Airvore
Avec son livre Airvore ou la face obscure des transports – Chronique d’une pollution annoncée, l’ingénieur Laurent Castaignède retrace l’épopée de l’irrésistible ascension du parc motorisé, expose ses impacts environnementaux et sociaux, et propose des solutions réalistes pour les réduire.
Introduction : «Selon l’OCDE, la pollution de l’air urbain devrait devenir d’ici à 2050 la principale cause environnementale de mortalité dans le monde, devant l’eau insalubre et le manque d’assainissement». Et cela ne tient pas compte des conséquences des émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par le transport motorisé. L’auteur présente ensuite les objectifs et le contenu des chapitres qui suivent.
Première partie – L’irrésistible ascension de la mobilité motorisée
1. Les premiers balbutiements motorisés : Les premiers prototypes de transport motorisé (sur terre, sur l’eau et sans les airs) datent du XVIIIe siècle, mais n’ont eu aucun succès, leurs concurrents mus par la force animale et par le vent (bateau à voile) étant plus efficaces.
2. À toute vapeur (1800-1900) : Le premier véhicule motorisé fonctionnel fut une locomotive à vapeur créée en Angleterre au début du XIXe siècle, suivi rapidement du premier bateau à vapeur. Ces nouveaux moyens de transport se sont rapidement étendus aux États-Unis et en Angleterre, mais plus lentement dans les autres pays européens. Dès les débuts, la pollution a posé problème. Si les chauffeurs des locomotives étaient les principales victimes de cette pollution dans les activités de transport, les ouvriers et les habitants des villes où se situaient les bassins houillers et surtout les usines sidérurgiques (pour la fabrication de l’acier qui servait à construire les locomotives, wagons, rails et bateaux) vivaient constamment avec «une épaisse et noire fumée». Manchester était comparé à «volcan en éruption». Les habitants de Pittsburgh, de la vallée de la Ruhr et de bien d’autres villes vivaient le même cauchemar. Londres n’était guère plus choyée, les émanations des usines étant accentuées par celles du chauffage au charbon et de ses autres utilisations qui prenaient de l’ampleur. Les premières réglementations pour contrôler la pollution seront adoptées, mais tarderont à améliorer la situation. Finalement, les premiers véhicules au pétrole (presque aussi polluants que ceux à vapeur) font leur apparition à la fin du XIXe siècle.
3. La mobilité change d’échelle (1900-1950) : «La première moitié du XXe siècle est la période de l’essor du marché automobile, porté par l’extraction croissante de «l’huile de roche» qui deviendra «l’or noir», le pétrole». Ce n’est pas l’automobile qui s’adapte aux villes, mais les villes qui s’adaptent aux automobiles, s’étalant de plus en plus. Le pétrole, sous différentes formes, remplace le charbon comme source d’énergie pour les trains et les bateaux (et alimente les avions et les automobiles dès le début), mais le charbon alimente encore les centrales électriques. Ainsi, pour les moyens de transport électriques (métros, certains trains, tramways, trolleybus, etc.), ce ne sont pas les usager.ères qui subissent la pollution, mais les personnes habitant près des centrales. En 1950, le transport motorisé consomme 20 % de la production d’acier, 25 % de celle de charbon et 50 % de celle de pétrole. En plus, les maladies et les décès causés par l’amiante et par les intoxications au plomb (ajouté à l’essence à l’époque et jusque dans les années 1980), au monoxyde et au dioxyde de carbone se multiplient. La pollution générée par le transport motorisé inquiète de plus en plus, mais les lobbys du secteur des transports sont forts!
4. Des transports motorisés tous azimuts (1950-2000) : Les tendances décrites dans le chapitre précédent s’accentuent : le parc automobile s’étend, les avions gagnent en puissance et en popularité, et les bateaux sont toujours plus gros. Seul le chemin de fer plafonne. Les émissions de GES atteignent des sommets. Puis, certains événements, comme les chocs pétroliers des années 1970, contribuent à la réduction de la taille des automobiles, au développement de techniques pour diminuer les émissions polluantes et de GES, et à l’adoption de règlements limitant la pollution (l’auteur en décrit un très, très grand nombre), mesures en partie annulées par l’augmentation de la taille du parc automobile et de celle des automobiles. L’auteur aborde ensuite d’autres aspects de la question, notamment l’obsolescence planifiée, la consommation ostentatoire, l’endettement des ménages, l’étalement urbain, les banlieues conçues pour l’automobile et la baisse de l’activité physique, bref ce qu’il appelle l’American (motor)way of life…
5. L’engorgement de la mobilité (depuis 2000) : Le kilométrage de chacun des principaux moyens de transport motorisé (autos, motos, camions, trains, bateaux et avions) double entre 2000 et 2015-2017. La pollution de l’air cause maintenant six fois plus de décès que les accidents automobiles. La situation en Chine est de plus en plus connue, mais n’est guère plus enviable aux États-Unis, au Brésil et en France. Pire, on a appris depuis la parution de ce livre que plus «de 90 % de la population mondiale respire un air ambiant pollué» et «que la pollution est responsable de sept millions de morts chaque année».
Par ailleurs, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié trois nouveaux rapports sur les conséquences du réchauffement climatique au XXIe siècle, chacun plus alarmant que le précédent. Comme dans le chapitre précédent, l’auteur présente un très, très grand nombre de mesures réglementaires adoptées un peu partout sur Terre pour faire diminuer la pollution et les émissions de GES de tous les moyens de transport motorisé. Malgré cette réglementation et bien d’autres mesures, la pollution et les émissions de GES continuent à augmenter, et l’American (motor)way of life est encore un modèle que trop de gens ne veulent pas abandonner.
Deuxième partie 2 – Un présent et des perspectives à couper le souffle
6. Analyse d’une situation étouffante – Des performances et des gabarits en forte hausse : L’auteur aborde quelques facteurs qui expliquent que la pollution et les émissions de GES ne diminuent pas malgré les mesures présentées dans les précédents chapitres, notamment :
- la taille d’une voiture est un marqueur social (consommation ostentatoire) et donne l’illusion d’une plus grande sécurité (illusion entretenue par les fabricants);
- les fabricants automobiles pratiquent l’«optimisation réglementaire», notamment en s’arrangeant pour respecter les normes environnementales sur les bancs d’essai, mais pas sur les routes (ce type de tricherie existe depuis les années 1970, bien avant le «dieselgate» de Volkswagen);
- les arbitrages entre les performances et la pollution, et entre les émissions de GES et celles de particules fines;
- les lacunes dans l’application des normes pour les véhicules usagés;
- la croissance des émissions indirectes liées à la fabrication des véhicules et des infrastructures, et à l’extraction des sources d’énergie fossile, surtout du pétrole non conventionnel;
- l’impact limité, parfois même négatif, des voitures électriques et des agrocarburants;
- l’illusion de la compensation et des activités supposément carboneutres;
- l’effet rebond (l’amélioration de l’efficacité énergétique entraîne une hausse de la consommation).
7. Le salut par la technologie ? : Le citoyen-usager-consommateur occidental s’attend à ce «que les émissions des GES et de polluants soient prises en charge par des innovations technologiques, et non par des modifications de son propre comportement». L’auteur explique en analysant de nombreuses innovations imaginées dans ce sens (ainsi que les solutions misant sur le marché) que cette attente risque fort d’être vaine.
Troisième partie – Quelle sortie de secours ?
8. La recherche d’un équilibre soutenable : Si nous ne pouvons pas nous reposer sur les innovations technologiques, comment pourrions-nous espérer faire diminuer la pollution et les émissions de GES? L’auteur présente de nombreuses solutions proposées aussi bien dans des œuvres de fiction que dans des essais «sérieux» et ne parvient pas à trouver une piste qui serait potentiellement acceptable à la population. Il écarte enfin les taxes et la réglementation telle qu’elles s’appliquent actuellement.
9. Les sept clés d’une domestication du transport motorisé : Comme le titre l’indique, l’auteur propose dans ce chapitre sept «ensembles de mesures radicales». Par respect pour l’auteur, je ne vais ici que mentionner le titre de ces mesures développées sur une quarantaine de pages dans le livre :
- la transparence et la responsabilisation des constructeurs;
- la gestion globale et harmonisée des carburants;
- la limitation du gaspillage;
- le partage des espaces et des moyens;
- le marketing de la sobriété;
- la stabilisation des parcs motorisés;
- la sanctuarisation des réserves.
Ce chapitre étoffé nous rappelle que l’auteur est ingénieur. Il conclut ainsi :
«Mélange de limitations réglementaires et d’incitations fortes à un profond changement de l’approche de la mobilité des biens comme des personnes, ces proposition de «domptage» des transports motorisés apparaîtront trop modérées aux écologistes avertis et intransigeants ou irréalistes et bien utopiques au citoyen occidental habitué au confort que procure l’actuelle profusion de moyens et de carburant.»
Conclusion : L’auteur résume tout d’abord les 300 pages précédentes de façon très efficace (ce texte ferait un excellent billet pour présenter le contenu de ce livre!), puis se demande si l’être humain réagira à temps. «(…) il va falloir réapprendre à bouger pour vivre et non plus vivre pour bouger».
«Il est grand temps qu’il [l’être humain] retrouve sa boussole et un cap vraisemblable, sinon frugal, dans un contexte où couve un conflit de générations entre une jeunesse voyant poindre un cataclysme écologique (et économique) qu’elle subira de plein fouet et dont elle se sent peu responsable, et une classe d’âge mûr soucieuse de maintenir pendant une ou deux décennies l’emballement du système, refusant de sacrifier son mode de vie sans cesse plus mobile pour des bénéfices supposés qu’elle ne connaîtra que très peu de son vivant. (…) Le temps presse. Vite, changeons d’air!»
Annexe 1. Petit glossaire technique : Ce glossaire est regroupé par sujet et non présenté en ordre alphabétique. C’est pourquoi j’ai renoncé à consulter cette annexe quand le texte nous indiquait par une étoile un mot ou une expression définie dans ce glossaire.
Annexe 2. La formidable porosité de l’échappement automobile : L’auteur présente dans cette deuxième annexe les moyens (la plupart techniques) pris par les fabricants pour contourner la réglementation sur la pollution et sur les émissions de particules fines et de GES, certains pas directement illégaux, mais d’autres carrément frauduleux. Je répète, le dieselgate de Volkswagen est loin d’être le premier et le seul cas! L’auteur en décrit au moins une douzaine, le premier datant du début du XXe siècle!
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre est certainement le mieux documenté et le plus complet que j’ai lu sur ce sujet. S’il a un défaut, c’est justement que les descriptions sont tellement approfondies que j’en perdais parfois le fil (même si l’objet de ces descriptions demeurait clair). Par ailleurs, je reproche souvent à ce genre de livre l’absence de solutions pertinentes. Cela ne sera pas le cas ici. Son chapitre sur les solutions est réaliste, concret et bien défini. Je peux difficilement le critiquer, puisqu’il explicite parfaitement une recommandation que j’ai proposée dans un billet datant de 2010 (Rationner rationnellement). Alors que je ne faisais qu’esquisser le concept du rationnement rationnel, l’auteur le décrit en détail et le complète avec des propositions concrètes pour faire diminuer la pollution et les émissions de GES. Ne serait-ce que pour ce chapitre (le reste est aussi de bonne tenue), ce livre vaut le détour. On notera toutefois qu’il porte uniquement sur le transport, n’abordant pas les autres sources de pollution et d’émissions de GES (dont la plus importante, je le rappelle, est l’élevage). Ce n’est pas un défaut, simplement un constat.
Ce livre contient en plus 22 pages sur papier glacé de photos de véhicules présentés dans le texte et de visions futuristes qui glacent le sang! Finalement, les nombreuses notes sont heureusement en bas de page. J’ai d’autant plus apprécié cela qu’elles sont souvent essentielles à la compréhension du texte principal ou le complètent à tout le moins. Bravo!
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