Quelques études sur l’automatisation des emplois (2)
Dans le premier billet de cette série portant sur les récentes études sur l’automatisation de l’emploi, j’en ai présenté deux qui visaient à estimer l’impact qu’aura l’intelligence artificielle sur l’emploi au cours des prochaines décennies. Ces études nous ont permis d’apprécier la différence entre une étude mal conçue et une autre qui apporte toutes les nuances pertinentes à ses résultats. Dans celui-ci, je vais en présenter deux autres qui portent plutôt sur les effets passés des changements technologiques sur l’emploi, à partir de deux méthodes bien différentes.
On se calme…
La première étude que je vais présenter est intitulée False alarmism : Technological disruption and the U.S. labor market (Faux alarmisme : les bouleversements technologiques et le marché du travail des États-Unis), date de mai 2017 et a été rédigée par Robert D. Atkinson et John Wu.
Les auteurs observent qu’on a réussi à convaincre l’opinion publique que nous assistons actuellement à un niveau sans précédent de bouleversements, d’insécurité et de changements d’emplois sur le marché du travail, et cela sans apporter de preuves valables. Non seulement ces affirmations ne sont pas appuyées par des données, mais elles vont à contresens de l’histoire. Le but de cette étude est justement d’analyser les tendances professionnelles de 1850 à 2015, en comparant la structure professionnelle du marché du travail de chaque décennie avec celle de la précédente et en examinant si ces changements structurels sont dus à de nouvelles technologies.
– destruction et création d’emplois
Les auteurs expliquent au début de leur étude le processus de destruction et de création d’emplois dues aux changements technologiques. Dans certains cas, les emplois détruits sont remplacés (moins de conducteurs de locomotives, mais plus de mécaniciens d’automobiles), dans d’autres, la réduction d’emplois n’est pas compensée (planteurs de quilles, conducteurs d’ascenseurs, projectionnistes et téléphonistes). À l’inverse, certaines professions ne sont pas touchées par les changements technologiques, surtout dans les services, par exemple en santé et en éducation, et ont donc tendance à gagner en importance. Finalement, les changements technologiques permettent la création de nouvelles professions, comme en informatique et dans les jeux vidéo.
Les auteurs expliquent ensuite les sources de données utilisées ainsi que les problèmes auxquels ils ont fait face (ils fournissent aussi un tableur contenant ces données sur cette page). Ils adoptent deux méthodes pour compiler les résultats (une calculant les changements nets en nombre, l’autre les changements relatifs ou en proportion), mais comme les tendances qu’elles permettent d’observer sont très semblables, je ne vais présenter que les résultats de la première de ces deux méthodes (le graphique est plus beau!).
Le graphique ci-contre montre clairement que le taux de changements d’emplois dus aux changements technologiques (total des emplois détruits et des emplois créés en moyenne par année au cours d’une décennie divisé par le nombre moyen d’emplois au cours de cette décennie) fut le plus élevé au début de la période (surtout entre 1850 et 1870) et le plus bas à la fin de la période, soit depuis le tournant du siècle. De 60 % entre 1850 et 1860, principalement en raison de l’émancipation des esclaves et de la croissance de la population qui ont fait augmenter le nombre d’emplois agricoles, ce taux s’est situé entre 20 et 40 % de 1870 à 1980 (ce taux de changements d’emplois s’expliquant cette fois en bonne partie par la très forte baisse de l’emploi agricole entre 1880 et 1970, et par la hausse de l’emploi dans la santé et l’éducation), est passé à 20 % entre 1980 et 2000, ne fut que de 14 % entre 2000 et 2010 et a terminé la période à seulement 6 % entre 2010 et 2015.
Il demeure vrai que les changements technologiques détruisent directement plus d’emplois qu’ils n’en créent. Ce fut le cas dans chacune des décennies depuis 1850. Le graphique ci-contre montre que la proportion de nouveaux emplois sur les emplois détruits a varié de 25 à un peu plus de 80 % entre 1950 et 2015, mais que cette proportion fut la deuxième plus élevée des sept dernières décennies de 2010 à 2015. Les auteurs précisent que l’automatisation qui a entraîné la destruction de nombreux emplois dans le secteur manufacturier de 1990 à 2010 n’a pas permis la création de beaucoup de nouveaux emplois, ce qui explique les faibles proportions de nouveaux emplois sur les emplois détruits au cours de ces décennies (25 et 32 %). Comme le nombre d’emplois détruits dans le secteur manufacturier a diminué entre 2010 et 2015, cette proportion a augmenté au cours de cette «décennie».
Les auteurs expliquent ensuite qu’il est normal qu’un changement technologique détruise plus d’emplois qu’il n’en crée, car aucun employeur n’investirait dans ces changements s’ils ne permettaient pas une amélioration de la productivité. L’ajout d’emplois consécutifs à un changement technologique se réalise plutôt dans d’autres secteurs de l’économie grâce à la hausse de la demande globale qui provient des gains en productivité des changements technologiques. Ils donnent ensuite de nombreux exemples de ce phénomène provenant des décennies passées.
– le passé est-il garant de l’avenir?
Les promoteurs du concept de la quatrième révolution industrielle reconnaissent en général que le rythme de création et destruction des emplois s’est ralenti au cours des dernières décennies, mais avancent du même souffle que ce ne sera pas la même chose cette fois, parce que cette révolution toucherait des emplois dans bien plus de secteurs que les précédentes. Les auteurs pensent exactement le contraire. On peut même se demander si les gains de productivité seront suffisamment élevés pour faire augmenter le PIB par habitant, surtout dans les pays les plus touchés par le vieillissement de la population. Comme je l’ai fait souvent, ils rejettent l’étude la plus citée sur les effets censément catastrophiques de l’automatisation des emplois, soit celle de Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne, étude qui prévoit la disparition de la moitié des emplois en seulement 10 ou 20 ans, montrant ses failles évidentes, notamment de n’avoir regardé que les définitions théoriques des fonctions des professions plutôt que les tâches réellement accomplies par les personnes en emploi, reprenant le principal reproche que lui a fait une étude de l’OCDE. En appliquant correctement cette méthodologie, les auteurs estiment qu’environ 10 % des emplois aux États-Unis disparaîtront en 20 ans au lieu de 47 %, résultat comparable à celui de l’étude de l’OCDE (9 %). Bref, si le passé n’est jamais garant de l’avenir, rien ne laisse entrevoir qu’il sera vraiment différent du passé de ce côté.
– conclusion
«La première et la plus importante implication de cette étude est que tout le monde devrait prendre une grande respiration et se calmer». La croyance aux licornes de la quatrième révolution ne peuvent que porter les gouvernements, les entreprises et la population à prendre de mauvaises décisions, par exemple à craindre les innovations et au pire à adopter des politiques les limitant. Cela ne veut pas dire de ne rien faire, mais plutôt de faciliter les transitions qui auront de toute façon toujours lieu, par exemple en offrant de bons programmes de remplacement de revenus aux personnes qui perdront leur emploi.
L’automatisation et les brevets
La deuxième étude que je vais présenter ici (mais plus succinctement) est intitulée Benign effects of automation: new evidence from patent texts (Les effets de l’automatisation sont faibles : nouveaux éléments de preuve issus des textes de brevets), date de septembre 2017 et a été rédigée par Katja Mann et Lukas Püttmann.
Pour reconnaître les effets de l’automatisation, plutôt que d’examiner les changements d’emplois comme dans l’étude précédente, les auteur.es se basent plutôt sur la présence de mots-clés associés à l’automatisation dans les textes des 5 millions de brevets accordés aux États-Unis entre 1976 et 2014 lorsque ceux-ci «décrivent des inventions physiques (telles que des robots) ou des inventions immatérielles ou conceptuelles (telles que des logiciels), qui permettent la réalisation d’un processus indépendamment des interventions humaines». Mann et Püttmann relient ensuite ces innovations aux données sur l’industrie de 722 zones de navettage («commuting zones») pendant 39 ans. La méthode utilisée étant assez complexe, je vais passer immédiatement aux résultats.
– résultats
Le graphique ci-contre montre l’évolution du nombre et du type de brevets entre 1976 et 2014. On peut voir que le nombre de brevets fut environ quatre fois plus élevé en 2014 que dans les années 1970 et 1980 et que la proportion de ces brevets associés à l’automatisation est passée de 25 à 67 %, et qu’ils furent donc plus de 10 fois plus nombreux. Les autres résultats peuvent être résumés ainsi :
- l’automatisation a un effet positif sur l’emploi et sur le taux d’emploi dans les zones de navettage où elle est implantée;
- les autres types d’innovations ont un effet assez neutre sur l’emploi et sur le taux d’emploi (les auteur.es précisent qu’un bon nombre de brevets autres qu’en automatisation, par exemple dans les domaines de la chimie et des produits pharmaceutiques, ne sont jamais appliqués);
- l’effet de l’automatisation est négatif sur l’emploi dans le secteur manufacturier et dans les professions aux tâches routinières, mais positif dans les services, surtout dans les professions aux tâches non routinières.
On pourrait dire que cette étude ajoute peu de constats originaux par rapport à la précédente, mais, en utilisant des données d’un type tout à fait différent, elle permet de rendre ses constats communs avec la précédente étude encore plus robustes.
Et alors…
Les deux études présentées dans ce billet viennent appuyer les conclusions de l’étude valable du précédent billet : oui, l’automatisation a un impact sur l’emploi, mais non, cet impact ne sera pas catastrophique et devrait être plus que compensé par des impacts positifs dans les secteurs moins touchés par l’automatisation. Avec tout cela, il ne reste plus que deux études à présenter pour terminer cette courte série sur l’automatisation des emplois. Et, ces deux dernières sont passablement différentes…
« Dans celui-ci, je vais en présenter deux autres qui portent plutôt sur les effets passés des changements technologiques sur l’emploi, à partir de deux méthodes bien différentes. « Darwin »».
Fort bien enchaîné, phare éclairant, sans slogan éblouissant, aveuglant !
Avec l’émancipation de nos consoeurs esclaves et du fait de la nôtre, je témoignerais, confrères en humanisme, doit-on s’attendre à une relance des ressources à la natalité au Québec, prochainement, en faveur du français en Amérique ?
Après 101, 202, c’est génial, mais insuffisant. Francophones, à vos marques !
Est-ce que Couillard et Legault se compétionneront sur ce terrain et comment le PQ et QS en tireront-ils avantage ?
Avec la fureur bio, doit on s’attendre à une relance de l’emploi en agricole ?
J’ai hâte aux deux autres billet.
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«J’ai hâte aux deux autres billet.»
Désolé, il n’en reste qu’un…
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J’avais un pressentiment, je n’avais pas mis de s à billet.
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