Face à l’Anthropocène
Le livre Face à l’Anthropocène – Le capitalisme fossile et la crise du système terrestre de Ian Angus «illustre comment l’inexorable pulsion du capitalisme pour la croissance, alimentée par la consommation rapide des énergies fossiles qui ont pris des millions d’années à se former, a conduit notre monde au bord de la catastrophe».
Préface de l’édition française : Éric Pineault explique le concept de l’Anthropocène, montre que ce qu’on pensait immuable, comme le climat, ne l’est plus et analyse le rôle du capitalisme dans les désastres apportés par l’Anthropocène.
Préface à l’édition anglaise : John Bellamy Foster raconte comment on en est venu à parler d’Anthropocène et conclut que seul l’écosocialisme peut permettre un renversement de la situation actuelle.
Avant-propos : L’auteur présente le contenu de son livre et son objectif, soit de «contribuer à la réduction du fossé qui sépare les sciences de la Terre et l’écosocialisme».
Première partie – Une situation sans précédent
Alors que le terme «Anthropocène» était fort peu répandu avant 2011, on l’a utilisé à profusion par la suite, mais souvent à tort et à travers. L’auteur compte donc dans cette première partie préciser la nature de l’Anthropocène et expliquer les raisons de son importance.
1. Une seconde révolution copernicienne : Le terme «Anthropocène» a été proposé la première fois par un géologue soviétique en 1922. Ce n’est toutefois que lors de sa troisième utilisation, en 2000, par le météorologue et chimiste de l’atmosphère Paul Josef Crutzen que le terme et le concept qu’il illustre se sont imposés, avec toutefois de nombreuses réticences au début.
2. La grande accélération : Les auteurs d’un rapport analysant les écosystèmes ont constaté vers 2005 (comme d’autres l’ont fait à la même époque) que, depuis 1950, l’humanité «a généré des modifications des écosystèmes de manière plus rapide et extensive que sur aucune autre période comparable de l’histoire». Ces changements ont porté sur de nombreux systèmes, y compris sur les terres agricoles, les récifs de corail, l’utilisation de l’eau, les émissions de polluants et de gaz à effet de serre, l’extinction d’espèces et la diversité génétique.
3. Quand l’Anthropocène a-t-il commencé? : L’auteur présente les intervalles de temps utilisés en géologie (éons, ères, périodes, époques et étages) et les débats sur l’acceptation de l’Anthropocène comme un de ces intervalles (débats pas encore terminés) et sur la date de son début.
4. Points de bascule, chaos climatique et limites planétaires : Nous pensons souvent que le climat est assez stable et que les changements prévus arriveront bien graduellement. En fait, si le climat est de fait assez stable depuis le début de l’holocène (soit depuis 10 à 12 000 ans), les recherches ont fait ressortir des changements de climat rapides, des points de bascule. L’auteur présente ensuite les recherches en cours pour déterminer les limites planétaires à ne pas dépasser pour éviter un point de bascule majeur.
5. La première quasi-catastrophe : Cette quasi-catastrophe fut l’amincissement de la couche d’ozone et les trous qui l’ont percée en raison de l’utilisation des CFC dans la deuxième moitié du XXe siècle. Et, à l’époque aussi, l’industrie niait le problème. L’auteur précise que les solutions au réchauffement climatique, à l’épuisement des ressources et à l’extinction des espèces sont beaucoup plus complexes que celles pour contrer l’amincissement de la couche d’ozone, car elles doivent toucher à un grand nombre d’activités humaines bien implantées et non pas à l’utilisation d’une seule molécule qui ne servait que pour quelques produits seulement (molécule qui pouvait en plus être remplacée sans trop de problème).
6. Un régime climatique nouveau et mortel : L’auteur montre que la hausse de 1 °C par rapport à l’ère préindustrielle (1880-1899) réalisée jusqu’à aujourd’hui (si ce n’est pas plus) a déjà entraîné des conséquences nocives, qu’une hausse de 2 °C aurait des conséquences dévastatrices et qu’une de 4 °C serait catastrophique. Les gens oublient souvent que le pire n’est pas la hausse moyenne de la température, mais la multiplication des événements extrêmes, comme on l’a vu cet été (même hier…), ici, mais aussi ailleurs, notamment en Europe. Et tout laisse penser que ça va empirer…
Deuxième partie – Le capitalisme fossile
«Dans cette deuxième partie, nous nous demandons pourquoi et comment 200 ans de développement capitaliste ont pu mettre fin à l’Holocène et placer le système terrestre sur une trajectoire qui le rend plus hostile et qu’on peut difficilement corriger»
7. Temps du capital, temps de la nature : L’auteur montre que le capitalisme repose sur la croissance constante et infinie (du PIB et du capital) dans un monde limité, ce qui est impossible et ne peut mener qu’au désastre. Il se concentre ensuite sur le concept de «rupture métabolique» (partie très intéressante du livre).
8. L’avènement du capitalisme fossile : L’auteur se penche ici sur une des pires manifestations de rupture métabolique, soit celle de l’utilisation massive de la «chaleur solaire passée», soit l’énergie fossile. Ce chapitre m’a fait penser au livre Airvore ou la face obscure des transports qui aborde le même sujet plus en profondeur, livre que j’ai présenté dans ce billet. L’auteur note en fin de chapitre que le capital est devenu tellement concentré que le capitalisme a encore moins de ressemblance avec une économie de marchés concurrentiels qu’auparavant.
9. Guerre, lutte des classes et pétrole bon marché : L’auteur montre que ce n’est pas un hasard si la grande accélération a commencé dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, car l’économie de guerre a favorisé la concentration des entreprises et était fortement liée à la production et à l’utilisation d’énergies fossiles et de produits chimiques.
10. L’accélération de l’Anthropocène : L’auteur analyse dans ce chapitre les caractéristiques sociales et économiques de la grande accélération.
11. Nous ne sommes pas tous dans le même bateau : L’auteur contredit l’adage qui prétend que nous sommes tous.tes dans le même bateau. En fait, les victimes actuelles et à venir du chaos climatique vivent de façon disproportionnée dans des pays pauvres et celles qui vivent dans les pays riches sont presque toutes pauvres (comme le disait récemment de façon éloquente Lynda Forgues dans cette lettre). L’auteur en profite pour expliquer le concept de l’exterminisme, soit «l’acceptation tacite ou explicite de la nécessité des exterminations de masse (…) comme prix à payer pour qu’une classe dominante puisse maintenir le processus d’accumulation et son hégémonie politique». L’exterminisme se manifeste souvent par l’acceptation de la pauvreté, de la maladie, de la malnutrition, des catastrophes naturelles «souvent facilitées par l’exclusion économique et les déplacements massifs de population».
Troisième partie – L’alternative
Comme l’a montré l’auteur dans les chapitres précédents, le capitalisme, notamment par son besoin d’une croissance constante et infinie, est intimement lié à la grande accélération. Pour éviter que l’Anthropocène devienne «l’époque géologique la plus courte de tous les temps», la seule solution est de trouver une alternative au capitalisme.
12. L’écosocialisme et la solidarité humaine : Lors de catastrophes, il y en a toujours pour se surprendre de voir les gens s’entraider spontanément. Cette démonstration d’altruisme est pourtant une des caractéristiques de notre espèce et demeure le principal espoir de se sortir du cul-de-sac actuel. L’auteur présente ensuite quelques propositions (qui ressemblent beaucoup au programme de QS) pour mettre fin à l’écocide capitaliste, et fait la promotion de l’écosocialisme.
13. Le mouvement qu’il nous faut : L’auteur sait bien qu’une révolution écosocialiste mondiale est peu probable. Il propose des moyens de mettre de l’avant le programme écosocialiste au moins en partie, notamment en s’alliant avec d’autres mouvements.
Appendice – Confusions et mésinterprétations : Le choix du terme «Anthropocène» ne signifie nullement que l’humanité est responsable de la situation actuelle ni que tous les humains partagent la même responsabilité. Il ne doit pas servir non plus d’argument aux néo-malthusiens. Cet appendice se termine par une explication du sens étymologique du terme «Anthropocène».
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Ayant lu de nombreux livres sur le sujet abordé par celui-ci, je croyais ne pas apprendre grand-chose. Ce fut un peu le cas, mais comme l’auteur approche cette question avec des angles différents de ceux des livres précédents que j’ai lus, je ne me suis pas embêté, bien au contraire. Je craignais aussi que la troisième partie, plus politique, soit tranchée, alors qu’elle est plus nuancée que je ne m’y attendais. J’ai bien noté quelques erreurs de données, mais rien qui ne nuise aux démonstrations de l’auteur. En plus, comme les notes sont en bas de pages, on n’a pas vraiment de raison de ne pas le lire!
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