La scolarité, le revenu d’emploi et le niveau de compétence des emplois des membres des minorités visibles
Après un premier sur la concentration des hommes et des femmes dans les professions et un deuxième sur cette concentration pour les membres des minorités visibles, ce billet est le troisième se basant sur les données provenant du fichier 98-400-X2016356 tiré du recensement de 2016. Il portera sur la scolarité, le revenu d’emploi et le niveau de compétence des emplois des travailleur.euses appartenant à une minorité visible.
Le niveau de scolarité des femmes en emploi selon l’appartenance à une minorité visible
Je rappelle ici que, selon Statistique Canada, les personnes qui appartiennent à une minorité visible sont celles «autres que les Autochtones, qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche». Le tableau qui suit présente pour 14 groupes de femmes liés ou non aux minorités visibles :
- à la première ligne, le nombre d’emplois occupés par ces femmes âgées de 25 à 64 ans (tranche d’âge choisie pour éviter que les écarts de scolarité soient dus à des facteurs démographiques et pour retirer les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans qui n’ont pas toutes terminé leurs études) au moment du recensement (deuxième semaine de mai 2016) plus celles de la même tranche d’âge qui ne travaillaient pas la semaine du recensement, mais qui avaient travaillé entre le début de 2015 et la semaine de référence du recensement;
- aux quatre lignes suivantes, la proportion de ces femmes selon le plus haut niveau de scolarité atteint, soit aucun (moins qu’un diplôme d’études secondaires ou DES), DES, diplôme d’études postsecondaires (y compris un diplôme d’apprenti ou d’une école de métiers, dont les diplômes d’études professionnelles ou DEP, un diplôme d’études collégiales ou DEC, général ou technique, ou un certificat ou diplôme universitaire inférieur au baccalauréat), un baccalauréat ou tout autre diplôme supérieur (dont ceux de la maîtrise et du doctorat).
Les deux premières colonnes de la partie du haut du tableau illustrent les différences de scolarisation entre les femmes en emploi appartenant à une minorité visible et les autres femmes en emploi. On constate que, si un peu plus des premières que les deuxièmes avaient moins d’un DES («Aucun»), soit 8,8 % par rapport à 7,7 %, ces deuxièmes étaient proportionnellement plus nombreuses à être titulaires d’un baccalauréat ou plus (38,8 % par rapport à 31,2 %). Cet avantage était compensé par une proportion moindre de ces femmes n’ayant qu’un DES (14,3 % par rapport à 16,8 %) ou étant titulaires d’un diplôme postsecondaire inférieur au baccalauréat (38,1 % par rapport à 44,3 %).
Les autres colonnes du tableau nous montrent que ce niveau moyen de scolarité différait grandement selon l’appartenance à des minorités précises. Ainsi, celles qui avaient les taux les plus élevés de sous scolarisation étaient les Asiatiques du Sud-Est (p. ex. Vietnamiennes, Cambodgiennes, Laotiennes, Thaïlandaises, etc.), avec 19,0 % n’ayant aucun diplôme, les Sud-Asiatiques (p. ex. Indiennes de l’Inde, Pakistanaises, Sri-Lankaises, etc.), avec 14,2 %, les Asiatiques occidentales (p. ex. Iraniennes, Afghanes, etc.), avec 11,7 % et les Latino-Américaines, avec 10,8 %. Par contre, il est remarquable de constater que les femmes appartenant à ces quatre minorités étaient tout de même proportionnellement plus nombreuses à être titulaires d’au moins un baccalauréat que les femmes n’appartenant pas à une minorité visible, soit de 34,8 % à 54,1 % (!) par rapport à 31,2 %. Ce paradoxe apparent pourrait s’expliquer par la scolarité différente des femmes arrivées comme réfugiées de celle des femmes nées ici ou ayant été acceptées comme demandeuses principales ou conjointes de demandeur.euses principaux.ales. À l’inverse, celles qui avaient les taux les plus bas de sous scolarisation étaient les Japonaises (1,7 %, soit 20 seulement sur 1155), les Coréennes (1,8 %, 25 sur 1375) et les Philippines (2,9 %). Dans ce dernier cas, il est probable que ce faible taux, accompagné d’un pourcentage inférieur à la moyenne des femmes appartenant à une minorité visible de titulaires d’au moins un baccalauréat (36,8 % par rapport à 38,8 %), soit dû aux critères du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) qui exigeait (on semble ne plus accepter de nouvelles candidates à ce programme) une scolarité minimale (que je ne peux pas préciser, car les critères ne sont plus mentionnés sur le site).
Celles qui avaient les taux les plus élevés de titulaires d’au moins un baccalauréat étaient les Coréennes (60,7 %), les Chinoises (56,8 %), les Japonaises (54,5 %) et les Asiatiques occidentales (54,1%). Il faut aussi noter que, parmi les 12 groupes de femmes appartenant à une minorité visible, seules les Noires (qui occupaient près du tiers des emplois dans lesquels travaillaient des femmes appartenant à une minorité visible, soit 62 135 sur 193 895) avaient un taux de titularisation universitaire inférieur à celui des femmes n’appartenant pas aux minorités visibles, et encore, de peu (29,7 % par rapport à 31,2 %). Par contre, elles étaient celles qui avaient le taux le plus élevé de titulaires de diplômes postsecondaires inférieurs au baccalauréat («Postsecondaire» dans le tableau), soit 50,8 % par rapport à 44,3 % pour les femmes n’appartenant pas à une minorité visible et à 32,2 % (donnée absente du tableau) pour les autres femmes appartenant à une minorité visible.
Bref, malgré certains écarts entre les groupes, les femmes en emploi appartenant à une minorité visible avaient en 2016 un niveau de scolarité nettement plus élevé que celui des femmes n’appartenant pas à une minorité. On verra plus loin si cela leur a permis d’occuper des emplois exigeant plus de compétence et d’obtenir une rémunération plus élevée.
Le niveau de scolarité des hommes en emploi selon l’appartenance à une minorité visible
Le tableau qui suit a la même configuration que le précédent et présente les mêmes variables, mais pour les hommes.
Les deux premières colonnes de la partie du haut du tableau nous montrent que les hommes en emploi appartenant à une minorité visible comptaient en 2016 à la fois proportionnellement moins de travailleurs sous scolarisés (11,0 % par rapport à 12,4 %) et beaucoup plus de travailleurs titulaires d’au moins un baccalauréat que les hommes en emploi n’y appartenant pas (38,8 % par rapport à 24,3 %, un taux près de 60 % plus élevé). On remarquera que si le taux de ces titulaires est le même pour les hommes et les femmes en emploi appartenant à une minorité visible (38,8 %), la différence est importante entre les hommes et les femmes en emploi n’appartenant pas à une minorité visible (24,3 % par rapport à 31,2 %). Il est fort probable que l’absence de différence entre les hommes et les femmes en emploi appartenant à une minorité visible soit due au fait que les immigrants sont beaucoup plus souvent des demandeurs principaux que les immigrantes (47 % des immigrants et 29 % des immigrantes arrivé.es de 2009 à 2015 et vivant toujours au Québec en 2015, selon le tableau cansim 054-0015), car les exigences de scolarité sont plus élevées pour cette catégorie d’immigration.
Comme pour les femmes (et dans le même ordre), ce sont les Asiatiques du Sud-Est (p. ex. Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens, Thaïlandais, etc.), avec 20,4 % n’ayant aucun diplôme, les Sud-Asiatiques (p. ex. Indiens de l’Inde, Pakistanais, Sri-Lankais, etc.), avec 17,6 %, les Asiatiques occidentaux (p. ex. Iraniens, Afghans, etc.), avec 15,3 % et les Latino-Américains, avec 15,2 % qui avaient les taux de sous scolarisation les plus élevés. Encore comme pour les femmes, ces taux plus élevés de sous scolarisation n’empêchaient pas ces hommes d’être proportionnellement plus nombreux à être titulaires d’au moins un baccalauréat que les hommes n’appartenant pas à une minorité visible, soit de 30,3 % à 47,4 % par rapport à 24,3 %. Cette situation appuie l’hypothèse émise plus tôt que ce paradoxe apparent pourrait s’expliquer par la scolarité différente des hommes arrivés comme réfugiés de celle des hommes nés ici ou ayant été acceptés comme demandeurs principaux ou conjoints de demandeur.euses principaux.ales. Ceux qui avaient les plus bas de sous scolarisation étaient, les Coréens (2,2 %, 25 sur 1150) et les Japonais (3,2 %, soit 20 sur 620).
Ceux qui avaient les taux les plus élevés de titulaires d’au moins un baccalauréat étaient les Chinois (57,2 %), les Japonais (56,5 %), les Coréens (56,1 %) et les Arabes (48,1%). Il faut aussi noter qu’aucun des 12 groupes d’hommes en emploi appartenant à une minorité visible n’avait un taux de titularisation universitaire inférieur à celui des hommes n’appartenant pas à une minorité visible.
Niveaux de compétence et revenus d’emploi des femmes en emploi selon l’appartenance à une minorité visible
Le tableau qui suit présente pour 14 groupes de femmes liés ou non aux minorités visibles :
- aux cinq premières lignes, le pourcentage des emplois occupés par ces femmes âgées de 25 à 64 ans en 2016 selon leur niveau de compétence;
- aux deux suivantes, leur revenu médian et leur revenu moyen.
Les cinq niveaux de compétence indiqués sont :
- 0 – Gestion : professions de la gestion;
- A – Professionnel : professions exigeant en général un diplôme universitaire ou l’équivalent;
- B – Technique : professions exigeant en général un diplôme postsecondaire ou l’équivalent;
- C – Intermédiaire : professions exigeant en général un diplôme d’études secondaires;
- D – Élémentaire : professions pour lesquelles une formation en cours d’emploi est habituellement suffisante.
Les deux premières colonnes de la partie du haut du tableau montrent que, même si les femmes en emploi appartenant à une minorité visible étaient plus scolarisées que celles n’appartenant pas à une minorité visible, elles occupaient moins souvent des postes de gestion (6,2 % par rapport à 8,9 %, soit 30 % moins fréquemment), de niveau professionnel (20,4 % par rapport à 24,5 %, soit entre 15 et 20 % moins fréquemment) et de niveau technique (29,5 % par rapport à 34,6 %, soit 15 % moins fréquemment), mais plus souvent des postes de niveau intermédiaire (31,2 % par rapport à 24,0 %, soit 30 % plus fréquemment) et élémentaire (12,8 % par rapport à 8,0 %, soit 60 % plus fréquemment). On ne s’étonnera pas alors de constater que leur revenu médian ait été près de 30 % plus bas (26 166 $ par rapport à 36 527 $) et que leur revenu moyen l’ait été de près de 25 % (32 452 $ par rapport à 42 540 $), revenu dans les deux cas inférieur d’un peu plus de 10 000 $.
Cela dit, trois des 12 groupes de femmes appartenant à une minorité visible occupaient plus souvent des postes de niveaux de la gestion ou professionnel que les femmes n’appartenant pas à une minorité visible, et ce sont aussi les trois groupes dont la proportion de titulaires de diplômes universitaires était la plus élevée, soit les Coréennes (39,5 % par rapport à 33,4 %), les Chinoises (38,9 %) et les Japonaises (37,2 %). Mais, même avec cette proportion plus élevée de postes des niveaux en général les mieux rémunérés, leurs revenus médians et moyens demeuraient nettement moins élevés que ceux des femmes n’appartenant pas à une minorité visible. Il faut dire que, dans les trois cas, les postes de gestion les plus fréquents étaient dans des postes de directrices – commerce de détail et de gros (et probablement de dépanneurs) et que les postes d’assistantes d’enseignement et de recherche qui étaient la profession de niveau professionnel qu’elles occupaient globalement le plus souvent ne sont pas particulièrement bien rémunérés. Notons finalement que celles qui avaient les revenus médian et moyen les plus bas étaient les Asiatiques occidentales (p. ex. Iraniennes, Afghanes, etc.) qui occupaient pourtant une proportion plus élevée de postes de niveaux de la gestion ou professionnels que les autres femmes appartenant à une minorité visible, mais encore plus souvent dans des postes de direction de dépanneurs et d’assistantes d’enseignement et de recherche.
On a donc vu que la scolarité plus élevée des femmes appartenant à une minorité visible ne leur a pas assuré de meilleurs emplois et des revenus plus élevés.
Niveaux de compétence et revenus d’emploi des hommes en emploi selon l’appartenance à une minorité visible
Le tableau qui suit a la même configuration que le précédent et présente les mêmes variables, mais pour les hommes.
Les deux premières colonnes de la partie du haut du tableau montrent que les hommes en emploi appartenant à une minorité visible occupaient :
- moins souvent des postes de gestion que les hommes n’appartenant pas à une minorité visible (9,3 % par rapport à 12,6 %, soit 30 % moins fréquemment), mais plus que les femmes de la même appartenance (6,2 %);
- plus souvent des postes de niveau professionnel (19,8 % par rapport à 16,2 %, soit entre 20 et 25 % plus fréquemment), mais un peu moins que les femmes de la même appartenance (20,4 %);
- moins souvent de niveau technique (27,8 % par rapport à 35,1 %, soit 20 % moins fréquemment), mais un peu moins que les femmes de la même appartenance (29,5 %)
- plus souvent des postes de niveau intermédiaire (29,9 % par rapport à 24,7 %, soit 20 % plus fréquemment), mais un peu moins que les femmes de la même appartenance (31,2 %)
- plus souvent des postes de niveau élémentaire (13,1 % par rapport à 10,4 %, soit 25 % plus fréquemment), mais un peu moins que les femmes de la même appartenance (12,8 %).
Conséquence entre autres de cette structure d’emploi exigeant moins de compétence, leur revenu médian était plus de 30 % plus bas (32 409 $ par rapport à 36 527 $), mais près de 25 % plus élevé que celui des femmes de même appartenance (26 166 $). Leur revenu moyen présentait des écarts de même ampleur (40 310 $ par rapport à 58 026 $, soit 30 % de moins), avec toujours un écart positif de 25 % avec celui des femmes de même appartenance (31 452 $). En dollars, la différence entre les hommes des deux groupes était toutefois nettement plus élevée que pour les femmes, avec des écarts de 15 158 $ pour le revenu médian et de 17 716 $ pour le revenu moyen, par rapport à un peu plus de 10 000 $ pour les femmes pour les deux types de revenus.
Les Coréens et les Chinois sont les seuls des 12 groupes de minorités visibles présentés dans le tableau à occuper proportionnellement plus de postes de gestion et de niveau professionnel que les hommes n’appartenant pas à une minorité visible. Les postes de gestion les plus fréquents dans les deux cas étaient ceux de directeurs – commerce de détail et de gros (dont de nombreux propriétaires de dépanneurs, probablement) et de directeurs de la restauration, deux professions pas nécessairement bien rémunérées. Du côté professionnel, ce sont les emplois en informatique (programmeurs et analystes) qui dominaient. La rémunération plus élevée que la moyenne dans ce domaine n’a pas suffi à compenser la faible rémunération dans les professions de la restauration et le commerce de détail dans lesquelles on trouve sept des huit principales professions occupées par ces hommes. En conséquence, même s’ils occupent des professions qui exigent en moyenne plus de compétence que les autres hommes, leur revenu médian est même plus faible que celui des autres hommes appartenant à une minorité visible et leur revenu moyen est à peine un peu plus élevé.
Et alors…
Alors qu’on a vu dans le premier billet la plus grande concentration des emplois chez les femmes que chez les hommes, puis dans le deuxième que cette concentration est encore plus élevée chez les femmes appartenant à une minorité visible, on apprend avec celui-ci que les femmes et les hommes de cette appartenance sont plus scolarisé.es que les autres travailleur.euses, mais qu’ils occupent des emplois qui exigent en moyenne moins de compétence et touchent des revenus d’emploi nettement moins élevés. Autre constat, ce désavantage touche les 12 groupes de minorités visibles, pas seulement ceux dont on parle le plus souvent dans les médias, et aussi bien les hommes que les femmes. Les différences entre ces groupes s’observent davantage dans les taux d’emploi et de chômage, mais ça, ça sera pour une autre fois (màj : c’est fait)!
Ce billet ne permet bien sûr pas d’isoler les causes de cette situation, mais fait le premier pas, soit de nous permettre d’avoir une idée de l’ampleur de cette réalité. D’autres études ont déjà permis de savoir que la première cause de cette situation est sûrement le manque de reconnaissance des diplômes et des expériences acquises à l’étranger, mais aussi à la présence de ghettos d’emplois et, comme ces facteurs ne semblent pouvoir expliquer l’ampleur des écarts et comme une forte proportion des personnes appartenant à des minorités visibles sont nées ici et y ont étudié, à certaines formes de discrimination. De nombreuses études, dont celle-ci parue récemment, ont en effet montré que, à études, qualifications et expériences identiques, les personnes appartenant à une minorité visible ont une probabilité inférieure de se faire convoquer en entrevue pour un emploi quand elles ont un nom différent de ceux qu’on retrouve historiquement au Québec. Maintenant, il faut agir!
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