Lutter pour un toit
Avec son livre Lutter pour un toit – Douze batailles pour le logement au Québec, François Saillant montre que «si le droit au logement fait partie intégrante des droits humains que nos États se sont engagés à respecter, la situation au Québec serait bien pire sans la vigilance et la détermination des groupes militants qui ont mené des batailles sur ce front au cours des dernières décennies».
Préface – Le logement : lutter ensemble pour un droit : Selon Christian Nadeau, ce livre nous rappelle que «si les droits humains sont inconditionnels, au sens où tout être humain les possède de manière inaliénable, quelle que soit sa classe sociale, son origine ou sa religion, le respect de ces droits dépend en revanche de longues batailles et d’une vigilance constante».
Introduction – Douze épisodes d’un combat qui n’arrête jamais : L’auteur raconte les choix difficiles qu’il s’est imposés pour ne présenter que 12 luttes pour le logement dans ce livre.
1. Les vétérans squatteurs (1946-1948) : La lutte pour le droit au logement ne date pas d’hier. L’auteur raconte les actions de la Ligue des vétérans sans logis qui militait pour le droit au logement des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale laissés sans logis à leur retour à Montréal (il y a eu d’autres luttes du genre un peu partout en Occident). Les principales actions (mais pas les seules) de la Ligue consistaient à squatter des maisons de jeux. Même si celles-ci étaient illégales, les autorités choisirent de défendre le droit de propriété d’activités illégales plutôt que le droit au logement des vétérans (je simplifie…).
2. Vingt ans pour sauver et réinventer Milton Parc (1968-1987) : Ce chapitre porte sur la longue bataille du Comité de citoyens de Milton-Parc pour préserver des logements à loyer modique (ou à les transformer en logements sociaux et en coopératives) dans ce quartier, face aux intentions d’une entreprise de les remplacer par des logements de luxe et des tours à bureaux. Au bout du compte, cette bataille a permis à environ 1500 personnes à faible revenu d’habiter dans des logements sociaux ou des coopératives. Ce fut long et difficile (je résume grandement), mais cela a valu la peine!
3. La rue Saint-Norbert est occupée (1975) : Un squat est organisé notamment par le Comité logement Saint-Louis et l’Association des locataires de la rue Saint-Norbert pour faire renverser la décision de la ville de Montréal de démolir 49 logis pour agrandir la «cour de voirie de la rue Ontario qui sert à l’entretien de véhicules municipaux» plutôt que d’utiliser des terrains de stationnement nombreux dans le quartier. Finalement, les logis furent détruits, mais la cour de voirie ne fut pas agrandie, les terrains servant quelques années plus tard à la construction de condos. Cela dit, d’autres démolitions prévues à l’époque furent abandonnées. La lutte ne fut donc pas inutile.
4. Saint-Gabriel de force (1976-1979) : L’auteur relate ici la lutte du Mouvement Saint-Gabriel pour empêcher la démolition de 27 maisons par la ville de Québec pour transformer en boulevard la rue Saint-Gabriel. Ce projet fut abandonné, mais la lutte s’est poursuivie dans le but «de transformer les immeubles en logements coopératifs». Entre temps, la ville a envoyé des avis d’éviction aux locataires de six logements pour des motifs techniques. Après de nombreuses actions, le mouvement aura obtenu la transformation en coopérative de 62 logements et la sauvegarde de la maison de jeunes du quartier.
5. Les usines Angus, ça a fait du train ! (1977-1987) : La lutte présentée cette fois porte sur l’aménagement des immenses terrains occupés jusqu’à la fin des années 1970 par les ateliers Angus. D’un projet initial qui visait la construction d’un centre d’achats (couvrant la moitié de la surface) et de logements de luxe, on arrivera à la suite de nombreuses actions et après moult péripéties à la construction de 1000 logements sociaux (40 % du total), dont «600 appartements appartenant à 26 coopératives d’habitation sans but lucratif». Ce ne fut pas une victoire complète, mais une amélioration très significative par rapport au projet initial et aux nombreuses variantes qui ont été proposées tout au long des dix années qu’a duré la bataille (qui n’est d’ailleurs pas encore terminée, car d’autres terrains se sont libérés par la suite).
6. À Hull, des sans-logis qui dérangent (1983) : De nombreuses démolitions de logements à Hull (aujourd’hui Gatineau) ont eu lieu dans les années 1970 et 1980 pour permettre au gouvernement fédéral de bâtir des immeubles pour accueillir une partie des emplois fédéraux de la région de la capitale nationale. D’autres se sont ajoutées pour la construction de bâtiments provinciaux et pour la construction de routes et d’autoroutes. En conséquence, le taux d’inoccupation des logements locatifs a plongé et les loyers ont explosé. En 1983, certaines familles en sont venues, avec l’aide de l’association de locataire de cette ville, à camper en ville et même à occuper une école. Finalement, ces actions et la médiatisation de leur détresse ont permis à ces familles de trouver des logements grâce à des contributions gouvernementales et ont sûrement contribué à la construction de logements sociaux à Hull dès l’année suivante.
7. Overdale, une communauté qui veut survivre (1987-1988) : Un autre projet de construction de tours de condos de luxe à Montréal est mis de l’avant ayant pour conséquence la démolition d’une centaine de logements. Fait particulier, le parti au pouvoir, le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), est formé de plusieurs conseillers qui ont déjà milité contre de tels projets, mais qui appuient cette fois les démolitions. Finalement, les logements seront détruits pour être transformés en stationnements jusqu’en 2012, 24 ans plus tard, alors que l’on y construira des condos de luxe. Tant de vies et de qualités de vie gaspillées pour de la spéculation, c’est vraiment une histoire horrible. L’auteur mentionne toutefois que cette résistance aura sûrement contribué à l’abandon de projets du même genre ailleurs, où on a plutôt transformé les logements visés en coopératives. La résistance n’est jamais vaine, peut-on au moins conclure.
8. À Châteauguay, la solidarité face à l’adversité (1991-1996) : À la fin des années 1970, on ne compte aucune habitation à loyer modique (HLM) à Châteauguay. En 1999, on en dénombrait un millier (22 % des logements locatifs) et Châteauguay était reconnue comme un exemple en matière de logement social. On s’en doute bien, ce virage ne s’est pas fait tout seul…
9. Le squat Overdale-Préfontaine (2001) : Face à un taux d’inoccupation inférieur à 1 %, de plus en plus de ménages montréalais ne réussissaient pas à trouver un logement en juillet 2001. «C’est dans cette conjoncture que le Comité des sans-emploi de Montréal-Centre lance un appel à l’ouverture d’un squat, le 27 juillet» dans le seul immeuble de l’îlot Overdale n’ayant pas été démoli. Le squat se relocalise à partir du premier août au Centre Préfontaine, sur la rue Rachel Est, acceptant l’offre de la ville à cet effet. Les squatteurs seront finalement expulsés le 3 octobre (je saute les événements survenus lors du squat). Selon l’auteur, ce squat aura permis de sensibiliser la population et les autorités aux problèmes de logement. D’ailleurs, dès le moins suivant, le gouvernement provincial annonçait des investissements supplémentaires pour le logement social.
10. Au tour du 920 de la Chevrotière, à Québec (2002) : À Québec en 2002, le taux d’inoccupation des logements est encore plus faible qu’à Montréal (0,3 % en octobre). Le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, appuyé d’autres organismes, organise un squat le 17 mai 2002 au 920 rue de la Chevrotière réclamant que la ville «renonce à toute démolition sur le site et autorise plutôt la réalisation d’une coopérative d’habitation» et que le gouvernement du Québec finance 8000 logements sociaux par année. Après quatre mois d’actions, la police évacue les lieux en septembre et les immeubles sont démolis en mai 2003. Finalement, après de nombreuses autres actions, une coopérative de 80 logements a été construite en 2010 (!). Encore une fois, la persévérance a payé.
11. À Val-David, Guindonville blues (2002-2003) : En 2003, la municipalité de Val-David «a décidé de raser sept maisons pour faire place à un stationnement de 200 places» pour «faire de cet espace la porte d’entrée du futur parc régional Dufresne-Val-David-Val-Morin» (maintenant Parc régional de Val-David-Val-Morin), consacré entre autres au ski de fond. D’autres écrits précisent qu’un des «avantages de ce choix est qu’il débarrasse le village d’un bidonville». Malgré une forte résistance et de nombreux appuis aux locataires et au propriétaire de ces maisons, elles ont été détruites le 6 juillet 2003. Mais, il faudra attendre quelques années avant que le projet de la municipalité se concrétise, le plus grand gagnant ayant été un spéculateur…
12. Montréal : les quartiers ouvriers changent, changerons-nous de quartiers ? (2002-2017) : L’auteur explique le processus de gentrification (ou embourgeoisement) des quartiers populaires et ses conséquences sur les logements abordables, puis présente un grand nombre d’actions entreprises pour contrer ses manifestations les plus dommageables, leurs succès et leurs insuccès, surtout à Montréal, mais aussi à Gatineau et à Québec.
Conclusion. Une question de droits : L’auteur montre dans cette conclusion que le droit au logement est lié aux autres droits de base (sécurité, dignité, santé, etc.). Il aborde aussi :
- la hausse de la part des revenus qui va au logement;
- la part grandissante des logements occupés par des personnes seules;
- les conséquences de la «location temporaire d’appartements à des fins touristiques» (Airbnb);
- les conditions de logement scandaleuses des populations autochtones et leur proportion démesurée parmi les personnes itinérantes;
- l’insuffisance de la proportion de logements sociaux, accentuée par le fait que les budgets à cette fin ne sont pas utilisés entièrement en raison de critères de financement irréalistes (par exemple : «Alors que le budget 2017-2018 annonçait 3000 logements sociaux dans le programme AccèsLogis, seulement 731 logements ont été construits durant cette période»);
- l’importance de «recommencer à augmenter l’offre de HLM» et de «s’assurer de la disponibilité de sites» pour la création de logements sociaux;
- la «contradiction entre droit et marché» qui mène à la «financiarisation du logement».
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Avec la présentations d’autant de luttes, je craignais que la lecture de ce livre soit répétitive, mais en fait, chacun des événements abordés dans ce livre comporte des éléments spécifiques, et l’accumulation d’événements scandaleux permet de mieux envisager le portrait global de la situation du logement abordable au Québec. Cette situation ne peut en effet pas être réduite à des problèmes isolés et malheureux, mais est caractérisée par une inadéquation systémique du marché de l’habitation à y faire face. Sans le travail constant, patient et déterminé de militant.es comme l’auteur et comme ceux et celles qui ont appuyé ces luttes, les histoires d’horreur seraient encore bien plus nombreuses. La contribution de ces personnes et des groupes dans lesquels elles militent sur la qualité de vie de milliers de Québécois.es est inestimable.
Par ailleurs, ce livre est agréable à lire grâce au talent de conteur et de vulgarisateur de l’auteur, et à la présentation des textes souvent accompagnés de photos illustrant les luttes présentées dans le livre. Et, finalement, soulignons que les notes sont en bas de page, autre qualité que j’ai appréciée.