Retour sur le Fonds des générations
J’ai consacré un billet au Fonds des générations il y a un peu plus d’un an, à une époque où on en parlait peu. Si mon opinion sur ce fonds n’a pas changé depuis ce temps, j’ai constaté que bien des gens ne comprennent pas bien son fonctionnement ni ses avantages et désavantages. Or, comme la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP) a publié au début novembre un cahier de recherche réalisé par Yves St-Maurice et Luc Godbout, avec la collaboration de Suzie St-Cerny, et intitulé Le Fonds des générations : où en sommes-nous? expliquant justement certains des enjeux entourant cet instrument financier après ses 10 premières années de fonctionnement, je crois pertinent d’en présenter ici certaines parties et de commenter sa méthodologie et ses conclusions.
Objectif
Le principal objectif de cette étude est «d’analyser l’évolution de l’endettement du gouvernement si le Fonds n’avait pas été créé», bref d’estimer l’impact spécifique du Fonds des générations sur la dette publique et d’ainsi vérifier s’il atteint bien les objectifs fixés lors de sa création. Comme je l’expliquais dans mon précédent billet, ce fonds vise simplement à profiter du fait que le gouvernement peut emprunter à un taux d’intérêt moins élevé que celui qu’il peut retirer de placements faits par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). On espère ainsi que les revenus de placements acquis grâce à ce fonds seront plus élevés que les dépenses supplémentaires au service de la dette qu’on paiera parce qu’on n’a pas utilisé cet argent pour faire diminuer nos emprunts. J’espérais donc que l’étude de la CFFP fournirait un bilan de ce pari. C’est cela qu’elle fait, mais pas tout à fait correctement, comme on le verra.
Ça, c’est le principe. En fait, la loi qui l’a créé, la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations, instrumentalise en fait ce Fonds en faisant en sorte que le gouvernement doive équilibrer son budget après les versements qu’il fait dans ce fonds. Ainsi, cette loi l’oblige à faire, année après année, des surplus budgétaires équivalant au moins à ses versements dans le Fonds.
La dette et son évolution
L’étude contient une section expliquant différents concepts de dettes (brute, nette et «représentant les déficits cumulés»). Je ne vais présenter que la partie de cette section qui explique que, contrairement à ce que bien des personnes pensent, la dette peut augmenter (et elle le fait presque toujours) même si le budget est équilibré. En effet, le tableau 2 page numérotée 4 de l’étude (qui reproduit le tableau E.3 de la page numérotée E.11 du budget 2017-2018) montre que l’évolution de la dette brute dépend :
- du solde budgétaire (bien sûr);
- du solde des placements, prêts et avances : ceux-ci «englobent principalement la participation du gouvernement dans ses entreprises ainsi que les prêts et les avances consentis à des entités hors périmètre comptable du gouvernement» (page numérotée D.47 du budget 2017-2018); par exemple, le prêt de 1,3 milliard à Bombardier a fait augmenter la dette brute (mais pas la dette nette, puisque ce prêt représente un actif financier) et son éventuel remboursement la ferait baisser (son non-remboursement ne ferait pas augmenter la dette brute, mais ferait augmenter la dette nette, car ce prêt ne pourrait plus être considéré comme un actif); ce solde a toujours fait augmenter la dette au cours des 17 années passées présentées sur ce tableau et continuera à le faire au cours de ses cinq années de prévisions, notamment en raison de l’investissement dans le Réseau électrique métropolitain de Montréal (REM);
- des investissements nets en immobilisations : il s’agit des investissements moins les amortissements qui sont, eux, inclus aux dépenses courantes (qui font donc diminuer le solde budgétaire); ce solde aussi a toujours fait augmenter la dette et continuera à le faire (ce qui n’est pas nécessairement une mauvaise chose, bien au contraire, tout dépendant des immobilisations effectuées);
- du solde des autres facteurs : «Les autres facteurs comprennent notamment la variation des autres comptes, comme les «comptes à recevoir» (comptes débiteurs) et les «comptes à payer» (comptes créditeurs)»; ce solde est parfois positif et parfois négatif;
- le solde des versements au Fonds des générations (y compris les revenus de placement) : au lieu d’être comptabilisés au solde budgétaire, ces versements sont plutôt soustraits par la suite de la dette brute; ce solde a toujours fait réduire la dette depuis sa création, mais la ferait augmenter si on retirait plus qu’on y verse au cours d’une année (il n’y a eu qu’un seul retrait au Fonds, soit en 2013-2014, retrait inférieur aux versements, utilisé de toute façon pour réduire la dette).
Cette description montre bien qu’il ne suffit pas d’avoir un budget équilibré pour stabiliser la dette. Par contre, l’étude ne mentionne pas qu’une véritable stabilisation d’une dette devrait davantage viser la stabilisation du ratio de la dette sur le PIB que du montant nominal de la dette. Or cette distinction est majeure, car elle permet d’ajouter plus de 5 milliards $ de marge de manœuvre au budget du Québec. D’ailleurs, même si la dette brute et la dette nette ont augmenté entre 2016 et 2017, le ratio de la dette brute a diminué de 0,7 point de pourcentage (de 53,4 à 52,7) et le ratio de la dette nette de 1,4 point (de 48,6 à 47,2).
Les scénarios
Le cœur de l’étude de la CFFP est de présenter dix scénarios qui permettent d’évaluer le rôle du Fonds des générations dans l’atteinte des objectifs de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations. Les deux objectifs que l’étude observe sont l’abaissement du ratio de la dette brute sur le PIB de 53,4 en 2015-2016 à 45 en 2025-2026, et du ratio de la dette «représentant les déficits cumulés» sur le PIB de 31,5 à 17 au cours de la même période.
Les auteurs commencent en établissant un scénario de référence reposant sur des hypothèses sur la croissance économique (du PIB), les taux d’intérêt des emprunts et des placements du Fonds, les sommes qui seront versées dans le Fonds (ce qui est assez complexe, car le niveau de ces versements dépend de bien des facteurs, comme du prix de l’électricité et des profits d’Hydro-Québec, des redevances minières, des taxes sur les boissons alcooliques et j’en passe) et le solde budgétaire (prévu à zéro, donc à l’équilibre pour chaque année de prévision, ce qui devrait déjà être modifié compte tenu de la mise à jour récente du ministre des Finances). Ce scénario prévoit que les deux objectifs seront atteints, le ratio de la dette brute sur le PIB se situant à 41,8 en 2025-2026, niveau nettement inférieur à l’objectif de 45 (atteint deux ans plus tôt que ne l’exige la Loi, avec 44,5 en 2023-2024) et le ratio de la dette «représentant les déficits cumulés» sur le PIB se situant à 15,8 en 2025-2026, niveau aussi inférieur à l’objectif de 17. Jusque là, rien à redire.
Les auteurs effectuent ensuite des calculs similaires avec neuf autres scénarios, allant de l’inexistence du Fonds à la présence d’une récession en cours de route, de versements différents au Fonds et de l’utilisation du Fonds pour rembourser la dette. Je ne ferai pas le tour de ces scénarios, car ce serait fastidieux, mais présenterai quelques résultats et commenterai certaines lacunes dans les calculs des auteurs.
– résultats : En fait, un seul autre scénario, mis à part celui de référence, permet d’atteindre les deux objectifs de la Loi, un scénario qui est très semblable à celui de référence, si ce n’est que le Fonds est liquidé en fin de période, donc comptabilisé à sa valeur marchande plutôt qu’à sa valeur comptable. Je vous épargne les détails de cette différence (de moins de 2 milliards $ sur une dette brute d’environ 215 milliards $). Certains des autres scénarios permettent d’atteindre le premier objectif (ratio de la dette brute sur le PIB de 45 en 2025-2026), mais aucun le deuxième (le ratio de la dette «représentant les déficits cumulés» sur le PIB à 17 en 2025-2026). Le pire résultat est celui du scénario qui prévoit qu’il n’y aurait pas eu de création du Fonds des générations donc de versement au Fonds. On notera toutefois que, même avec cette hypothèse, les deux ratios observés auraient diminué, même si les auteurs ont, de leur propre aveu, omis certains facteurs dans leurs calculs.
– lacunes dans les calculs des auteurs : L’idée de comparer divers scénarios pour faire ressortir l’impact du Fonds des générations est très bonne. Mais, pour obtenir de bons résultats, on doit comparer les résultats des scénarios en ne faisant varier que l’utilisation du Fonds ou en faisant varier tout ce qu’il y a de différent entre ces scénarios et celui de référence. Or, ce n’est pas ce que font les auteurs.
Par exemple, dès le deuxième scénario, le premier différent du scénario de référence, qui examine ce qui se serait passé si le Fonds n’avait pas été créé, les auteurs supposent que l’équivalent des versements au Fonds aurait été dépensé en biens et services (ou n’aurait pas été «prélevé», ce qui aurait correspondu à une baisse de tarifs et de taxes). Or, ces dépenses auraient généré de l’activité économique, par exemple en embauchant plus de personnel dans le réseau scolaire (ou en diminuant l’ampleur des mises à pied), ce dont les auteurs ne tiennent pas compte volontairement. On peut en effet lire à la note 16 de la page numérotée 26 de l’étude : «Le scénario ne tient pas compte des effets positifs sur les revenus autonomes du gouvernement qu’aurait eu une ponction plus faible sur l’économie due à l’absence des revenus dédiés au Fonds». En fait, c’est encore pire, car ces dépenses auraient fait augmenter le PIB qui est le dénominateur dans le ratio de la dette sur le PIB. Une hausse du dénominateur aurait fait diminuer le ratio, ce que les auteurs ne considèrent pas. Bref, les recettes fiscales auraient été plus élevées, permettant de réduire la dette (ou de moins la faire augmenter), et le PIB aurait été plus élevé, faisant diminuer les deux ratios de la dette sur le PIB. Même avec cette lacune majeure, les calculs des auteurs montrent que le ratio de la dette brute sur le PIB serait passé de 55,6 en 2015-2016 à 50,9 en 2025-2026 et le ratio de la dette «représentant les déficits cumulés» sur le PIB de 33.8 à 24,9 en 2025-2026. Ces deux baisses (sous-estimées en raison des lacunes dans les calculs) montrent éloquemment qu’il n’y avait vraiment pas urgence dans la demeure à prendre des mesures d’austérité comme l’ont fait les précédents gouvernements (on oublie souvent que le PQ jugeait lui aussi urgent le retour au déficit zéro). Et, tous ces calculs ne tiennent pas compte du fait que nos enfants sont allés dans des écoles insalubres, que ceux qui avaient besoin de services spéciaux (orthophonie, psychoéducation, etc.) n’ont pas pu les avoir (ou du fait que les parents ont dû débourser de leur poche pour aller au privé pour que leurs enfants reçoivent ces services), que les tarifs des services de garde ont augmenté, que les services de santé ont été réduits, que le personnel de ces services a vu ses absences pour maladie augmenter, etc.
Il en est de même dans les autres scénarios, quoique l’impact est sûrement moins important, car le deuxième scénario est celui qui diffère le plus du scénario de référence. Je pensais toutefois que l’impact précis du Fonds ressortirait du quatrième scénario, car il est basé sur l’hypothèse que «Les revenus dédiés au Fonds [seraient] directement versés à la dette, incluant les économies sur le service de la dette». Normalement, comme les sommes non versées au Fonds seraient aussi utilisées pour faire diminuer la dette, je pensais que le résultat correspondrait bien à l’impact de la différence entre le taux d’intérêt payé en plus pour pouvoir verser des montants dans le Fonds et le rendement moyen des sommes «investies» dans le Fonds. Mais, non. Les auteurs ont réussi par une toute petite entourloupette à rendre ce scénario un peu moins intéressant qu’il ne devrait l’être. En effet, plutôt que de consacrer les économies d’intérêt sur le service de la dette à faire diminuer un peu plus celle-ci, ce qui correspondrait à l’esprit de ce scénario, les auteurs ont préféré considérer «que ces économies supplémentaires sur le service de la dette auraient été dépensées ou utilisées à des réductions d’impôt, n’affectant ni la dette brute ni la dette représentant les déficits cumulés». Et bien sûr, les auteurs n’ont pas non plus considéré que ces dépenses supplémentaires ou baisses d’impôts auraient fait augmenter le PIB… Il s’agit dans ce cas d’une omission de petite ampleur, mais fatigante. Ainsi, leur calcul pour le scénario de référence montre que la création du Fonds permet à la dette brute de se situer à 216,1 milliards $ en 2025-2026 ou à un ratio de la dette brute sur le PIB de 41,8, alors que le quatrième scénario la porterait à 225,5 milliards $ en 2025-2026 ou à un ratio de la dette brute sur le PIB de 43,6, des niveaux respectifs plus élevés de 9,4 milliards $ et de 1,8 point de pourcentage. En tenant compte des «économies supplémentaires» omises (en consacrant les économies d’intérêt sur le service de la dette à diminuer un peu plus celle-ci), j’ai estimé (avec leurs hypothèses) que ces différences auraient été respectivement de 8,0 milliards $ et de 1,5 point de pourcentage, un niveau seulement 15 % moins élevé que dans leur calcul. Je ne vois vraiment pas pourquoi ils ont choisi de faire ce calcul ainsi, sinon pour rendre le Fonds un peu plus avantageux qu’il ne l’est en réalité. Décevant.
Et alors…
En fait, si on met de côté toutes les finasseries de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (et des calculs des auteurs de l’étude présentée ici), on voit que la création du Fonds des générations n’est pas une mauvaise chose en soi, bien au contraire, mais n’a quand même pas un impact aussi grand qu’on nous le laisse entendre. En fait, selon les calculs de l’étude de la CFFP (remaniés par mes soins), en 2025-2026, après 17 ans d’existence, ce Fonds aura fait réduire la dette de 8,0 milliards $, soit de 3,5 % (216,1 milliards $ en 2025-2026 au lieu de 224,1 milliards $ en 2025-2026, 8/224,1 = 3,546 %). Heureusement que la perte de plus de 10 % de sa valeur a eu lieu en 2008-2009, alors qu’il y avait un peu moins de 500 millions $ dans ce fonds, car s’il arrivait la même chose en 2025 alors que la valeur de ce fonds s’élèvera à plus de 45 milliards $, plus de la moitié du gain accumulé disparaîtrait!
En fait, le plus grand problème de ce fonds est justement avec les finasseries de la Loi. Cette loi instrumentalise en effet ce fonds pour faire en sorte que les sommes qu’on y verse s’ajoutent à l’équilibre budgétaire et forcent ainsi le gouvernement à faire des surplus équivalents à ces versements. Alors que les pays européens de la zone euro ne parviennent pas à respecter leur entente qui prévoit que leurs déficits ne dépassent pas 3 % de leur PIB, ici on oblige notre gouvernement à avoir un surplus d’environ 0,5 % du PIB (et même de plus de 1,0 % vers 2025)! La différence entre ces deux obligations est d’environ 14 milliards $ actuellement et atteindra 20 milliards $ en 2025! En fait, l’avantage du Fonds décrit par l’étude de la CFFP serait de même ampleur même si le budget était légèrement déficitaire. Bon, je ne recommande surtout pas qu’on flirte avec des déficits s’approchant de 3 % du PIB (il est toujours oiseux de comparer le niveau de déficit d’un gouvernement régional avec celui du déficit d’un pays), mais je juge irresponsable de s’obliger à des surplus de cette ampleur sans considération pour les services que nous nous sommes démocratiquement donnés et surtout pour les personnes qui en sont privées.
Souffre ma candeur, comme on disait à l’époque de Molière. Ce qui a été versé au Fonds et les intérêts reçus ont-ils été versés au remboursement de la dette ou placés dans un coffre-fort qui ne peut être ouvert que pour le remboursement de la dette? Peuvent-ils être déplacés vers une autre mission?
J’aimeJ’aime
Ce qui a été versé au Fonds et les intérêts reçus sont dans un compte de la Caisse de dépôt et placement du Québec, comme mentionné (peut-être pas assez clairement) dans le billet. («Comme je l’expliquais dans mon précédent billet, ce fonds vise simplement à profiter du fait que le gouvernement peut emprunter à un taux d’intérêt moins élevé que celui qu’il peut retirer de placements faits par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).»)
«Peuvent-ils être déplacés vers une autre mission?»
Non, sauf si affectés au remboursement de la dette. Mais, une loi (la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations), ça se change!
J’aimeJ’aime
Personnellement, je trouve que la manoeuvre teint de l’improvisation. Les planificateurs financiers recommandent tout le temps à leur client d’investir avec une vision à long terme. Il aurait été intéressant de profité de la différence entre les taux d’intérêts à payer pour la dette et ceux à recevoir du Fonds des générations. Enfin je retiens que la décision de notre ministre démontre plus une propension à gérer au jour le jour selon d’humeur du moment du PM , qu’à une véritable vision à long terme!
J’aimeJ’aime
Pas sûr. C’est rare que je fais des propositions aussi hypothétiques en conclusion, mais je crois qu’elles se tiennent. À moyen terme, l’obligation de surplus pour compenser à la fois les dépôts au Fonds et l’augmentation au service de la dette enlève toute marge de manoeuvre à ce gouvernement. Cela dit, j’ai été estomaqué ce matin en découvrant cette dimension du Fonds que je ne connaissais pas, moi qui pensais bien l’avoir analysé… Une autre leçon d’humilité, il n’y en aura jamais assez!
J’aimeJ’aime
(On n’est pas sur le bon billet!)
J’aimeJ’aime
De se préoccuper ainsi des générations futures (c’est bien le sens du terme dans « Fonds des générations », n’est-ce pas?) avec le seul angle de la dette, c’est de l’enfumage…
Ça serait bien s’il y avait un fond des générations pour la dette écologique et climatique…
J’aimeAimé par 1 personne
Tout à fait!
J’aimeJ’aime