malthus) à celles des optimistes (Nicolas de Condorcet). Ces deux camps existent encore, même si leurs porte-étendard et leurs arguments ont changé.
8. La cuisine est-elle un art ? : Pour mieux répondre à cette question, l’auteur la divise en deux :
- les créations culinaires sont-elles des œuvres d’art?
- l’expérience du mangeur peut-elle «être décrite comme une expérience esthétique»?
Pour répondre à ces questions, il fait notamment appel à Platon, à Léon Tolstoï, à Emmanuel Kant et à Anthelme Brillat-Savarin.
9. Un regard sceptique sur les régimes alimentaires : Quand on veut savoir la valeur d’un régime alimentaire, on doit se demander s’il est efficace et s’il est sain. L’auteur profite de ce problème pour expliquer comment on doit procéder pour obtenir des réponses fiables à des questions qui reposent sur des expériences empiriques. Si les expériences personnelles ne sont pas à rejeter de prime abord même si elles sont anecdotiques, il est nettement préférable de procéder à des expériences qui respectent quelques principes de base. Quand on ne les respecte pas, on risque d’obtenir des résultats étranges (que les médias aiment bien diffuser, car justement étranges!) qui trompent plus la population qu’ils ne l’informent. Par exemple, même si les médias l’ont vanté, un régime où on prend du chocolat n’est ni efficace ni sain!
L’auteur présente ensuite quelques régimes «à la mode» (aucun ne peut être considéré comme efficace et sain), puis aborde l’utilisation du paternalisme pour orienter la consommation d’aliments et enfin nous amène au Café de Flore où Jean-Paul Sartre nous parle du choix et du déterminisme.
10. À la sauce stoïque : L’auteur retrace tout d’abord l’origine du stoïcisme (dont le fondateur est Zénon de Citium), puis nous montre que cette philosophie a été particulièrement populaire dans la Rome antique (notamment grâce à Sénèque et à l’empereur Marc-Aurèle). Il explique ensuite ses fondements, puis les applique notamment pour déterminer si certains aliments sont moins recommandables que d’autres.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? On doit savoir que ce livre est très différent de tous ceux que j’ai lus de Normand Baillargeon, tant par la forme que par le fond. Tout d’abord, c’est ce qu’on appelle un «beau livre», ce qui veut dire qu’il est cher (quand même pas trop, avec un prix courant de 39,95 $), de grand format (je ne l’ai pas lu dans les autobus et dans le métro, ni en marchant!) et rempli de belles images (en général des reproductions de peintures) qui agrémentent le texte. Ensuite, les chapitres sont construits de la même façon, se terminant toujours avec des suggestions de lectures et de conversations à tenir à table sur le sujet du chapitre. On y trouve dans quelques chapitres des recettes. Les textes sont pour la plupart intéressants, abordés dans un contexte ludique. Bref, on ne le lira pas nécessairement pour s’informer, mais pour le plaisir, même s’il est certain qu’on y apprendra des choses. Et, j’ai eu beaucoup de plaisir à le lire, d’autant plus que les notes sont en bas de page!
Merci. Quel beau cadeau de Noël!
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