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La taille et les caractéristiques du travail informel au Canada

22 mars 2019

La Banque du Canada a publié en février dernier une étude intitulée The Size and Characteristics of Informal (“Gig”) Work in Canada (La taille et les caractéristiques du travail informel («gig») au Canada). C’est un article paru au début mars dans Le Devoir qui m’a fait prendre connaissance de cette étude rédigée par Olena Kostyshyna et Corinne Luu. En plus de présenter les principaux constats de cette étude, cet article mentionnait que ses auteures avançait l’hypothèse que la faiblesse de la hausse des salaires dans un contexte de faible taux de chômage et de hausse du taux de postes vacants pourrait s’expliquer au moins en partie par la présence importante de «petits boulots» au Canada. Ce qui m’a intrigué, c’est que l’article précise que «les statistiques officielles ne tiennent souvent pas compte» de ces emplois, mais qu’ils font quand même réduire les hausses salariales en raison des «pressions à la baisse sur les salaires» qu’ils exerceraient. Cette analyse m’a intrigué et m’a porté à lire cette étude pour voir si ses auteures expliquaient cette hypothèse plus clairement.

Notons en plus que la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn A. Wilkins, a prononcé un discours qui explorait les facteurs pouvant expliquer les faibles hausses salariales des dernières années. J’y reviendrai en conclusion.

Introduction

Les auteures précisent que cette étude est la première à «documenter la taille des activités informelles rémunérées au Canada et les caractéristiques des personnes qui se livrent à de telles activités». Elle ne pourra donc pas nous informer sur les tendances à la hausse ou à la baisse de ces activités.

Données

Devant l’absence de données sur les activités informelles rémunérées, la Banque du Canada a ajouté des questions sur le sujet à son Enquête sur les attentes des consommateurs au Canada au cours des trois derniers trimestres de 2018, enquête tenue auprès de 2000 ménages, dont le quart est remplacé chaque trimestre. Avec ces questions supplémentaires, la Banque demandait aux répondant.es s’ils effectuaient actuellement des activités informelles contre rémunération. Environ les deux tiers des répondant.es ont affirmé effectuer au moins une des tâches mentionnées au questionnaire (ou d’autres qu’ils ou elles ont ajoutées), ces tâches allant de la garde d’enfants et de la promenade de chiens à des travaux d’entretien ou à la vente de biens sur des sites Internet en passant par des activités liées à ce que certaines personnes appellent l’économie du partage (Uber, Airbnb, etc.). En enlevant les activités liées à la vente ou à la location de biens (ce qui ne peut pas être associé à du travail), c’est plutôt 30 % des répondant.es qui avaient effectué du travail informel. Si on enlevait les personnes qui effectuent ces activités uniquement pour le plaisir, la proportion tomberait à 18 %. Mais, le reste du document porte sur les 30 % qui avaient effectué du travail informel, peu importe que ce soit par besoin ou par plaisir.

Caractéristiques du travail informel et des personnes qui en effectuent

Le taux de participation à des activités de travail informel par tranche d’âge se répartit comme suit :

  • 58 % chez les jeunes (15 à 24 ans);
  • 31 % chez les personnes âgées de 25 à 54 ans;
  • 26 % chez les personnes âgées de 55 ans et plus .

Les principales raisons d’effectuer ces activités sont :

  • de gagner de l’argent (82 % dont 25 % y trouvent leur principale source de revenus);
  • pour le plaisir ou comme passe-temps (62 %);
  • pour réseauter (16 %);
  • parce que la personne ne trouve pas d’emploi régulier (15 %);
  • pour maintenir (14 %) ou acquérir des compétences de travail (11 %).

Les personnes qui travaillent à temps partiel (48 %), surtout de façon involontaire (53 %), sont celles qui effectuent le plus souvent des activités informelles, devant les personnes en chômage (42 %). Les auteures en concluent que, malgré le faible taux de chômage, il existe probablement encore une certaine possibilité d’améliorer la situation sur le marché du travail. D’ailleurs, le taux de participation à ces activités est le plus élevé dans les provinces où le taux de chômage a le plus augmenté depuis la récession de 2009, et plus de la moitié des personnes qui effectuent des activités informelles préféreraient obtenir un emploi formel, même sans gain salarial.

Comme le travail informel n’est pas toujours considéré dans les données officielles sur l’emploi, les auteures estiment que, si on en tenait compte, le taux d’activité augmenterait d’environ trois points de pourcentage, surtout chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans (huit points) et chez les personnes âgées de 55 ans et plus (cinq points), mais aussi chez celles âgées de 25 à 54 ans (moins de deux points).

Estimation du travail fourni par le travail informel

Les auteures visent ici à estimer les heures effectuées pour du travail informel pour pouvoir évaluer son impact sur la croissance des salaires (bon, enfin ce que je voulais voir!). Elles estiment que les heures travaillées dans un travail informel correspondent à 3,5 % des heures travaillées dans ces emplois formels, cette proportion selon les provinces variant de 2,4 % au Québec à 4,9 % en Colombie-Britannique (province où le taux de chômage est pourtant bien inférieur à la moyenne canadienne et à celui du Québec). Elles concluent que, si le marché du travail continue de s’améliorer, un bon nombre des personnes qui effectuent du travail informel devrait entrer sur le marché du travail formel, faisant ainsi baisser la moyenne salariale et diminuer les pressions à la hausse des salaires auxquelles on devrait s’attendre avec un taux de chômage officiel aussi bas. Le lien établi par les auteures entre la présence d’emplois informels et la faible hausse des salaires des dernières années se limite à cette explication. Or, si ce travail a augmenté en importance au cours des dernières années (ou n’a pas baissé), le processus décrit par les auteures ne peut pas avoir eu l’effet de faire diminuer les pressions à la hausse des salaires, car elles expliquent que c’est quand ces personnes passent du travail informel au travail formel que la diminution des pressions se fait sentir. Il doit y avoir quelque chose que je n’ai pas compris dans cette explication. C’est décevant, en tout cas.

Et alors…

Cette étude apporte un éclairage intéressant sur l’ampleur du travail informel au Canada, sur les principales tâches qu’on y accomplit et sur les caractéristiques des personnes qui en effectuent. Cela dit, je dois dire que le lien entre le travail informel et la faiblesse des pressions sur les salaires ne me semble pas plus clair après avoir lu cette étude qu’avant (et peut-être même moins clair), d’autant plus qu’on ignore si ce phénomène est en croissance ou pas. Par contre, le discours de Carolyn A. Wilkins dont j’ai parlé en amorce est plus intéressant à cet égard. Elle cite en effet plusieurs facteurs pour expliquer la faiblesse des hausses salariales des dernières années :

  • diminution du taux roulement (départs volontaires pour d’autres emplois) de la main-d’œuvre : les gens semblent plus prudents qu’avant, craindre davantage de ne pas trouver un autre emploi avec de meilleures conditions de travail, probablement en raison de la dernière récession, de la situation dans le secteur pétrolier et du vieillissement de la population active;
  • faible mobilité géographique : les gens sont attachés à leur région et préfèrent y rester, même dans les régions à fort taux de chômage; en plus, le coût du logement dans les villes où les salaires sont les plus élevés restreint les intentions d’aller y vivre;
  • baisse de la concurrence entre les entreprises, ce qui accentue les possibilités des entreprises de limiter les salaires qu’elles offrent;
  • utilisation croissante des agences de placement et de la sous-traitance, qui offrent des salaires moins élevés que leurs clients;
  • baisse de la syndicalisation (de 21,3 % à 15,9 % dans le secteur privé canadien, selon les données du tableau 14-10-0070-01 de Statistique Canada et de 28,4 % à 23,5 % dans celui du Québec) qui a fait diminuer le rapport de force des salarié.es;
  • petits boulots, «une nouvelle catégorie d’emplois atypiques qui réduit aussi le pouvoir de négociation des travailleurs» : à cet effet, elle cite l’étude que j’ai présentée dans ce billet.

On voit donc que les variations salariales dépendent de nombreux facteurs sans qu’on puisse vraiment quantifier l’impact de chacun d’entre eux (quoique certaines études tentent de le faire). Et il y en a d’autres, dont les faibles augmentations salariales dans le secteur public, la structure démographique de la population (les salaires sont plus élevés quand on a entre 45 et 55 ans qu’entre 15 et 25), l’histoire (salaires élevés dans certains secteurs en raison de batailles antérieures), les valeurs sociales (comme les effets des programmes d’équité) et, surtout, les changements dans la structure des emplois (moins de personnel administratif et plus de personnel professionnel fait par exemple augmenter le salaire moyen). Devant le nombre et l’importance de ces facteurs, cela m’étonnerait que la présence du travail informel soit un facteur qui fasse partie des plus influents sur l’évolution des salaires. Au bout du compte, la partie de cette étude sur la description du travail informel est bien plus intéressante que celle qui tentent de nous convaincre de son impact sur les salaires. Heureusement que j’ai trouvé le discours de Mme Wilkins, sinon je n’aurais jamais présenté cette étude qui contient pourtant des éléments intéressants.

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