La concentration des hommes et des femmes dans les professions
J’ai déjà écrit deux billets sur la concentration des hommes et des femmes dans les professions, le premier en 2011 avec les données du recensement de 2006, puis le deuxième en 2015, avec les données de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011. Maintenant que les données du formulaire long du recensement de 2016 sont disponibles, je peux mettre à jour (et bonifier) cet exercice. En plus, comme on dispose maintenant de points de comparaison antérieurs, je pourrai regarder si les résultats diffèrent des analyses précédentes.
Professions qui présentent les taux les plus élevés de femmes et d’hommes au Québec
Comme dans les deux billets précédents, je vais comparer les 20 professions parmi les 500 de la Classification nationale des professions (CNP) de 2016 qui présentent les taux les plus élevés de femmes et d’hommes au Québec. Pour ce, j’utiliserai le fichier 98-400-X2016356 tiré du recensement de 2016. Ce tableau est basé sur les personnes en emploi au moment du recensement (deuxième semaine de mai 2016) ainsi que sur celles qui ont travaillé après le début de 2015, mais qui ne travaillaient pas au cours de la semaine de référence du recensement. J’ai préféré utiliser ce tableau plutôt qu’un autre portant uniquement sur l’emploi au cours de la semaine de référence, car cette population permet d’avoir une meilleure vue d’ensemble du marché du travail, n’étant pas limitée à la situation particulière du mois de mai 2016, tant en termes de saisonnalité que de conjoncture. Comme dans les billets précédents, j’ai produit deux tableaux sur la question, un pour les femmes et un pour les hommes. À toute seigneure toute honorabilité, je commence avec celui des dames…
…et poursuis avec celui des hommes.
Ces tableaux nous permettent de faire quelques constats. Tout d’abord, les professions les plus masculines sont en moyenne beaucoup plus concentrées que les professions les plus féminines. On peut en effet constater que la vingtième profession la plus féminine est formée de 87,9 % de femmes alors que la vingtième profession la plus masculine est formée de 97,5 % d’hommes! Alors que cette profession accueille 2,5 % de membres du sexe opposé, la vingtième plus féminine compte 12,1 % d’hommes, une proportion près de cinq fois plus élevée! De même, les taux de masculinité des 18 premières professions du deuxième tableau sont plus élevés que le taux de féminité de la profession se classant au premier rang dans le premier tableau. Notons que ce n’était le cas que des sept premières professions masculines en 2011 et d’aucune en 2006, essentiellement parce que les professions les plus féminines accueillent maintenant une proportion un peu plus élevée d’hommes que par le passé, alors que les professions les plus masculines sont aussi hermétiques qu’avant. Les ghettos d’emploi masculins semblent donc bien plus difficiles à percer pour les personnes du sexe opposé que les ghettos d’emploi féminins.
Il faut dire que les professions les plus féminines regroupent en moyenne bien plus de membres que les professions les plus masculines. En effet, les 20 professions où les femmes sont les plus présentes comptent pour 17,6 % du total de l’emploi féminin, alors que les 20 professions où les hommes sont les plus présents ne regroupent que 8.7 % de l’emploi masculin, proportion deux fois moins élevée. Il faut aussi noter que ces taux pour les femmes étaient de 22,2 % en 2006 et de 22,0 % en 2011, et pour les hommes de 8,7 % en 2006 et de 8,0 % en 2011. Ces données vont dans le même sens que les précédentes et montrent aussi que la concentration ne diminue que pour les professions féminines.
Fait remarquable, 18 des 20 professions les plus masculines se retrouvent dans les professions des métiers, du transport et de la machinerie (dont le premier chiffre du code est un 7), dont 16 sont de niveau de compétence technique (dont le deuxième chiffre du code est un 2 ou un 3), et les deux autres dans les ressources naturelles et l’agriculture (dont le premier chiffre du code est un 8). Les professions féminines sont beaucoup plus variées, sept d’entre elles faisant partie du secteur des affaires, de la finance et de l’administration (dont le premier chiffre du code est un 1), dont les trois professions d’adjointes administratives (appellations qui remplacent dorénavant celles de «secrétaires»), sept aussi du secteur de la santé (un 3), trois de l’enseignement, du droit et des services sociaux, communautaires et gouvernementaux (un 4), et une chacune de la vente et des services (un 6), et de la fabrication (un 9). Elles exigent en plus des niveaux de compétence plus variés, quatre étant de niveau professionnel (dont le deuxième chiffre du code est un 0 ou un 1), 10 de niveau technique (un 2 ou un 3) et six de niveau intermédiaire (un 4 ou un 5).
Autre fait remarquable, 15 des 20 professions les plus féminines en 2016 furent aussi parmi les 20 premières en 2006 et en 2011, et trois autres en ont fait partie aussi en 2006 ou en 2011. En fait, seulement deux professions se retrouvent dans ce palmarès pour la première fois (une parce qu’elle comptait moins de 1000 emplois en 2006 et en 2011, et l’autre parce qu’elle s’est classée au 21e et au 24e rangs en 2006 et en 2011). Chez les hommes, «seulement» 12 des professions les plus masculines furent aussi parmi les 20 premières en 2006 et en 2011, quatre en ont fait partie aussi en 2006 ou en 2011, et quatre autres s’y retrouvaient pour la première fois.
Professions qui comptent le plus de femmes et d’hommes au Québec
J’ai pensé qu’il serait cette fois intéressant de présenter aussi les professions qui comptent le plus de femmes et d’hommes, peu importe la concentration de chacun des deux sexes dans ces professions. Encore une fois, je vais commencer par le tableau des femmes et le faire suivre par celui pour les hommes.
La première chose qui saute aux yeux est encore une fois la plus forte concentration des femmes dans ces 20 professions par rapport aux hommes. En effet, les 20 professions où on retrouvait le plus de femmes regroupaient 46,7 % des femmes ayant travaillé entre le début de 2015 et la semaine de référence du recensement en mai 2016, alors que les 20 professions où on retrouvait le plus d’hommes n’en regroupaient que 31,3 %. Plus de 50 % des femmes travaillaient dans 24 professions (23 en 2006 et 22 en 2011), alors que cela en prenait 49 pour les hommes (48 en 2006 et en 2011) pour atteindre cette proportion.
Cette fois, le type d’emploi est passablement plus varié à la fois chez les femmes et chez les hommes. Le tableau ci-contre montre que les professions qui accueillent le plus d’hommes, soit huit, se retrouvent dans la vente et les services, alors qu’il n’y avait aucune profession de ce genre dans le premier tableau des hommes, et dans les métiers, le transport et la machinerie, alors qu’il y en avait 18 dans le premier tableau! Le tableau se complète avec une profession de la gestion, une des affaires, de la finance et de l’administration, et deux des sciences naturelles et appliquées, les deux dans des professions liées à l’informatique.
Les professions qui accueillent le plus de femmes se retrouvent dans les affaires, la finance et l’administration (sept, comme dans le premier tableau, mais dont une seule fait partie des deux tableaux), et dans la vente et les services (sept aussi, alors qu’il n’y en avait qu’une dans le premier tableau, profession qui n’est pas dans le deuxième). Alors qu’aucune profession de la santé et de l’enseignement, du droit et des services sociaux, communautaires et gouvernementaux ne fait partie des professions comptant le plus d’hommes, on en retrouve respectivement deux et trois chez les femmes. Et, comme pour les hommes, on y trouve une profession de la gestion. D’ailleurs, c’est la même (directeurs et directrices – commerce de détail et de gros)!
Par niveau de compétence, on assiste à l’apparition de nombreuses professions de niveau élémentaire, soit cinq chez les hommes et trois chez les femmes (dont deux communes), comme on peut le voir dans le tableau ci-contre. Ce tableau montre cette fois une distribution assez semblable chez les femmes et les hommes, avec deux professions de plus chez les femmes au niveau professionnel et deux de moins au niveau élémentaire.
Comme dans tout résultat de ce genre, il faut faire attention aux conclusions précipitées. Les quatre premiers tableaux montrent certes que l’emploi féminin est plus concentré et que, comme mentionné précédemment, les ghettos d’emploi masculins semblent plus difficiles à percer pour les personnes du sexe opposé que les ghettos d’emploi féminins, mais il faut apporter une nuance aux résultats de la deuxième série de tableaux (professions comptant le plus de femmes et d’hommes).
La classification utilisée (la CNP) est beaucoup plus détaillée et précise pour les professions masculines que pour les professions féminines, probablement parce que celles où on trouve les plus fortes concentration d’hommes sont plus nombreuses dans des domaines qui ont perdu beaucoup d’emplois au cours des dernières décennies et qui existent depuis très longtemps (fabrication, métiers, construction, ressources naturelles, etc.). Par exemple, on accorde des professions différentes pour chaque spécialité de la construction (dont trois différentes pour les électricien.nes) ou des ressources naturelles, même dans celles où on trouve à peine 1000 ou 2000 travailleurs, et même parfois moins (comme pour les 300 monteurs d’installations au gaz et les 55 foreurs de puits d’eau, tous des hommes), mais on n’utilise qu’une seule profession pour regrouper les 86 000 adjointes administratives qui ont pourtant des responsabilités différentes selon les postes occupés, pour lesquelles les exigences des employeurs varient grandement et qui travaillent dans presque toutes les industries. Cette classification attribue des professions distinctes pour les travailleurs des mines souterraines et pour ceux des mines à ciel ouvert, a créé neuf professions différentes pour les 68 000 manœuvres du secteur manufacturier, mais n’en a prévu que trois pour les 80 000 infirmières (autorisées, auxiliaires et praticiennes depuis peu), sans les distinguer selon leurs spécialités (au bloc opératoire, en psychiatrie, à l’urgence, etc.).
Il en est de même des professions exigeant moins de compétence, ce qui explique qu’on ne trouve que six professions de niveau intermédiaire et aucune de niveau élémentaire dans les deux premiers tableaux établis selon des proportions, mais respectivement 14 et huit dans les deux suivants basés sur des nombres. On compte ainsi 158 000 vendeurs et vendeuses du commerce de détail qu’on regroupe en ne réalisant pas que vendre des fleurs, des vêtements, du poisson, des téléphones interactifs ou des automobiles, cela ne demande pas les mêmes compétences et n’apporte pas la même paye… On a même réuni dans une même profession les 66 000 aides-cuisinier.nières et serveur.euses au comptoir (spécialités qui étaient séparées dans la première version de la CNP en 1992), même si les personnes qui occupent des postes d’aides-cuisinier.nières se servent souvent de leur expérience dans ces postes pour obtenir des promotions dans le secteur de la restauration (ce qu’on appelle un poste d’entrée), alors que les personnes qui occupent des postes de serveur.euses au comptoir (souvent appelés emplois «McDo») n’y font en majorité qu’un court passage, souvent au cours de leurs études.
Bref, les constats des premiers tableaux sont pertinents, mais ils ne s’expliquent pas seulement par la concentration respective des femmes et des hommes dans certaines professions.
Et alors…
Il est important de suivre le niveau de concentration des emplois masculins et féminins, ne serait-ce que pour constater que ces concentrations, pour ne pas dire ces «ghettos», existent encore, surtout dans des professions masculines, mais aussi dans les professions féminines, et que les salaires de ces deux types de ghettos ne sont pas du tout les mêmes! Cet exercice permet aussi de mettre des noms sur les professions qui causent le plus ce type de distorsion et de pouvoir fournir des exemples concrets et bien documentés sur la question.
Le tableau du recensement que j’ai utilisé ici est loin d’avoir livré tout son jus avec ce billet. Je compte y revenir dès la semaine prochaine pour analyser la concentration d’emploi chez les membres des minorités visibles, notamment chez les femmes arabes.
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