Aller au contenu principal

Nos vêtements et l’environnement

25 Mai 2018

Dans un récent billet, j’ai mentionné que je comptais présenter quelques textes dont j’ai pris connaissance grâce au billet que Timothy Taylor a publié sur les articles offerts gratuitement sur Internet de la revue Journal of Economic Perspectives (JEP) dont il est l’éditeur. Comme le texte précédent que j’ai abordé sur ce blogue, celui que je vais présenter cette fois vient aussi des lectures recommandées par M. Taylor. Il s’agit d’une étude de 150 pages de la Fondation Ellen MacArthur (fondation britannique qui se consacre à la promotion de l’économie circulaire) publiée en novembre 2017 et intitulée A New Textiles Economy: Redesigning Fashion’s Future (Une nouvelle économie du textile: redéfinir l’avenir de la mode). Je vais en grande partie me baser sur le sommaire d’une quinzaine de pages de cette étude et sur certaines parties du document complet à l’occasion.

Le gaspillage de vêtements et ses conséquences

La production de vêtements a doublé depuis de 15 ans et employait en 2015 plus de 300 millions de personnes, représentant jusqu’à 7 % de l’emploi de quelques pays à bas salaires. Comme le graphique ci-contre le montre, entre 2000 et 2015, la production mondiale et la valeur des ventes de vêtements ont doublé, pendant que le nombre de fois qu’un vêtement est porté a diminué de 36 %. Les auteur.es précisent que ce nombre varie grandement selon les pays. Par exemple, un vêtement est porté quatre fois moins aux États-Unis que la moyenne mondiale.

Plus du tiers de la valeur des vêtements produits annuellement est gaspillée en raison de la sous-utilisation des vêtements et du faible niveau des activités de recyclage. Le fast-fashion, soit le «renouvellement, le plus rapide possible, des collections d’articles de la mode vestimentaire», accentue cette tendance au gaspillage. En effet, plus de la moitié de ces vêtements sont jetés moins d’un an après leur achat, après avoir été portés en moyenne entre sept et dix fois. Voici d’autres faits et données illustrant les conséquences du gaspillage de vêtements :

  • des matériaux utilisés pour fabriquer des vêtements (soit entre autres 63 % de plastiques et 23 % de coton), 87 % sont enfouis ou incinérés, dont 14 % viennent de vêtements qui n’ont jamais été portés (soit en raison de pertes, de défauts de fabrication ou de mévente);
  • moins de 1 % des vêtements sont recyclés en d’autres vêtements, les autres 12 % recyclés l’étant pour d’autres utilisations (matériaux d’isolation, chiffons et rembourrages de matelas) qui, elles, sont encore plus rarement recyclées;
  • le taux de recyclage varie de 0 % dans de nombreux pays, à 10 à 15 % aux États-Unis et en Chine, à 75 % en Allemagne, ce qui montre qu’il est possible de faire beaucoup mieux qu’actuellement;
  • la production de fibres pour les vêtements exige des quantités énormes de pétrole (surtout pour les fibres de plastiques), de pesticides et de fertilisants (pour le coton), de produits chimiques (dans la production et pour la coloration et la finition), nuisant à la santé des agriculteurs, des travailleur.euses en usine, de la population habitant près des cours d’eau où ces produits sont souvent déversés (polluant aussi les écosystèmes environnants) et même des consommateurs qui les portent (polluant aussi les cours d’eau où ces produits s’échappent lors du lavage);
  • cette industrie génère environ 20 % de la pollution industrielle des cours d’eau;
  • la production de vêtements émet plus de gaz à effet de serre (GES) que le total de l’aviation internationale et du transport maritime (et ça ne tient pas compte les GES émis lors du lavage et du séchage domestiques);
  • cette production utilise 4 % du prélèvement mondial d’eau douce (plus un autre 1 % pour le lavage), souvent dans des régions où la sécheresse menace fréquemment;
  • la production de fibres végétales (surtout du coton) et animales (surtout de la laine) concurrence l’utilisation des terres pour la production alimentaire;
  • des microfibres des tissus produits à partir de plastiques (surtout du polyester, du nylon et de l’acrylique) se détachent lors du lavage et se retrouvent dans les océans; cette pollution équivaut annuellement à celle de 50 milliards de bouteilles en plastique;
  • les conditions de travail des employé.es (parfois des enfants) des usines de vêtements sont pénibles, souvent comparables à de l’esclavage, et les normes environnementales minimales (quand il y en a), mettent en danger les populations entières des régions où ces usines sont installées (rappelons-nous toujours l’effondrement du Rana Plaza…).

Si la tendance se maintient :

  • la production triplera d’ici 2050, accentuant les problèmes actuels;
  • cette production générerait environ 25 % des émissions GES que la Terre peut se permettre pour restreindre à 2 degrés Celsius le réchauffement climatique, alors que sa contribution en 2015 n’était que de 2 % (il faut tenir compte du fait que la quantité de GES maximale qui peut être émise pour limiter le réchauffement à 2 degrés doit diminuer considérablement d’ici 2050, soit de 40 à 70 % par rapport à son niveau de 2010);
  • la quantité de microfibres de plastique rejetées dans l’océan atteindrait des quantités encore plus importantes (environ 0,7 million de tonnes par année, le tout s’accumulant);
  • le poids des vêtements enfouis et incinérés de 2015 à 2050 équivaudrait à 10 fois le poids de la population mondiale actuelle.

La solution, l’économie circulaire

Si quelques mesures ont été adoptées au cours des dernières années pour réduire l’impact négatif de la production de vêtements sur l’environnement et la société, elles n’ont nullement remis en question le mode de production linéaire actuel, ne cherchant par exemple pas à réduire le gaspillage et le faible niveau de recyclage ni à augmenter le nombre de fois qu’un vêtement est porté.

Les auteur.es présentent ensuite les avantages d’appliquer le principe de l’économie circulaire à la production de vêtements, comme l’illustre le graphique ci-contre.

  1. Éliminer les substances nuisibles et le rejet des microfibres dans l’environnement : Pour ce, il faut utiliser des substances saines. Dans certains cas, il faudra innover, notamment pour éliminer l’utilisation de produits chimiques dommageables dans la production et pour la coloration et la finition, et le rejet de microfibres de plastique dans la nature ou pour récupérer celles qui pourraient s’échapper.
  2. Transformer la façon dont les vêtements sont conçus, vendus et utilisés : Le moyen le plus efficace pour éviter le gaspillage est d’augmenter le nombre de fois qu’un vêtement est porté. Il faut cesser de voir les vêtements comme un produit jetable. C’est entre autres toute la stratégie de marketing qu’il faut revoir. Les auteur.es proposent notamment de développer la location de vêtements, de rendre la qualité et la durabilité plus désirables (comme valeur de société et en favorisant la revente de vêtements), et de réglementer la conception (design) et la production pour s’assurer que les vêtements durent plus longtemps (ou s’usent moins rapidement).
  3. Améliorer radicalement le recyclage en transformant la conception (le design) et en favorisant la collecte et la réutilisation des vêtements : Pour assurer un bon niveau de recyclage, on doit le prévoir dès l’étape de la conception des vêtements, tant dans le choix des matériaux que dans la façon de les assembler. Les auteur.es recommandent aussi d’intensifier la recherche sur les matériaux et sur les méthodes de recyclage, par exemple dans les façons de trier les vêtements en fonction d’usages spécifiques, ce qui serait facilité si cette étape était planifiée dès la conception, de stimuler la demande pour les matériaux recyclés (comme on l’a fait en partie dans la fabrication de papier, et mieux si possible!), et d’implanter la collecte de vêtements sur une grande échelle (l’exemple de l’Allemagne, comme mentionné précédemment, ou d’autres pays devrait bien sûr servir de modèle et être imité).
  4. Utiliser efficacement les ressources et surtout des intrants renouvelables : Grâce aux deux dernières recommandations, le besoin en intrants de matières premières serait grandement réduit. Mais, ces intrants seront toujours nécessaires. Les auteurs recommandent d’utiliser en premier lieu des intrants recyclables et autant que possible, de sources renouvelables (le document complet présente quelques expériences allant dans ce sens, notamment pour produire des fibres de plastique biodégradables à partir de la biomasse et du coton avec des méthodes régénératrices qui n’exigent pas l’utilisation de pesticides et de fertilisants de synthèse).

Mon résumé peut faire passer ces propositions pour des vœux pieux ou des solutions simplistes, mais il faut comprendre que plus de la moitié de l’étude porte sur ces propositions. Je n’ai donc fait que les effleurer, en résumant le sommaire. Cela dit, il est vrai qu’elles sont exigeantes, mais on ne peut nier leur pertinence.

Collaboration

Le sommaire se termine avec une analyse des changements qui seraient nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations de la section précédente. On y explique que des améliorations graduelles ne suffiront jamais à changer la situation de façon suffisante, qu’il faut passer à un système de production totalement différent. Pour que cela soit possible, nous avons besoin d’une «approche concertée, globale, systémique et collaborative» entre tous les acteurs du secteur et les gouvernements. L’étude fournit quelques pistes pour réaliser cet objectif, mais je vais en rester là.

Et alors…

Cette étude, surtout sa première partie, m’a donné tout un choc. Je sais depuis des années que cette industrie est polluante et trop souvent peu respectueuse (euphémisme) des droits des travailleurs et surtout des travailleuses, mais je ne me doutais pas qu’elle était aussi une des grandes responsables du déversement de microfibres de plastique dans l’océan! Chose certaine, je vais continuer à user mes vêtements à la corde et pourrai prétendre le faire pour le bien de l’environnement plutôt que parce que je suis trop paresseux pour en acheter d’autres! J’espère aussi que ce billet sensibilisera d’autres personnes à utiliser d’autres moyens que le magasinage de vêtements pour se consoler des aléas de la vie!

5 commentaires leave one →
  1. 25 Mai 2018 11 h 07 min

    Ouf, on a le vertige à contempler le gouffre (ou la montagne) des défis qui s’empilent. Et je viens de lire un article accablant sur Ford, candidat aux élections provinciales en Ontario, traitant de l’Anti-environmentalisme [1] … soupir. Éduquer, informer, partager, dénoncer, recommencer.

    Une note sur les budgets carbone du GIEC mentionnés dans votre billet. Ils sont déraisonnablement optimistes car: un, ils présupposent de techniques industrielles de capture de carbone QUI N’EXISTENT PAS ENCORE [3] (désolé pour le cri) et, deux, ils négligent les boucles de rétroaction positives actuellement observées (eg, méthane microbien issu du pergélisol fondu [2]).

    Merci au passage pour la tenue de votre blog!

    [1] http://rabble.ca/multimedia/2018/05/anti-environmentalism-will-be-front-and-centre-ford-government-ontario
    [2] https://www.nature.com/articles/s41558-018-0095-z.epdf
    [3] http://nymag.com/daily/intelligencer/2018/03/the-paris-climate-accords-are-starting-to-look-like-fantasy.html

    J’aime

  2. 25 Mai 2018 12 h 22 min

    Et merci à vous pour les précisions!

    D’ailleurs, mes calculs ne marchaient pas. Les vêtements passaient selon l’étude de 2 à 26 % (j’ai écrit «environ 25 %») du bilan carbone et une baisse de 40 à 70 % (donnée non mentionnée dans l’étude, mais que j’ai trouvée dans le lien que j’ai fourni et à deux ou trois autres endroits) jumelé au triplement de la production ne me donnait pas un facteur 13 (26/2 = 13), mais un facteur entre 5 et 10, quoique que 2 % peut aussi bien être 1,50 % que 2,49 %, le facteur se situant donc entre 10 et 17 (environ)… En plus, on parlait de 2015 dans un cas et de 2010 dans l’autre. L’idée était de montrer que la hausse de 2 à 26 % était due à deux facteurs, soit à la hausse de la production de vêtements et à la baisse du bilan carbone. Rendu là, les proportions ne me dérangeaient pas trop. Cela dit, votre commentaire demeure pertinent!

    J’aime

  3. Gaetan Provencher permalink
    28 Mai 2018 20 h 46 min

    Tiens, j’ai manqué un épisode ? Mario Jodoin est sorti du placard de Jeanne ! 😉

    GAP

    J’aime

  4. 28 Mai 2018 22 h 33 min

    J’ai expliqué ça brièvement dans la section À propos (https://jeanneemard.wordpress.com/about/). Et j’ai fait le changement le jour même de ma retraite!

    J’aime

Trackbacks

  1. Les climatiseurs et les émissions de gaz à effet de serre |

Laisser un commentaire