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La subsistance de l’homme

1 octobre 2018

Cela fait longtemps que je n’ai pas abordé un classique des sciences sociales, ce que j’ai décidé de faire en me procurant le livre La subsistance de l’homme – la place de l’économie dans l’histoire et la société. Dans ce livre, Karl Polanyi offre «une interprétation originale de la nature et des racines de l’économisme contemporain». Selon Bernard Chavance, ce livre «peut être considéré (…) comme un complément et un approfondissement de l’approche développée dans La Grande Transformation», autre livre de Polanyi, en fait son plus célèbre et célébré, dont j’ai parlé dans ce billet. Notons que Polanyi n’a jamais terminé la rédaction de ce livre, mais qu’il a été reconstitué à partir du plan du livre, de textes terminés et de notes de l’auteur.

Préface et introduction : L’auteur mentionne qu’il tente avec ce livre de «développer des concepts de commerce, de monnaie et d’institutions de marché qui soient applicables à tous les types de sociétés». Son objectif est la nécessité «de reconsidérer entièrement le problème de la subsistance matérielle de l’homme afin d’accroître notre liberté d’adaptation et d’augmenter ainsi nos chances de survie». Au-delà de la menace nucléaire ou d’une Troisième guerre mondiale, qui étaient les deux sujets qui attisaient le plus les craintes de l’époque où ce livre a été écrit, soit le milieu des années 1950, Polanyi met en garde contre la place démesurée prise par l’économie par rapport aux autres institutions et valeurs humaines.

Première partie – La place de l’économie dans la société

Concepts et théorie : L’auteur se penche tout d’abord sur ce qu’il appelle le sophisme de l’économie. Ce sophisme consiste à «assimiler l’économie humaine en général à sa forme de marché» soit au mécanisme d’offre-demande-prix. «Le sophisme est flagrant : la dimension physique des besoins de l’homme appartient à la condition humaine; aucune société ne peut exister sans une forme quelconque d’économie substantielle». Or, le mécanisme d’offre-demande-prix n’existe que depuis peu à l’échelle humaine et l’économie existait bien avant! «Restreindre exclusivement le domaine du genre économique aux phénomènes de marché revient à gommer du paysage la plus grande part de l’histoire humaine». Comme ce livre a plus de 400 pages, je ne peux malheureusement pas résumer la démonstration de Polanyi. Il en sera de même pour la suite de ce livre.

L’auteur aborde ensuite les deux significations du terme «économique», une qui se rapporte au processus de satisfaction des besoins et l’autre au fait de tirer le maximum des moyens dont on dispose. La théorie économique classique (et ses descendantes) n’a pourtant conservé que la première signification. L’auteur explique dans cette section les conséquences de cette décision et conclut sa démonstration en avançant que l’économie humaine est «un processus institutionnalisé d’interactions, qui a pour finalité de fournir les moyens matériels de la société». L’auteur analyse finalement les formes d’intégration économique, notamment les concepts de réciprocité, de redistribution et d’échange.

Les institutions et l’émergence des transactions économiques – de la société tribale à la société archaïque : Les systèmes économiques des peuples tribaux, malgré certaines particularités, n’étaient pas séparés des autres institutions non économiques (parenté, État, magie, religion, statut, etc.). Ils en faisaient partie, y étaient encastrés. Cela a commencé à changer avec les premières civilisations (au début agricoles), alors que les premières transactions sont apparues (l’auteur présente en détail cette transformation, que certains ont décrit comme le passage du statut au contrat). Mais, encore là, ces transactions étaient bien loin de celles qu’on connaît aujourd’hui avec l’établissement de prix, car elles fonctionnaient avec un système d’équivalence (tant d’un bien vaut tant d’un autre ou d’un temps de travail comme dans le Code de Hammurabi) permettant de conserver les notions de réciprocité et de dons et contre-dons.

Les institutions et la triade catallactique du commerce, de la monnaie et des marchés : L’auteur présente dans ce chapitre «trois thèses concernant le commerce, la monnaie et les marchés», soit leurs origines distinctes, la différence entre leurs évolutions internes et externes, et l’intégration des économies non fondées sur le marché. Dans ce contexte, il aborde notamment les caractéristiques des premiers commerçants, l’évolution des formes et des usages de la monnaie, les origines des marchés et leur évolution ainsi que celle des institutions qui ont permis leur émergence telle qu’on les connaît aujourd’hui. Notons que ce paragraphe résume une centaine de pages du livre et ne leur rend pas justice.

Deuxième partie – Commerce, marché et monnaie dans la Grèce antique : Même si les marchés, le commerce et l’économie planifiée ne furent pas des réalités bien importantes de la Grèce antique, l’auteur juge important de les analyser à fond, car ils ont influencé grandement les institutions économiques qui sont apparues bien plus tard en Europe et en Amérique du Nord.

L’âge hésiodique et le déclin tribal et la subsistance paysanne : L’auteur se base sur un poème du Hésiode, Des travaux et des jours, pour décrire l’économie de subsistance à l’époque tribale et un peu après.

Les marchés locaux – politique de la polis et de l’agora : C’est cette fois principalement sur les écrits d’Hérodote et d’Aristote que l’auteur se base pour analyser les petits marchés de la Grèce antique, ainsi que le rôle de l’État (en fait de la cité ou de la polis) et de l’administration publique dans la vie économique.

Les marchés locaux et le commerce avec l’outre-mer : Contrairement à maintenant, le «marché et le commerce n’avaient rien en commun» à l’époque. L’auteur aborde cette question en décrivant notamment les caractéristiques des marchands et commerçants (notons que pour l’auteur, le commerce est extérieur).

Comment garantir les importations de céréales : L’auteur explique les raisons pour lesquelles les importations essentielles de céréales par la Grèce se faisaient par des moyens militaires et diplomatiques, et non pas par des voies commerciales.

L’extension du commerce de marché : Jusqu’au IVe siècle avant notre ère, ce n’est pas que le commerce de céréales qui était administré (dont les prix et les quantités étaient établis par l’État, et non par des mécanismes de marché), mais bien l’ensemble du commerce international (bois, métaux, esclaves, aliments, etc.). C’est seulement après la famine de 330-326 en Grèce (dont la principale cause selon l’auteur fut le détournement d’une grande partie ou de la totalité des importations de céréales vers l’armée d’Alexandre le Grand) que certains éléments de marché furent introduits, surtout dans le commerce international en Méditerranée, mais toujours avec un contrôle administratif important.

Monnaie, banque et finances : Il y avait deux types de monnaie en Grèce antique. La première, apparue seulement vers 400 avant notre ère, avait une valeur symbolique établie par l’autorité qui la frappait et n’était utilisée qu’au marché de l’agora. La deuxième, ayant la valeur du métal utilisé (or, argent, alliages, etc.), servait au commerce international. Il est arrivé que l’État frappe plus de monnaie pour rembourser des dettes (parfois en diluant la quantité de métaux «nobles»), mais, à la surprise de beaucoup de personnes, cela n’a causé aucune inflation, car les prix étaient administrés et non pas assujettis à des marchés. Le rôle des banquiers était surtout de tester et changer les pièces de monnaie en métal, et parfois de les recevoir en dépôts (ainsi que d’autres objets de valeur), mais les banquiers ne pouvaient prêter que leur argent. Finalement, l’auteur présente des méthodes originales de financement, tant pour l’alimentation que pour des activités guerrières.

Le «capitalisme» dans l’Antiquité : L’auteur montre que le pays le plus riche de l’époque, l’Égypte, a «produit, sous la domination grecque de Macédoine, le système le plus complet, d’économie planifiée, sans marché, que le monde ait jamais connu». La Grèce, elle, on l’a vu, avait une économie où on combinait la planification à des méthodes de marché. C’est plutôt ce modèle que l’Empire romain a adopté (avec en plus la spoliation et l’exploitation des pays conquis et de leur population). Lors de son déclin, la partie orientale de cet empire, qui avait une économie davantage planifiée, a survécu mille ans de plus que la partie occidentale, avant de décliner à son tour. Sans prétendre que cette caractéristique fut la seule à expliquer que Byzance ait survécu beaucoup plus longtemps que Rome, l’auteur considère que ce système économique plus planifié fut tout de même un des facteurs qui a joué un rôle. Chose certaine, les personnes qui tentent de comparer l’économie de l’Antiquité au capitalisme ou même à une économie de marché ont beaucoup d’imagination…

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Je n’ai aucun problème à recommander la lecture de la première partie de ce livre qui, il est vrai, complète très bien celle de La Grande Transformation. Certaines démonstrations qu’on y trouve sont tout simplement magistrales. J’ai toutefois eu plus de difficulté avec la deuxième partie qui contient beaucoup (trop?) de détails et d’anecdotes pas toujours pertinentes. Peut-être que des historien.nes hyper intéressé.es par cette époque et cette région y trouveraient leur compte, mais je me suis souvent perdu dans ces détails. Il est même fort possible que mes résumés de cette partie ne soient pas tout à fait exacts (dont mon résumé de 100 pages en un paragraphe), ayant eu parfois de la difficulté à comprendre le texte. Heureusement que les nombreuses notes sont en bas de pages!

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