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L’ironie de l’évolution

16 juillet 2018

Docteur en physiologie végétale, mais aussi écrivain, dramaturge, vidéaste et vulgarisateur, Thomas C. Durand nous présente avec son livre L’ironie de l’évolution un paradoxe étonnant : «c’est justement l’évolution (de notre cerveau) qui explique les résistances à cette idée. Ainsi, les difficultés que nous éprouvons à « croire » la théorie darwinienne de l’évolution s’expliquent elles-mêmes par ladite théorie, et en constituent finalement une éclatante illustration». Attirant, non?

1. L’évolution est plus futée que vous : Ce livre ne cherche pas à convaincre les antiévolutionnistes, mais vise plutôt à expliquer «pourquoi les arguments de la science sont si souvent impuissants à convaincre ceux qui se disent «sceptiques» et ont leurs raisons de refuser une théorie pourtant centrale dans les sciences du vivant». L’auteur présente ensuite diverses thèses défendues par les antiévolutionnistes, certaines résultant de mises en récit très imaginatives.

2. Les définitions du problème : L’auteur aborde dans ce chapitre :

  • le langage scientifique et sa terminologie;
  • le fait que les opinions et la démocratie n’ont pas leur place en science;
  • ce que sont et ne sont pas la science et une théorie scientifique;
  • le flou entre le vivant et le non-vivant;
  • le concept d’entropie;
  • le concept d’espèce (qui est indéfinissable);
  • ce que dit et ce que ne dit pas la théorie de l’évolution.

3. Le cerveau n’est pas fait pour penser : On pense souvent (avec notre cerveau) que la fonction première du cerveau est de penser. Or, ce n’est pas le cas. En effet, «l’évolution du cerveau a d’abord produit une amélioration des capacités sensorielles et motrices, la maîtrise des interactions physiques avec l’environnement, avant de permettre des relations de type social de plus en plus raffinées. (…) Le cerveau humain est également expert dans l’analyse du comportement de nos congénères, ce qui est d’une importance cruciale pour la survie et la reproduction». L’auteur explique (je dois malheureusement sauter sa démonstration) que ce sont ces caractéristiques qui portent l’être humain à donner un sens à ce qui n’en a pas nécessairement, caractéristiques qui ont entre autres mené à attribuer à des êtres supérieurs des phénomènes naturels.

Oui, le cerveau peut servir à penser, mais cela lui demande beaucoup d’effort, car il «n’a pas été construit pour que nous philosophions avec». L’auteur poursuit en présentant les principales imperfections qui affligent notre cerveau. Je vais me contenter de les mentionner et d’en donner un exemple :

  • le sophisme de la proportionnalité (à grands effets, il doit bien avoir de grandes causes; un être pensant comme nous doit donc avoir été créé par un être supérieur, un dieu);
  • le biais essentialiste (comme d’attribuer l’attrait d’une couleur à un sexe en particulier ou de penser qu’un bébé français élevé en anglais parlera français; le racisme est aussi un biais essentialiste);
  • le biais téléologique (comme de penser que «les girafes ont acquis un long cou pour pouvoir atteindre les feuilles les plus hautes» ou que «la fonction crée l’organe», alors que c’est l’inverse dans les deux cas);
  • le réglage fin et le principe anthropique fort, manifestations du biais téléologique (comme la probabilité que les caractéristiques physiques qui permettent la présence de l’être humain est infinitésimale – certains ont calculé une probabilité de 1 sur 10 exposant 120 – la présence de ces caractéristiques précises doit avoir une finalité et celle-ci ne peut être que notre existence);
  • la perception d’agent (le fait de craindre des événements sans signe évident, ce qu’on appelle des faux positifs; je renonce à tenter de résumer cette partie du livre absolument passionnante!) et l’illusion d’agent (qui se manifeste notamment par l’appel à l’ignorance et le renversement de la charge de la preuve, qui consiste à demander à son contradicteur de prouver qu’on a tort plutôt qu’à prouver que son idée est vraie);
  • la dissonance cognitive (quand notre conviction irrationnelle est contredite par les faits, on ressent un grave inconfort, voire une angoisse, qui peut se résoudre soit en changeant d’avis – ce qui est plutôt rare pour des sujets qui nous tiennent à cœur – ou en niant ces faits et en ne retenant que ceux qui concordent avec notre opinion, ce qui est plus fréquent en raison de notre biais de confirmation et de notre tendance à rationaliser ce qui n’est pas rationnel);
  • le problème du hasard (nous résistons à admettre que des événements importants peuvent survenir par hasard, préférant trouver des causes à tout).

L’auteur présente ensuite les hypothèses les plus probables expliquant l’apparition de l’intelligence dans la lignée humaine. Elle aurait servi à la fois à améliorer les possibilités de se reproduire (par la sélection sexuelle) et le taux de survie des groupes. Mais pourquoi alors les biais cognitifs ont-ils été conservés? C’est là qu’entre en jeu la théorie argumentative. L’évolution aurait moins favorisé les individus qui présentent la vérité que ceux qui savent convaincre qu’ils ont raison. Elle nous porterait davantage à devenir des avocats que des scientifiques! De là vient l’ironie du titre de ce livre : les antiévolutionnistes utilisent à profusion les biais cognitifs que l’évolution nous a conservés pour trouver de faux arguments qui leur permettent de nier que la théorie de l’évolution est vraie!

4. Évolution et croyances : L’auteur analyse d’autres biais cognitifs issus de l’évolution qui nous portent plus naturellement à croire à une religion qu’à rechercher des explications rationnelles, dont le biais de conformité (on tend à faire et à croire comme les autres). Par la suite, il aborde les conflits entre la science et la religion, ainsi que l’influence de celle-ci dans les médias qui présentent des notions scientifiques, et explore «les explications alternatives à la structure actuelle du monde vivant» (explications qui «sont peu nombreuses et très insatisfaisantes»). Puis, il se penche sur le rôle de l’illusion d’agent et de la résistance au hasard chez les conspirationnistes.

La dernière partie de ce chapitre porte sur «ce que les sciences de l’évolution ont à dire sur les religions». L’auteur y présente la théorie de l’esprit qui explique notamment que la majorité de la population humaine croit en une religion et que l’esprit perdurera après la mort. Il montre ensuite que la peur de la mort est une autre caractéristique humaine qui favorise la croyance en une vie éternelle de l’esprit (ou de l’âme). Il aborde en plus l’impact sur les croyances et la rationalité :

  • de l’autisme;
  • de l’angoisse existentielle;
  • de l’estime de soi;
  • de la théorie de l’engagement (quand on a investi beaucoup de temps, d’argent et d’énergie à une croyance, qui peut aussi bien être religieuse ou autre – par exemple envers une théorie économique – c’est encore plus difficile de l’abandonner);
  • de l’importance qu’on accorde à sa réputation;
  • de la croyance dans un monde juste (dans le sens de croire que les malheurs et les bonheurs qui nous arrivent sont mérités).

5. La malédiction du savoir :

«C’est parce qu’elle chamboule des visions du monde sur lesquelles se sont échafaudés des pans entiers de nos cultures, des visions qui participent à notre façon de nous identifier dans la société, dans la nature et dans la course du temps que la théorie de l’évolution [surtout par la sélection naturelle] suscite un rejet qui peut aller jusqu’à la violence, jusqu’à la haine. D’emblée, elle est marquée du sceau de la malédiction; elle est condamnée à être la théorie la plus haïe de tous les temps.»

Elle est aussi la théorie la plus importante selon moi, ce pourquoi j’ai pris le pseudo «Darwin» pendant des années, d’autant plus que celui-ci a dû combattre ses propres croyances (et les dangers de dissonance cognitive qui accompagnent inévitablement ce genre de combat) pour l’énoncer. Mais, revenons au livre… L’auteur aborde dans ce dernier chapitre quelques aspects connexes à la théorie de l’évolution, dont :

  • la spécificité (ou le peu de spécificité) des humains;
  • les conséquences d’un monde sans évolution, avec des êtres vivants immortels;
  • le sens de la vie et le sens de la mort;
  • la moralité de la théorie de l’évolution (l’évolution a de fait joué un rôle important dans la morale, les individus ayant de bons comportements sociaux s’étant davantage reproduits que les autres).

Conclusion : Dans cette courte conclusion, l’auteur récapitule les principaux constats de son livre et avance que «à mesure que progresse la science, nous comprenons de mieux en mieux pourquoi, si souvent, on comprend mal».

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, sans faute! J’ai hésité à me procurer ce livre, ne pensant pas apprendre grand-chose sur les sujets qui y sont abordés, tant du côté de la théorie de l’évolution par la sélection naturelle que de celui des biais cognitifs. J’avais tort (et cela ne me cause aucune dissonance cognitive de l’avouer!). Ce livre m’a littéralement envoûté. J’ai profité de chacune de ses pages m’émerveillant qu’il contienne autant d’informations convaincantes originales sur des sujets que je pensais maîtriser. Je ne dirais pas que c’est le meilleur livre que j’ai lu sur la théorie de l’évolution par la sélection naturelle, car, comme l’auteur le mentionne dans son introduction, son objectif n’est pas d’expliquer cette théorie, mais bien d’expliquer pourquoi elle suscite tant de résistance. Et sur ce point, oui, c’est le meilleur! Par ailleurs, on y trouve à la fois des notes en bas de page et à la fin du livre, mais ces dernières étant essentiellement des références, sauf peut-être deux ou trois sur les 173 qui s’y trouvent et qui auraient dues être placées en bas de page, cela ne cause pas vraiment de désagrément. Mais, quel livre essentiel!

6 commentaires leave one →
  1. 16 juillet 2018 10 h 02 min

    En réponse à pierre yves boily.

    «ce serait bien que vous indiquiez l’année de publication»

    C’est étrange, votre commentaire s’est apposé au lien https://jeanneemard.wordpress.com/2018/07/16/lironie-de-levolution/ironie-de-l_evolution/ plutôt qu’à https://jeanneemard.wordpress.com/2018/07/16/lironie-de-levolution/. Je renonce à tenter de comprendre pourquoi… Cela fait en sorte qu’il n’apparaît pas dans les «commentaires récents».

    Oui, c’est vrai, mais la date de parution est indiquée dans le lien que j’ai apposé sur le mot «livre» :

    «Date de parution 08/02/2018»

    http://www.seuil.com/ouvrage/l-ironie-de-l-evolution-thomas-durand/9782021311655

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  2. Robert Lachance permalink
    16 juillet 2018 15 h 01 min

    J’ai réservé à notre bibliothèque municipale; le livre y est en traitement.

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  3. Robert Lachance permalink
    20 septembre 2018 14 h 02 min

    Ce livre me sort de mes pantoufles ! En toute sincérité, ça me sort de mes mocassins. Est-ce que mes pantoufles sont réellement des mocassins ou l’inverse ?

    J’ai mis du temps à obtenir de la bibliothèque: pas de file d’attente, en traitement. Un deuxième exemplaire sera disponible quand son emprunteuse en aura fini. Je sais qu’elle en a d’autres à lire en concurrence.

    Je n’ai pas découvert un page turner. https://alivreouvert.net/2015/05/09/quest-ce-quun-page-turner/

    j’ai pris un temps à d’autres choses, devinez quoi. J’en suis au deux tiers, à alternative 1 : le crétinisme (c’est une blague de mon correcteur) créationnisme théiste, page 162.

    Je ne recommande pas au 99,9 %, c’est pointu, c’est écrit par une personne érudite de haut niveau.

    De mon intérêt pour la pédagogie il y a proche 50 ans, j’ai retenu un premier principe d’une série de je ne me souviens plus combien mais je dirais 7, pas plus, lu de James G. Holland : commencer l’enseignement où l’élève se trouve.

    J’ai découvert que le mal qui m’amuse, voir des visages sur tout, briques, planches, tranches de pains, rôti de porc, pierres décoratives, s’appelle paréidolie. Chapitre 3, page 120, Le cerveau n’est pas fait pour penser. Je dors mieux depuis.

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  4. 22 septembre 2018 8 h 32 min

    Me faire sortir de mes pantoufles… J’aime à la fois le concept et quand ça m’arrive!

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  5. Robert Lachance permalink
    28 novembre 2018 9 h 11 min

    J’ai demandé pour cadeau à une Fille Noël.

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  6. Robert Lachance permalink
    28 décembre 2018 13 h 28 min

    J’ai reçu plutôt de cadette Fille-Noël Un dîner avec Darwin (sans guillemet). J’en suis au chapitre 8 sur les légumes, après les viandes, les poissons, les soupes, le pain, les crustacés, l’animal qui cuisine et une invitation à dîner. Je garde pour dessert le chapitre 14 sur la nourriture du futur.

    https://www.leslibraires.ca/livres/un-diner-avec-darwin-jonathan-silvertown-9782897731069.html

    J’imagine qu’elle a été sage, j’ai reçu de Conjointe-Noël L’ironie de l’évolution.

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