La grande déception
Avec son livre La grande déception : dialogue avec les exclus de l’indépendance, Francis Boucher donne «la parole à celles et ceux qui se sentent exclus du Québec, et qui se sont peut-être durablement éloignés d’une adhésion à la souveraineté» en raison de la «Charte des valeurs» du Parti québécois.
Préface : Plutôt que de présenter ce livre, Jean Dorion nous fait part de ses réactions à la suite de sa lecture. Il aborde notamment l’immigration, la natalité, l’islamophobie, l’utilisation abusive du terme «raciste» pour qualifier l’intention néfaste d’interdire le port de signes religieux ostentatoires, les injustices faites aux Autochtones qui nécessitent une réparation et l’indépendance du Québec dont le projet a été mis à mal par la démarche adoptée par le PQ depuis 2008.
Avant-propos : L’auteur se présente et explique ce que ce livre n’est pas (un pamphlet, un réquisitoire, un travail scientifique) et ce qu’il est (le récit d’une certaine dérive et une recherche de solutions). Il dit avoir très mal vécu le refus de la convergence souverainiste entre le PQ et QS lors du congrès de QS de mai 2017 (celui que j’ai raté parce que j’étais à l’hôpital; mais j’aurais appuyé ce refus), et même d’avoir été hors de lui quand il a entendu des militant.es de QS qualifier le PQ de raciste. Toutefois, en en parlant à des ami.es racisé.es, il s’est aperçu que cette perception était bien plus répandue qu’il ne le pensait et que la Charte des supposées valeurs québécoises a fait un tort immense à la cause de l’indépendance. Il présente finalement les personnes qu’il a écoutées.
1. L’auteur se demande comment le PQ, jadis si ouvert à l’immigration (il rappelle notamment que c’est sous un gouvernement du PQ que le Québec a accueilli 13 000 boat people vietnamiens entre 1979 et 1981), est devenu tellement fermé à ce sujet, et tente quelques explications. Ce chapitre est très intéressant, mais difficile à résumer, étant lui-même un résumé…
2. L’auteur aborde dans ce chapitre la question de l’identité multiple des Québécoi.ses issu.es de l’immigration. Un autre chapitre riche!
3. L’auteur montre que l’appui à l’indépendance des personnes qu’il a rencontrées pour ce livre a considérablement diminué depuis les débats sur les accommodements raisonnables et surtout depuis la publication de la Charte péquiste, exactement ce que je prévoyais et craignais à l’époque.
4. L’auteur et les personnes qu’il a interviewées retracent les événements qui ont le plus contribué à ce qu’une de ces personnes appelle la pente douce de la baisse de l’appui à l’indépendance chez les membres des communautés culturelles (expression utilisée avec réticence par l’auteur). Le premier fut le discours de la défaite de Jacques Parizeau lors du référendum de 1995, avec son «nous» exclusif (je me souviendrai toujours avoir bondi de mon fauteuil en m’exclamant «Mais, qu’est-ce qu’il dit là?») et son attribution de la défaite à l’argent et à des votes ethniques. Ils et elles abordent aussi l’impact du 11 septembre 2001 sur la population musulmane (dont les membres sont devenu.es soudain suspect.es) et de l’épisode des accommodements raisonnables.
5. Et on en arrive à la Charte… Là, les conséquences furent bien plus graves que celles des épisodes précédents, toutes les personnes rencontrées ayant subi violemment (mais avec une ampleur variable) cette période où plein de personnes leur faisaient sentir qu’elles ne faisaient pas partie du «nous» québécois.
6. «Il faut le dire : la Charte est rapidement devenue une machine à fabriquer des fédéralistes». Comme si les fédéralistes n’avaient pas assez utilisé la peur pour contrer le projet d’indépendance, ce sont dorénavant des souverainistes qui éloignent une grande partie de la population de ce projet en utilisant la peur! C’est à n’y rien comprendre, à moins de réaliser que l’attrait du pouvoir est rendu plus important pour le PQ que l’indépendance. Cette machine ne fabrique pas seulement des fédéralistes, elle pousse des personnes à l’exil (difficile de ne pas penser à François Legault et à la CAQ qui dénoncent le faible taux de rétention des immigrant.es – taux cependant moins faible qu’il le dit – et qui veulent malgré tout adopter une nouvelle version de la Charte qui ne pourra que faire diminuer ce taux) et favorise la radicalisation en raison du repli identitaire qu’elle entraîne.
7. L’auteur et ses invité.es abordent cette fois la nécessité de rebâtir la confiance et précisent que si jamais ils et elles devaient appuyer l’indépendance, ce ne serait pas avec un projet de société basé sur la division. Cela leur donne l’occasion de se pencher sur la question de la conditionnalité de l’appui à l’indépendance, pourfendue par une frange importante du mouvement indépendantiste, même si les questions des deux référendums de 1980 et de 1995 contenaient des conditions. Il faut aussi intégrer toutes les personnes du Québec, racisées ou non, et autochtones, au projet d’indépendance en commençant par reconnaître leur apport à la société québécoise dans les cours d’histoire. Il serait aussi important d’avoir davantage de représentant.es des minorités parmi les député.es et même les instances décisionnelles des partis politiques. Bref, il faut cesser de séparer les uns des autres pour que tous et toutes fassent partie du «nous».
Conclusion : L’auteur considère que les entrevues qu’il a tenues avec ses invité.es lui ont permis de cheminer et de reconnaître qu’une partie importante du mouvement indépendantiste s’est replié sur lui-même et a véhiculé depuis quelques années des valeurs xénophobes, avec pour résultat un recul de l’appui à l’indépendance. Il se désole par ailleurs du peu d’intérêt pour l’indépendance manifestée par les jeunes, qui sont davantage conscientisé.es par les questions environnementales, d’égalité sociale et entre les sexes, ou d’oppressions et de discrimination, alors qu’on peut très bien se préoccuper de ces questions et de celles liées à l’indépendance en même temps. Mais il comprend que le projet d’un pays axé sur la division ne peut que les rebuter. Il faut donc leur redonner le goût du Québec avec un projet de société plus emballant. Et il conclut :
«Les souverainistes ont une tâche essentielle à remplir, s’ils veulent que leur rêve se réalise. Cesser d’avoir peur de nous-mêmes et de l’Autre. Je dirais même plus : faire de l’Autre une partie de soi-même. Ce n’est qu’à partir de là que nous pourrons bâtir un Québec décolonisé, décomplexé, ouvert et libre (…)».
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! J’hésitais un peu à me procurer ce livre, mais beaucoup de mes ami.es me l’ont chaudement recommandé. Et, ils et elles avaient raison! J’ai toujours un peu de réticence avec des livres centrés sur des entrevues, mais elles sont ici très représentatives et bien amenées, toujours mises en lien avec une analyse plus globale. Il faut aussi saluer l’auteur qui a su faire preuve d’ouverture et d’humilité en étant capable de remettre en question ses perceptions qui reposaient sur des années de militance souverainiste. Je n’ai qu’une réserve qui consiste au peu de place qu’il consacre au projet indépendantiste de Québec solidaire, assimilant le mouvement indépendantiste uniquement au Parti québécois et au Bloc québécois. Cela est étonnant, car il a été conseiller aux communications de QS de 2007 à 2010. Il reconnaît aussi vers la fin du livre que QS offre un discours sur l’indépendance beaucoup plus inclusif que celui du PQ, mais considère que, «à l’heure où j’écris ces lignes, QS n’est toujours qu’une voix marginale dans le mouvement souverainiste» et que le PQ est toujours le «vaisseau amiral de la souveraineté». Je serais curieux de savoir s’il a toujours la même perception aujourd’hui! Finalement, à mon habitude, je tiens à souligner ma satisfaction au fait que les notes sont en bas de pages.
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