Le fractionnement du revenu de pension
La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke a publié la semaine dernière une étude de Carole Vincent, Suzie St-Cerny et Luc Godbout intitulée Le fractionnement du revenu de pension : fonctionnement, enjeux et pistes de réflexion. Comme cette étude a bien été résumée dans cet article et dans cette entrevue, je vais me contenter d’en présenter les grandes lignes, puis commenterai ses recommandations.
Fonctionnement et objectifs
Le fractionnement du revenu de pension au fédéral et le transfert de revenus de retraite au provincial permettent à une personne en couple (qui avait 65 ans ou plus à la fin de l’année au provincial, mais pas obligatoirement au fédéral pour tous les types de revenus de retraite) de transférer à l’autre membre du couple un montant n’excédant pas 50 % de l’ensemble de ses revenus de retraite admissibles (voir la liste de ces revenus admissibles ici), soit presque tous les revenus de retraite sauf ceux provenant des prestations publiques de retraite comme celles du Régime de rentes du Québec (RRQ), du Régime de pension du Canada (RPC) et de la Sécurité de la vieillesse.
Cette mesure fiscale permet tout d’abord de faire diminuer les montants imposables à un palier supérieur par la personne qui a les revenus les plus élevés dans un couple et de faire augmenter les montants imposables à un palier inférieur par la personne qui a les revenus les moins élevés. Par exemple, un couple dont la personne qui a 120 000 $ de revenus imposables qui transfère 10 000 $ de revenus de pension en 2019 à l’autre personne du couple qui a 20 000 $ de revenus imposables épargnera 10,75 points de pourcentage d’impôt au provincial (la différence entre 25,75 et 15 %) et 9,185 points d’impôt au fédéral (83,5 % de la différence entre 26 et 15 %, en raison de l’abattement de 16,5 % de l’impôt fédéral au Québec), soit un total de 19,935 % de 10 000 $, donc 1993,50 $. Elle épargnera bien plus si la personne qui a un revenu imposable de 120 000 $ transfère plus que 10 000 $ de revenus de pension (mais mon calcul aurait été plus compliqué…). En plus, ce transfert a aussi un impact sur les crédits d’impôt individuels et sur les programmes de transferts. Par exemple, la personne qui gagne 120 000 $ et qui transfère 10 000 $ comme dans mon exemple recevra 1500 $ de plus en pension de la sécurité de vieillesse (PSV) sans que la pension de l’autre personne du couple soit modifiée, car cette pension pour 2019 diminue de 15 % entre des revenus se situant entre 77 580 $ et 125 696 $. Bref, ce transfert de 10 000 $ permettra à ce couple de bénéficier d’un revenu disponible plus élevé de 3493,50 $ (1993,50 $ + 1500,00 $), sans considérer les autres impacts (comme sur le crédit pour revenu de pension, sur le montant en raison de l’âge et sur le crédit fédéral pour frais de santé). On remarquera que cette mesure n’avantage pas ou très peu les couples qui ont des revenus semblables (se situant à l’intérieur d’un même palier d’imposition).
L’objectif de cette mesure quand elle a été adoptée par le gouvernement fédéral (imité aussitôt par le gouvernement du Québec) pour l’année fiscale 2007 était de permettre aux pensionné.es «de conserver une plus grosse part de leur revenu pendant leur retraite qu’auparavant» et de corriger ce que ce gouvernement conservateur considérait une injustice, soit le fait qu’un couple formé de personnes ayant des revenus semblables paient moins d’impôt qu’un couple ayant le même revenu total, mais dont les deux personnes ont des revenus qui diffèrent grandement, cela en raison du système fiscal progressif sur une base des revenus individuels.
Avantages selon le revenu
Le tableau ci-contre (tiré de celui de la page 16 de l’étude) a été établi en fonction d’un couple dont le premier membre reçoit la PSV, des prestations de la RRQ et le revenu de pension indiqué à la première colonne, et dont le deuxième membre ne reçoit que la PSV. Il repose sur l’hypothèse que la moitié du revenu de pension de la première colonne est transféré à l’autre membre du couple.
Ce tableau montre clairement que l’avantage total (quatrième colonne) augmente avec le revenu de pension admissible. En pourcentage de l’impôt payé, il atteint son sommet quand le membre du couple ayant le revenu le plus élevé a 100 000 $ de revenu de pension admissible, donc pour un couple qui a un revenu total d’environ 125 000 $ (soit 100 000 $, deux prestations de la PSV – dont une incomplète avant fractionnement – et une prestation de la RRQ). Quand on sait que le revenu total médian des couples de personnes âgées du Québec était en 2017 de 55 700 $ (et le moyen de 67 700 $), selon le tableau 11-10-0190-01 de Statistique Canada, on voit que le plus grand avantage de cette mesure s’applique à des couples qui ont beaucoup moins besoin d’aide que les couples âgés médians et surtout que les couples les plus pauvres. En effet, le revenu total de notre couple (125 000 $) est 85 % plus élevé que le revenu moyen et 125 % plus élevé que le revenu médian. En plus, est-il équitable de donner plus de 17 500 $ à des couples gagnant au moins 400 000 $ (et qui ont bénéficié de plein de déductions relatives à leurs cotisations dans des régimes de retraite au cours des années précédant leur retraite) alors que le maximum de PSV et de supplément de revenu garanti (SRG) pour un couple n’ayant pas d’autre revenu est inférieur à 28 000 $?
Le coût et quelques statistiques
Le coût de cette mesure pour le gouvernement fédéral fut au cours des premières années de son application en moyenne près de 20 % plus élevé que prévu et atteindra 1,4 milliard $ en 2019. Pour le gouvernement du Québec, ce coût s’est élevé à 105 millions $ en 2017 (je rappelle qu’il faut avoir au moins 65 ans pour pouvoir transférer une partie de ses revenus de retraite au provincial, et qu’il n’y a pas de récupération de PSV). Le transfert moyen des couples qui utilisent cette mesure avoisine les 10 000 $ dans les deux cas. Les hommes représentent 77 % des personnes qui transfèrent des revenus, mais sont à l’origine de 85 % des montants transférés. Au fédéral, 27 % des sommes transférées en 2015 l’ont été par des personnes ayant moins de 65 ans.
Options de politiques
Après avoir présenté les résultats de sondages portant sur l’utilisation et la compréhension de cette mesure, les auteur.es présentent des suggestions de modifications ou d’améliorations qui respectent l’objectif de départ («aider les retraités à conserver une plus grande part de leur revenu»), tout en réduisant ses effets qu’il et elles jugent moins désirables. Ces effets sont :
- d’inciter les pensionné.es à une retraite hâtive et à une réduction des heures de travail : pourtant, le taux d’emploi au Québec est passé entre l’année de la mise en application de cette mesure (2007) et 2018 de 62,6 à 72,2 % chez les 55-59 ans (une hausse de 15 %), de 34,7 à 48,5 % chez les 60-64 ans (une hausse de 40 %), de 13,5 à 20,1 % chez les 65-69 ans (une hausse de 50 %) et de 2,9 à 5,7 % chez les 70 ans et plus (une hausse de 95 %), selon le tableau 14-10-0018-01 de Statistique Canada; comme ces taux ont aussi augmenté de façon notable dans l’ensemble du Canada, on peut donc penser que cette mesure incite en fait bien peu de personnes à prendre des retraites hâtives;
- d’être régressif et inéquitable pour certains bénéficiaires, et de coûter cher (je suis d’accord);
- «le fait que le transfert de revenus de pension est fictif alors que le transfert de charge fiscale entre les conjoints est bien réel» (voir plus loin);
- «les interactions avec d’autres mesures fiscales comme le montant pour revenu de pension et la récupération de la pension de sécurité de la vieillesse (PSV)» (voir plus loin).
Les auteurs recommandent dans cette optique :
- que le gouvernement fédéral imite le gouvernement du Québec et limite cette mesure aux 65 ans et plus pour tous les types de transferts : ce critère permettrait de fait de réduire substantiellement (d’environ 30 %) le coût de ce programme pour le gouvernement fédéral et le recentrerait sur son objectif premier de permettre aux retraité.es de conserver une plus grande part de leur revenu;
- de limiter à 25 000 $ le montant pouvant être transféré : ce critère ferait diminuer grandement les avantages des plus riches montrés dans le tableau que j’ai présenté plus tôt; cette limitation n’aurait touché que 9,2 % des bénéficiaires, et réduirait le coût de la mesure d’environ 10 % (n’oublions pas que les 9,2 % des bénéficiaires touché.es pourraient toujours transférer 25 000 $);
- de transformer la mesure existante en un crédit d’impôt : ce changement aurait beaucoup plus d’impacts que les deux précédents, car il éliminerait les conséquences du transfert sur les autres mesures fiscales et sur la récupération de la PSV; j’approuve cette mesure, car seules les personnes ayant des revenus d’entre 80 000 $ et 200 000 $ (environ) peuvent bénéficier de l’effet de récupération de la PSV; en plus, l’effet sur les autres mesures fiscales incite les pensionné.es à faire appel à une firme externe pour remplir leur déclaration de revenus (ce que font au moins la moitié des répondant.es sondé.es dans la partie de l’étude que je n’ai pas présentée ici); les auteur.es estiment que cette mesure ferait diminuer d’environ 40 % le coût de ce programme (notons que les taux de diminution de cette section ne doivent pas être additionnés, car ils sont calculés sans tenir compte des autres modifications recommandées); finalement, ce changement éliminerait le caractère fictif de cette mesure en la transformant en une mesure réelle de diminution des impôts; en effet, l’aspect fictif de cette mesure peut obliger un.e des membres du couple d’envoyer un chèque au gouvernement alors que l’autre a droit à un remboursement, ce qui pourrait amener le membre du couple en question de refuser cette mesure (ce qui ne doit pas être fréquent, les auteur.es ne mentionnant aucun cas réel); il force toutefois au fédéral à envoyer un chèque, ce qui peut être compliqué si le couple a peu de liquidités (au provincial, les membres du couple peuvent se transférer leurs crédits et éliminer le solde à payer d’un membre du couple avec le remboursement de l’autre membre; d’ailleurs, les auteur.es recommandent au gouvernement fédéral d’imiter le gouvernement du Québec à cet égard).
Et alors…
J’ai toujours été réfractaire à cette mesure. Je reconnais que la différence d’impôt à payer par des couples qui ont un revenu total semblable uniquement en raison d’écarts différents des revenus entre les deux membres du couple représente une forme d’injustice, mais cette situation n’est pas spécifique aux pensionné.es, car cette situation s’observe aussi pour les couples qui n’ont pas de revenus de retraite. La correction de cette injustice pourrait faire l’objet d’une réforme en profondeur de notre régime fiscal, mais cela devrait se faire sans favoriser les plus riches. Je suis contre le fractionnement du revenu de pension surtout parce qu’il est régressif, n’apportant rien aux couples de personnes âgées à faibles revenus ni aux personnes âgées seules qui vivent bien plus souvent en situation de pauvreté. En plus, les personnes qui ont des revenus de pension admissibles au fractionnement ont bénéficié tout au long de leurs années antérieures de reports d’impôts sur leurs cotisations aux régimes de retraite et aux intérêts qui s’y accumulent. Quand vient le temps de payer un impôt moins élevé que les déductions dont ces personnes ont bénéficié, on trouve un moyen de leur donner un autre avantage fiscal. Or, j’ai déjà montré dans deux billets que ces reports d’impôts coûtent bien plus cher (cinq fois, selon mes calculs) aux gouvernements que les programmes sociaux (essentiellement le supplément de revenu garanti) destinés aux personnes qui n’ont pas pu cotiser à des régimes de retraite.
Bref, j’appuie les modifications proposées dans cette étude pour les raisons indiquées dans ce billet, mais je favoriserais l’abandon de ce programme et l’utilisation des économies qui en découleraient pour bonifier les programmes insuffisants à l’intention des personnes âgées les plus pauvres et peut-être aussi pour rehausser le crédit en raison de l’âge et le rendre remboursable. Ai-je dit que le taux de faible revenu selon la mesure de faible revenu après impôt chez les personnes âgées de 65 ans et plus était de 22,8 % en 2017 au Québec, en hausse de près de sept points de pourcentage depuis 2013 (15,9 %)? Je reviendrai bientôt sur cette situation. Mais, on comprendra que cette situation m’interpelle davantage que celle des couples âgés qui ont des revenus inégaux, mais dont au moins un est beaucoup plus élevé que l’autre.
Pendant ce temps le gouvernement provincial oblige les personnes assistées sociales à réclamer leur retraite à 60 ans plutôt qu’a 65 ans, ce qui a pour effet de diminuer leurs revenus après 65 ans lorsqu’elles ne sont plus sur l’assurance sociale.
France : )
«Le jardin est une école
Pour qui veut apprendre
Ce qui pousse en lui»
François Vigneault
Poèmes du jardin (Les Heures bleues, 2009)
________________________________
J’aimeJ’aime
En effet…
J’aimeJ’aime
« L’objectif de cette mesure quand elle a été adoptée par le gouvernement fédéral (imité aussitôt par le gouvernement du Québec) pour l’année fiscale 2007 était de permettre aux pensionné.es «de conserver une plus grosse part de leur revenu pendant leur retraite qu’auparavant» »
C’est une façon alléchante électoralement de présenter une mesure qui rapetisse l’État finalement à l’avantage des riches. À un haut niveau de revenus de couple, à la retraite, l’épargne est facile et cette épargne va grossir éventuellement leur patrimoine et profiter à qui n’a pas forcément mériter à moins d’avoir eu pendant des années à oeuvrer comme aidants naturels sans rémunération.
« … et de corriger ce que ce gouvernement conservateur considérait une injustice, soit le fait qu’un couple formé de personnes ayant des revenus semblables paient moins d’impôt qu’un couple ayant le même revenu total, mais dont les deux personnes ont des revenus qui diffèrent grandement, cela en raison du système fiscal progressif sur une base des revenus individuels. »
Était-ce une injustice en regard des principes de John Rawls?
« Principe 1 : Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous. »
L’impôt est un diminution de liberté. Si l’on retient que pour Rawls, la liberté est l’accès aux biens premiers, est-ce que l’épargne est un bien premier, la mesure fiscale adoptée en 2007 corrigeait une inégalité au niveau des couples et non des personnes. Le premier principe de Rawls s’applique aux personnes, s’applique-t-il aux couples?
Si pour Rawls l’épargne à l’âge de la retraite est un bien premier, est-ce qu’elle l’est aussi pour Amartya Sen ? Il le croirait moins.
« Principe 2 : Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions : a) elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalités des chances; et b) elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. »
Pour a), Si les revenus personnels à l’intérieur d’un couple sont très inégaux, il est fort probable que ses conjoints aient bénéficié.es de chances inégales. Les inégalités sociales et économiques entre couple à revenus égaux et couples à revenus inégaux ne satisfont pas à a). Il y a peu de couples formés de deux mâles ou deux femelles, le genre crée une inégalité incontournable minimale ou sérieuse.
Est-ce une évidence que les femmes sont plus désavantagées que les hommes ? Si oui, la mesure serait acceptable en b) parce qu’elles ont bénéficié, généralement, d’un revenu moindre.
Ce charabia écrit, je suis fortement en accord avec votre conclusion. Au diable la théorie de la justice de Rawls, c’est un enfer pavé de bonne intention. Sen dans L’idée de justice la trouve transcendantale. En fait, ce n’est pas une théorie au sens scientifique comme celle de l’évolution amorcée par Darwin mais une approche de la justice.
J’aimeAimé par 1 personne
Je pense qu’Amartya Sen trouverait vos graphiques instructifs; que trouverait-il à en écrire à 85 ans ? Et Robert Dutil, à 68 ? Et Jean-François Lisée à 61 ? Joanne Marcotte à ? ? Éric Duhaime 50 ?Martine Ouellet à 49 ? J’en passe dont Yves-François Blanchet, 53 ? Et Catherine Dorion à 36 ? Et Gabriel Nadeau-Dubois, 28 ans ? Et Catherine Fournier à 26 ?
Le mâle s’en va tranquillement. Le mal ? Je me permets un jeu de mot facile.
Est-ce que Céline a chanté quelque part le sort évolutif des fem.mes, des hom.mes donc, entre 1976 et 2017, une période de plus d’une régénération ? Il y a eu l’épisode des baguettes sous Bush 2. Qu’était devenue la démocratie mondiale, la sécurité américaine, pétrole, ces années là ?
Si un graphique vaut 1000 mots, à titre d’image, comment en vaut une chanson dans les 10 les plus écoutées, toute provenance confondue ! La romance fout le camp au dépend du rap.
J’aimeJ’aime