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Traité d’économie hérétique

10 septembre 2018

Avec son livre Traité d’économie hérétique, Thomas Porcher «nous offre une contre-argumentation précieuse pour ne plus accepter comme une fatalité ce que nous propose le discours dominant».

Introduction: L’auteur recense les «affirmations ressassées en boucle depuis plus de trente ans par une petite élite bien à l’abri de ce qu’elle prétend nécessaire d’infliger au reste de la population pour sauver la France» et explique comment son livre s’y prendra pour démonter ces idées reçues. «Il appartiendra ensuite au citoyen de s’emparer de ces arguments, de questionner, de vouloir débattre et de ne plus jamais accepter comme une fatalité ce qu’on lui propose».

1. L’économie n’est pas une science : L’auteur pourfend la thèse principale du livre Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser de Pierre Cahuc et André Zylberberg (que j’ai moi-même contredite dans le billet que j’y ai consacré), soit que l’économie orthodoxe serait devenue l’équivalent d’une science expérimentale capable de comparer les décisions économiques comme dans un laboratoire. Il montre que le propre de cette discipline est de débattre, ce qui est sain. Il décrit ensuite quelques échecs majeurs de pays qui ont suivi les préceptes issus de supposés consensus entre les économistes orthodoxes et le succès d’autres pays qui ont choisi des solutions décriées par ces mêmes économistes.

2. La soumission volontaire : L’économie n’est pas comme la physique et la biologie où les découvertes complètent la théorie précédente, car, en général, les différentes théories économiques s’affrontent et se contredisent. La théorie dominante néglige de nombreux enjeux pourtant fondamentaux. Par exemple, les principales mesures pour lutter contre le réchauffement climatique sont constamment remises en question sous prétexte qu’elles nuiraient aux intérêts financiers de lobbyistes puissants. Pourtant, la théorie orthodoxe ne tient pas compte du réchauffement climatique, même si ses conséquences sont de plus en plus désastreuses pour le bien-être de la population, même si l’amélioration de ce bien-être est censé être l’objectif premier de l’activité économique.

3. Le mythe de la réussite individuelle : «La science économique a beaucoup œuvré pour légitimer le discours de l’individu seul responsable de son destin». Et, ce discours est bien sûr et manifestement faux. L’auteur mentionne notamment l’importance des institutions dans le succès individuel. Il parle ensuite du chômage, mais il dénature tellement la position des néoclassiques (ça fait des décennies que la majorité de ces économistes ne prétendent plus que le chômage est uniquement un choix entre le travail et le loisir), que je préfère ne pas en parler, même s’il amène de bons points. Cela dit, il a raison de dire qu’on accuse encore les personnes en chômage ou les prestataires de l’aide sociale d’être responsables de leur sort, comme l’adoption du programme Objectif Emploi le montre clairement.

4. Marché du travail – des réformes libérales sans fin… et sans succès : Que ce soit ici, en France ou ailleurs, le marché du travail ne sera jamais assez souple et déréglementé pour les patrons et pour les économistes orthodoxes. Pourtant, nulle part la flexibilité n’a permis de faire diminuer le chômage de façon significative.

5. Dépense publique – pourquoi tant de haine ? : Face aux attaques répétées contre les dépenses publiques, l’auteur rappelle à quel point elles sont utiles et même souvent essentielles, et relativise l’importance de la dette publique, en montrant notamment que l’ampleur relative de la dette n’a aucun lien avec celle des dépenses publiques.

6. La finance, faux ami de l’entreprise : La «finance, qui à la base devait permettre le financement des entreprises, est devenue une fin en soi». Les dirigeant.es des entreprises se préoccupent de moins en moins de leurs activités économiques (et de leurs travailleur.euses), mais visent de plus en plus la satisfaction à court terme des intérêts des actionnaires, d’autant plus que leur mode de rémunération contient des incitatifs pour agir ainsi.

7. L’épouvantail de la dette : L’auteur revient sur les dénonciations des économistes et politicien.nes orthodoxes du niveau de la dette en démontant leurs principaux arguments.

8. La casse du modèle social : L’auteur analyse l’impact minime sur l’activité économique des baisses d’impôts adoptées par le gouvernement français actuel et leur impact majeur sur les finances publiques. Il revient ensuite sur l’importance des dépenses publiques et montre que leur niveau n’a aucun lien avec la croissance économique, mais en a sur les inégalités.

9. L’hypocrisie climatique : L’auteur dénonce les politiciens hypocrites, comme Justin Trudeau et Emmanuel Macron, qui font des discours enflammés sur l’importance de lutter contre le réchauffement climatique, mais agissent finalement peu et mal.

10. La désunion européenne : L’auteur critique le fonctionnement de la zone euro, soulignant que son pire défaut est de favoriser la concurrence plutôt que la coopération entre États. Résultat? «Le bilan humain est aujourd’hui désastreux. Dix ans après la crise, des millions de vies ont été brisées par l’austérité, les jeunes générations ont le choix entre le chômage de masse ou les emplois précaires, des partis nationalistes et xénophobes sont de plus en plus puissants».

11. Le libre-échange, arme de domination massive : Il n’y a pas que des avantages au libre-échange, mais aussi des désavantages que décrit l’auteur. D’ailleurs, le protectionnisme a souvent permis à de nouvelles économies de prendre leur envol avant de pouvoir concurrencer d’autres pays. Il montre ensuite que le libre-échange a souvent été utilisé comme outil de domination des pays pauvres par les pays riches. Un des bons chapitres…

12. Le FMI : prêter pour mieux libéraliser : L’auteur analyse l’impact des politiques d’ajustements structurels imposées par le Fonds monétaire international (FMI) à des pays pauvres. Comme j’en ai parlé souvent, on devine que ces impacts ne furent pas très positifs et qu’ils furent trop souvent désastreux…

13. Des traités de libre-échange qui donnent les pleins pouvoirs aux multinationales : Certains accords n’ont de libre-échange que leur nom (comme Dani Rodrik l’a bien montré dans un texte récent que j’ai présenté dans ce billet). L’auteur va dans le même sens, peut-être de façon encore plus incisive, comme le montre le titre de ce chapitre.

Conclusion : Après avoir fait le bilan désastreux de l’application de la théorie économique orthodoxe, l’auteur présente dix «principes d’autodéfense contre la pensée dominante».

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Si vous connaissez assez bien les sujets abordés par ce livre, non, ne le lisez pas, à moins que vous ayez besoin de confirmation sur ce que vous savez déjà. Personnellement, je n’y ai à peu près rien appris. Par contre, si, en prenant connaissance par ce billet des sujets abordés dans ce livre, vous avez senti le besoin d’en savoir plus, ce livre est un excellent condensé de ces sujets. Alors, lisez-le! Les textes sont courts, bien présentés, faciles à lire et fort pertinents. En plus, les notes, pas très nombreuses, sont en bas de page!

4 commentaires leave one →
  1. alainvadeboncoeurgmailcom permalink
    10 septembre 2018 9 h 40 min

    Il me semble que le même livre est écrit et réécrit sans fin…

    Alain

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  2. 10 septembre 2018 10 h 37 min

    De fait. Et celui-ci ajoute peu aux autres, même s’il n’est pas mauvais en soi. J’ai d’ailleurs hésiter à le réserver, mais comme je n’avais rien lu de lui, je lui ai donné une chance.

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  3. 12 septembre 2018 10 h 21 min

    Ce qui est plus intéressant (car en effet, « c’est du connu » pour plusieurs d’entre nous) c’est la réaction de certains à la visibilité médiatique de l’auteur:

    https://www.arretsurimages.net/articles/un-portrait-de-thomas-porcher-dans-le-monde-dechaine-les-chiens-de-garde

    Aimé par 1 personne

  4. 12 septembre 2018 12 h 43 min

    Merci!

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