Les climatiseurs et les émissions de gaz à effet de serre
La période des canicules semble enfin derrière nous. Pour la première fois de mon existence, j’ai pensé m’acheter un climatiseur. J’ai résisté, mais comme ma conjointe et moi avons maintenant plus de 65 ans, je ne garantis pas que nous allons résister si on connaît un nouvel été de ce genre. Pourquoi se retenir? Pour bien des raisons.
Tout d’abord, j’ai lu un article en mai dernier (probablement celui-ci), avant nos canicules, sur le paradoxe des climatiseurs qui, pour refroidir nos maisons et nos immeubles, contribuent directement au réchauffement de nos villes en faisant sortir la chaleur des immeubles pour réchauffer l’extérieur (d’un degré Celsius dans les centres-villes selon cet article, mais de de 0,5 à 2 degrés selon cet autre article) et indirectement en raison des gaz fortement émetteurs de gaz à effet de serre (GES) qu’ils utilisent et à plus long terme, des GES émis par la production d’électricité qui fait fonctionner ces climatiseurs. Heureusement, ce dernier effet est moins important au Québec, où la production d’électricité en émet très peu.
Ailleurs, les impacts sont pires. Cet article de Québec Science, citant une autre étude, nous apprend que, dans l’est des États-Unis, il y aura «1 000 décès supplémentaires chaque année en raison des niveaux élevés de la pollution de l’air causée par l’utilisation accrue de combustibles fossiles pour refroidir les édifices». Cela, au moins on l’évite. Mais, l’article nous rappelle qu’au Canada, «10% de l’électricité est produite à partir du charbon».
Et au niveau mondial? Comme on le sait, les GES et surtout les conséquences du chaos climatique qu’ils entraînent ne respectent pas les frontières, et on n’a pas besoin de leur donner un certificat de sélection pour qu’ils s’installent chez nous (sans que nous ne puissions les expulser…). J’ai donc décidé de lire l’étude intitulée The Future of Cooling – Opportunities for energy efficient air conditioning (L’avenir du refroidissement – Les possibilités de climatisation écoénergétique) qui est parue en mai dernier et a été réalisée et publiée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Comme cette étude compte 92 pages, je me concentrerai surtout sur son sommaire, tout en présentant quelques graphiques tirés de l’étude complète.
La situation actuelle
- Les ventes de climatiseurs ont presque quadruplé entre 1990 et 2016 pour atteindre 135 millions d’appareils, dont 41 millions en Chine (plus de 30 % du total);
- en 2016, il y avait 1,6 milliard de climatiseurs en fonction au monde, dont 569 millions en Chine et 374 millions aux États-Unis, soit 58 % du total;
alors que la population des régions les plus chaudes de la Terre s’élève à 2,8 milliards, seulement 8 % des ménages de ces régions possédaient des climatiseurs en 2016, par rapport à 90 % aux États-Unis et au Japon, comme l’illustre le graphique ci-contre;
- le graphique montre aussi des taux supérieurs à 50 % en Chine et en Arabie saoudite, mais des taux inférieurs à 10 % en Indonésie, en Afrique du Sud et en Inde;
- au Moyen-Orient et dans certains États des États-Unis, l’électricité nécessaire pour faire fonctionner les climatiseurs représentait en période de pointe jusqu’à 70 % de la demande résidentielle totale en 2016, soit cinq fois plus que la moyenne mondiale (14 %);
le graphique ci-contre montre le niveau de la consommation d’électricité due aux climatiseurs et son évolution de 1990 à 2016;
- alors que cette consommation a moins que doublé aux États-Unis, elle a été multipliée par 68 en Chine;
- même si cette consommation est encore relativement faible en Inde, elle était quand même 15 fois plus élevée en 2016 qu’en 1990;
- les émissions de CO2 dues à la climatisation ont triplé de 1990 à 2016 (de même que la pollution dans les régions qui utilisent des centrales au charbon pour produire leur électricité), atteignant 1130 millions de tonnes, soit l’équivalent de toutes les émissions du Japon;
comme nous le montre le graphique ci-contre, même si la Chine consomme moins de 75 % de l’électricité utilisée aux États-Unis pour ses climatiseurs, elle émet plus de CO2 qu’eux, parce qu’une part plus grande de l’électricité produite en Chine provient de centrales au charbon.
La situation en 2050
L’AIE prévoit que la consommation d’électricité pour la climatisation triplera d’ici 2050 et que cette croissance proviendra en premier lieu des pays où les températures sont les plus élevées, soit des pays émergents, et que la moitié de cette croissance, comme on peut le voir dans le graphique ci-contre, proviendra de la Chine et de l’Inde;
- cette croissance correspond à toute l’électricité actuellement consommée aux États-Unis et en Allemagne;
- si rien n’est fait, les émissions de CO2 dues à la climatisation tripleraient aussi, la croissance des émissions provenant des mêmes pays que la hausse de la consommation d’électricité;
- même si le scénario de base de l’AIE prévoit qu’une forte proportion de la production supplémentaire proviendra de sources renouvelables (par exemple, le tiers de cette électricité serait produite par des installations alimentées par l’énergie solaire), les pays devront se doter d’infrastructures permettant de produire la quantité d’électricité consommée lors des périodes de pointe de la demande, même si la demande lors du reste de l’année sera bien inférieure;
avec ce scénario, la climatisation représenterait plus du tiers (37 %) de la hausse de la demande d’électricité, comme l’illustre le graphique ci-contre, loin devant les appareils ménagers (26 %), le chauffage (12 %) et l’éclairage (8 %).
Que faire?
L’AIE a développé un scénario plus optimiste que celui présenté plus haut. Il repose essentiellement sur l’amélioration de l’efficacité des appareils de climatisation, aussi bien commerciaux que résidentiels. Selon ce scénario, les appareils fonctionneraient en utilisant en moyenne deux fois moins d’électricité que les appareils actuels. Pour ce, il faudrait imposer des normes de performance énergétique beaucoup plus strictes pour les équipements de climatisation. Selon l’AIE, il existe déjà des appareils qui respectent ces normes. Cela pourrait donc se faire assez rapidement, d’autant plus que la durée de vie des appareils actuels est relativement courte. Cela exigerait toutefois une volonté gouvernementale ferme et surtout la négociation d’ententes internationales, ce qui est moins évident. Cette solution pourrait même faire baisser encore plus les émissions de GES, car les infrastructures de production d’électricité qui ne seraient plus nécessaires pourraient et devraient être les plus émettrices et polluantes (essentiellement les centrales au charbon). L’AIE avance que la croissance des émissions de GES et de particules polluantes dues à la climatisation d’ici 2050 pourrait ainsi diminuer de 85 % par rapport aux estimations du scénario de base.
L’étude mentionne aussi d’autres moyens pour faire diminuer la consommation d’énergie et les émissions de GES et de polluants dues à la climatisation. On y mentionne entre autres la conception d’immeubles, les matériaux utilisés, les normes des bâtiments, l’utilisation de sources d’énergie renouvelables et la recherche pour améliorer les méthodes de refroidissement. Avec ces mesures, l’AIE considère que la croissance de la climatisation pourrait se faire sans augmentation d’émissions de GES et de polluants.
L’étude se termine par une liste de recommandations destinées aux gouvernements. Il demeure que même si le scénario optimiste de l’AIE se réalisait, cette source d’émissions de GES ne pourrait pas contribuer à faire diminuer le niveau actuel des émissions totales de GES permettant d’éviter une hausse des températures supérieure à 1,5 ou 2 degrés Celcius (baisse mondiale nécessaire d’ici 2050 de 40 à 70 % par rapport au niveau de 2010 et de 80 à 95 % par rapport au niveau de 1990 dans les pays industrialisés).
Et alors…
Chaque fois que je lis et présente ce genre d’étude, je déprime. Que ce soit sur les automobiles électriques, sur les petits gestes pour diminuer notre empreinte carbone, ou sur la fabrication de vêtements et ici sur la climatisation, j’ai l’impression de contribuer à montrer qu’on ne s’en sortira pas. Au moins, cette étude se conclut avec un scénario «optimiste» (même si insuffisant), mais l’accord international qu’il nécessite, négocié avec un dinosaure comme Trump (entre autres), semble pour le moins incertain.
Je voulais avec ce billet sortir un peu du contexte de la campagne électorale actuelle. Ce fut raté. Il est en effet difficile avec ce sujet de ne pas penser à l’absence de l’enjeu du réchauffement climatique de la plateforme de la CAQ, de sa faible importance dans celle du PLQ (mais avec l’abolition des pailles de plastique, réjouissons-nous), de sa présence plus importante dans celle du PQ et de son importance fondamentale dans celles de QS et du parti Vert. Et même là, serait-ce suffisant? Au moins, ce serait des pas dans la bonne direction.
Cela dit, achèterons-nous un climatiseur l’an prochain? P’tèt ben qu’oui, p’tèt ben qu’non…
Est-ce que l’article mentionne la géothermie comme solution prometteuse? Elle permet une économie important d’énergie pour la climatisation, l’eau chaude et le chauffage (de l’ordre de 70%). Dans les villes, certaines ruelles pourraient devenir des champs de géothermie. Certains projets sont déjà en cours.
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Oui, on la mentionne de façon positive à trois endroits (j’ai cherché – CTRL F – dans le document dont j’ai fourni le lien dans le billet avec «geotherm»).
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Salut. Article très intéressant et révélateur, par ailleurs il me laisse confus sur un point en particulier : les coûts du chauffage intérieurs. Un graphique établit une étrange relation : le refroidissement intérieur d’un espace pèse pour 3 fois plus que pour son chauffage. Étonnant. Des explications? Des données?.
Merci.
C Généreux
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Salut Claude, bienvenue ici.
Habitant un pays nordique, cette relation peut de fait sembler étrange. Rappelons-nous que, par exemple, les États-Unis n’importent de l’électricité du Québec que l’été. De nombreux pays n’ont carrément pas d’appareils de chauffage. En plus, ce graphique n’indique pas le partage actuel ou futur de la consommation d’électricité entre le chauffage et la climatisation, mais l’augmentation de cette consommation d’ici 2050. Or, les pays qui ont besoin de chauffage ont en général déjà des systèmes de chauffage, et ces systèmes peuvent fonctionner avec de nombreuses sources d’énergie (bois, charbon, huile, gaz, etc.), ce qui n’est pas le cas des appareils de climatisation.
En plus, il est indiqué auparavant que la plus grande part de la hausse de la consommation d’électricité proviendra «des pays où les températures sont les plus élevées, soit des pays émergents, et que la moitié de cette croissance, comme on peut le voir dans le graphique ci-contre, proviendra de la Chine et de l’Inde». Or, ces pays n’ont pas vraiment besoin d’augmenter leur consommation d’énergie pour se chauffer…
Quant à la source des données. elle vient de l’AIE… J’ai pris ce graphique dans la page de présentation (https://www.iea.org/cooling/) pas dans l’étude, car je le trouvais pertinent et troublant (on n’en parle pas dans le sommaire, ni dans l’étude à ce que j’ai vu). Et, comme il s’agit de prévisions de croissance, il n’y a pas de source de données comme telle. Mais, compte tenu de ce que j’ai écrit dans les deux premiers paragraphes de ce commentaire, ce graphique me semble plausible et cohérent.
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