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Vers des eaux inconnues

9 mai 2018

Chaque trimestre, Timothy Taylor publie un billet présentant les articles offerts gratuitement sur Internet de la revue Journal of Economic Perspectives (JEP) dont il est l’éditeur. Le numéro du printemps 2018 contient quelques textes que je compte présenter ici. Le document que je vais aborder dans ce billet fait plutôt partie des lectures recommandées par M. Taylor. Il s’agit d’un document d’une centaine de pages de la Banque mondiale paru en octobre 2017 intitulé Uncharted Waters : The New Economics of Water Scarcity and Variability dont un résumé en français est disponible sous le titre Vers des eaux inconnues – La nouvelle économie de l’eau : pénuries et variabilité. Pour ce billet je me baserai surtout sur ce résumé, mais aussi parfois sur des précisions mentionnées uniquement dans le document complet.

Introduction

Longtemps considérée comme un bien public pur (qui appartient à tous, n’est pas exclusif, car son utilisation par une personne n’empêche pas d’autres personnes de l’utiliser, et est disponible pour tous, donc non rival) et comme un exemple de bien ayant une grande valeur d’usage, mais une valeur d’échange nulle, l’eau est rendue dans de nombreux pays un bien rare. En effet, la majorité de la population de la Terre, soit 4 milliards de personnes sur les 7 milliards qui y habitent, vit dans une région qui subit au moins un stress hydrique annuel. Comme on prévoit que la demande d’eau augmentera de 30 à 50 % d’ici 2050 et comme cette augmentation proviendra en majeure partie de régions où on observe ce genre de stress, la situation risque d’empirer grandement à l’avenir.

«Depuis une vingtaine d’années, quelque 300 millions de personnes en moyenne subissent chaque année des chutes de pluie extrêmes, dont la fréquence devrait s’accroître par suite du changement climatique». Les auteur.es ajoutent que 85 % de ces 300 millions de personnes habitent dans des pays à faible ou moyen revenus. Le document précise ensuite que, s’il est possible de s’adapter à une augmentation régulière des précipitations, il est impossible de le faire quand la fréquence et l’intensité de ces précipitations sont imprévisibles, ce qui est une des conséquences du réchauffement climatique.

Si les inondations causent de grands dommages (on commence à le savoir…), «les sécheresses engendrent la misère au ralenti et ont des impacts plus profonds et plus durables». Ces sécheresses «peuvent avoir des effets sanitaires (…), accélérer la destruction des forêts et compromettre les systèmes agricoles».

Agriculture et forêt

De petits écarts de précipitations peuvent entraîner de grandes variations des rendements agricoles. Ces variations sont surtout importantes dans les régions les plus sèches et «ont des conséquences en cascade qui vont d’une baisse des rendements à l’amenuisement du couvert forestier». En effet, les agriculteurs touchés par ces variations compensent souvent leurs pertes «en accroissant les superficies qu’ils cultivent aux dépens des habitats naturels». Cela explique jusqu’à 60 % de l’accroissement des terres cultivées et de la diminution du couvert forestier. Ensuite, cette déforestation diminue la captation du carbone et entraîne une augmentation des émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) «qui, à leur tour, exacerbent les phénomènes de pluies extrêmes».

Les systèmes d’irrigation diminuent à court terme les effets de la variabilité des précipitations, mais ils peuvent à long terme les amplifier, car ils créent «l’illusion de ressources abondantes et favorise des cultures exigeant de grandes quantités d’eau». Cette remarque m’a fait penser au paradoxe de la culture des amandes en Californie qui risque de vider les nappes phréatiques alors que la population manque d’eau en raison des sécheresses de plus en plus importantes.

Impacts sur toute la vie

Les privations dues à des chocs pluviométriques peuvent hypothéquer des vies entières lorsqu’elles surviennent durant la petite enfance. À l’âge adulte, les personnes ayant subi de telles privations (surtout les femmes) seront de taille plus petite, recevront une instruction plus courte et auront accès à moins de ressources. Cet effet se prolonge souvent sur la génération suivante. Cela montre l’importance de prévoir des programmes sociaux pour atténuer les effets de ces privations.

Dans les villes

En raison de la concentration de la population et des habitations et routes qu’on y trouve, les villes sont souvent très vulnérables aux inondations et encore plus à la sécheresse. Par exemple, en «Amérique latine, les pertes de revenus liées à des périodes de sécheresse sont quatre fois plus élevées que celles dues à des crises engendrées par des pluies». Ces périodes de sécheresse accroissent aussi les problèmes de santé, surtout chez les jeunes enfants. Le manque d’eau entraîne aussi des pertes d’emploi dans les secteurs formel et informel, ce dernier secteur étant particulièrement vulnérable et important dans les pays pauvres.

Des solutions?

Idéalement, il faudrait bien sûr éviter le réchauffement climatique. Mais, juste au cas où il aurait lieu (l’ironie est de moi, pas du document…), si on veut éviter une situation «la sécheresse définira les destinées», il faudrait «fondamentalement modifier la manière dont les ressources en eau sont gérées». Que l’eau soit un bien public, comme à sa source et dans les forêts, ou un bien privé, comme sur les terres agricoles et dans bien d’autres cas, elle demeure un bien essentiel à la survie de la population et à sa santé, et peut dans tous les cas être exposée à des problèmes de mauvaise gestion et de surexploitation. Comme on l’a vu dans la section sur les systèmes d’irrigation (et dans l’exemple de la Californie), «l’eau a de multiples attributs, qui sont parfois en concurrence». Son utilisation fait donc l’objet de pressions (et de lobbys, ce qui n’est pas mentionné dans le texte) sur «la meilleure manière de la réglementer, de la distribuer et de l’utiliser».

On doit donc à la fois agir sur la demande et sur l’offre. Du côté de l’offre, il faut agir aussi bien sur les infrastructures pour amener l’eau aux consommateurs que pour traiter les eaux usées (pour qu’elle soit réutilisable). Le graphique qui suit illustre bien les endroits où il faut agir, soit à la fois pour protéger les sources, pour l’acheminer efficacement et pour s’assurer de sa réutilisation.

Du côté de la demande, le rapport recommande d’adopter des mesures comme «la tarification de l’eau, la mise en place de dispositifs d’échange de droits sur l’eau et le plafonnement de la consommation totale d’eau pour réserver des ressources suffisantes pour l’environnement». Personnellement, je laisserais de côté les dispositifs d’échange de droits sur l’eau, le secteur privé ayant tendance à manipuler tout ce qui ressemble à un marché. Or, ce rapport le démontre, l’eau est une ressource trop précieuse pour risquer qu’elle fasse l’objet de spéculation. La justification des auteur.es pour cette recommandation est que ces dispositifs «permettent de vendre l’eau de manière à ce que son utilisation ait la plus grande valeur ajoutée», valeur établie monétairement. Ils et elles ajoutent sans vraiment expliquer leur raisonnement que «même si les obstacles [à son implantation] semblent importants, le moment est venu de considérer ce système, sinon de le mettre en place sans plus attendre dans tous les contextes» (ils et elles n’expliquent pas plus leur raisonnement dans le document complet, qui développe surtout sur l’ampleur des obstacles à surmonter).

Mais, même si ces recommandations étaient mises en œuvre, les auteur.es reconnaissent que cela ne permettrait pas de «protéger les populations pauvres de pluies erratiques ni [de] garantir une utilisation durable de cette ressource». Pour faire face à cette situation, les auteur.es recommandent en plus la mise en place de programmes de protection sociale et d’assurance pour soulager les populations victimes d’inondations et de sécheresses, et la réglementation des entreprises (privées ou publiques) de distribution de l’eau «pour assurer une utilisation plus durable de cette ressource, protéger ses sources et prévenir une consommation excessive et une mauvaise utilisation de ce bien public». Là, on s’entend!

Les auteur.es concluent :

«L’avenir sera marqué par la soif et l’incertitude. À présent déjà, plus de 60 % des êtres humains vivent dans des régions souffrant de stress hydrique, où les quantités d’eau disponibles ne permettront pas de répondre durablement à la demande. Si les ressources en eau ne sont pas gérées de manière plus prudente – de la source au robinet, puis de retour à la source – les crises observées à l’heure actuelle engendreront les catastrophes de demain.»

Et alors…

Ce document n’est peut-être pas le plus progressiste qui soit, mais il présente sans les sous-estimer la situation actuelle et la catastrophe à venir si on ne fait rien. Ses solutions semblent bien timides, n’insistant pas assez sur la prévention des pires conséquences du réchauffement climatique. Cela dit, compte tenu des faibles efforts entrepris pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, il est essentiel de mettre en œuvre des plans pour faire face aux conséquences qui s’en viennent, tout en travaillant pour les éviter. Mais, même de ce côté, peut-on vraiment espérer que ces mesures soient adoptées et appliquées? On peut malheureusement en douter…

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