Aller au contenu principal

Le revenu de base en question

27 mai 2019

Avec son livre Le revenu de base en question – De l’impôt négatif au revenu de transition, Ambre Fourrier, titulaire d’une maîtrise en science de la gestion de HEC Montréal, montre que le revenu de base «peut se révéler aussi bien une politique émancipatrice qu’un cheval de Troie néolibéral, une voie de sortie du capitalisme qu’un piège pour nous y retenir».

Introduction : Comment se fait-il que tant de personnes, de droite comme de gauche, appuient le revenu de base? C’est à cette question que compte répondre ce livre.

1. Qu’est-ce que le revenu de base ? : L’autrice clarifie tout d’abord le sens des mots utilisés pour parler du revenu de base (revenu, allocation, impôt, etc.), puis présente les différentes formes qu’il peut prendre (qui reçoit? critères et conditions? combien? à quelle fréquence? financement? remplace ou complète d’autres transferts?). Elle conclut que «les enjeux politiques et économiques associés à ces différentes formules varient considérablement». Une très bonne entrée en matière!

2. Les quatre types de revenu de base : Ce chapitre porte sur les principales formes que peut prendre le revenu de base :

  • l’impôt négatif : Ce revenu n’est offert qu’aux personnes qui gagnent moins qu’un certain niveau de revenu; on garde en général une partie des revenus gagnés, encore là jusqu’à un niveau maximal, après quoi on commence à payer de l’impôt; il peut être établi sur une base individuelle ou de ménage; ce type de revenu est souvent appuyé par la droite (pour remplacer les transferts et services offerts par l’État), mais a des partisan.es aussi à gauche;
  • l’allocation universelle : est un montant fixe remis à tou.tes les membres d’une société (régionale, nationale, continentale ou mondiale); son montant peut être faible ou élevé;
  • le revenu social garanti : ce revenu ressemble à l’impôt négatif, mais s’ajouterait à des transferts et services publics actuels (mais remplacerait l’aide sociale); le revenu minimum garanti proposé par Québec solidaire est une forme de revenu social garanti; ce revenu, pas très élevé (mais plus que l’aide sociale actuelle) est en général accompagné d’une baisse ou d’une abolition de nombreux tarifs pour les services publics (transport en commun, droits de scolarité, frais de garde, etc.);
  • le revenu de transition : la transition de ce revenu vise la sortie du capitalisme; ce revenu serait suffisant pour sortir de la pauvreté et remis à tou.tes les membres d’une société, possiblement en partie en nature; le salaire à vie de Bernard Friot serait une variante de ce revenu de transition.

Notons que l’autrice situe aussi ces formes de revenu de base dans leurs objectifs politiques, sociaux, économiques et philosophiques, analyse que je n’ai pas présentée dans ce résumé. Elle conclut que les «quatre idéaux-types de revenu de base que nous avons défini précédemment présentent donc des différences très significatives, à la fois dans leurs modes de fonctionnement, leurs justifications idéologiques et le cadre institutionnel qu’ils présupposent». Bref, quand on parle du revenu de base, on regroupe sous le même terme des politiques foncièrement différentes.

3. Le revenu de base en pratique : Ce chapitre examine trois expériences concrètes de mise en application du revenu de base, même si aucune ne porte sur une version vraiment inconditionnelle, universelle et suffisante. Il s’agit de celles du Mincome à Dauphin au Manitoba dans les années 1970 (du type «impôt négatif», avec des éléments semblables au type «revenu social garanti»), du Madhya Pradesh en Inde de 2011 à 2013 (du type «allocation universelle» de bas niveau) et de la Finlande en 2017 et 2018 (entre l’impôt négatif et l’allocation universelle de bas niveau). Il contient aussi des mentions des expériences en Ontario de janvier 2017 à décembre 2018 (du type «revenu social garanti» peu élevé) et auprès de la nation Cherokee depuis 1996 (du type «allocation universelle» de bas niveau, financé par les profits de casinos). Disons seulement de ces expériences (sauf celle de la Finlande où le revenu de base servait à amoindrir le filet social selon bien des analystes) qu’elles furent positives entre autres du côté de la santé et de la fréquentation scolaire, mais aussi sur d’autres plans sans conséquences négatives notables.

4. Les enjeux politiques du revenu de base : L’autrice analyse les enjeux politiques des différentes formes de revenu de base «au regard de trois valeurs essentielles» :

  • la liberté : après avoir distingué les différents types de libertés (notamment positives et négatives) et présenté d’autres «considérations philosophiques sur le concept de liberté», l’autrice analyse les gains et les pertes en libertés positives et négatives apportés par les quatre types de revenu de base pour les classes sociales inférieures et supérieures;
  • l’égalité : l’autrice procède de la même façon en distinguant tout d’abord trois concepts d’égalité, soit celles des droits, des conditions et des chances, puis en analysant les gains et les pertes sur le plan de ces trois formes d’égalités apportés par les quatre types de revenu de base;
  • la soutenabilité (ou durabilité) : après avoir présenté les critères de la «soutenabilité» et distingué la «soutenabilité» forte de la faible, l’autrice analyse les gains et les pertes dans ces deux niveaux de «soutenabilité» apportés par les quatre types de revenu de base.

Revenant sur ses constats, elle conclut que, malgré «un gain potentiel en matière de «liberté négative», les dispositifs de type 1 et 2 risquent de produire une réduction de la liberté réelle des membres de ces catégories [sociales inférieures], une aggravation des inégalités sociales, tout en permettant la poursuite de la destruction écologique en cours», et que les gens qui se préoccupent de ces questions devraient défendre «autant que faire se pourra des dispositifs inspirés des types 3 (revenu social garanti) et 4 (revenu de transition), d’abord et avant tout».

Conclusion : L’autrice résume les principaux constats du livre, puis conclut, comme mentionné en amorce de ce billet, en disant que «le revenu de base peut être aussi bien une politique émancipatrice qu’un cheval de Troie néolibéral, une voie de sortie du capitalisme qu’un piège pour nous y retenir!». Elle souhaite finalement qu’il se fasse plus de recherches et d’expérimentations sur le sujet, notamment sur l’impact de ce revenu sur les autres institutions visant la sécurité sociale, car, étant bien plus qu’une solution technique, le revenu de base est une question qui relève de la stratégie politique.

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire! J’ai hésité à me procurer ce livre, car j’ai déjà consacré au moins six billets à ce sujet. Je me demandais ce qu’on pouvait ajouter. Or, ce livre est celui que j’ai trouvé le plus intéressant de ceux que j’ai lus sur le sujet. L’autrice aborde les différents types de revenus de base, les explique en détail en présentant leurs variantes, analyse leurs effets sous de nombreux angles et, surtout, ne tente pas de nous les vendre en magnifiant leurs qualités et en minimisant leurs défauts, et cela même s’il est clair qu’elle favorise le revenu de transition (elle est «proche des milieux de la décroissance», comme on peut le lire dans la quatrième de couverture). Et même là, en comparant les différentes formes de revenu de base, elle apporte des arguments solides pour son choix. Seule faiblesse, elle n’évalue jamais précisément le coût de ces variantes, la plus coûteuse étant sans aucun doute celle qu’elle favorise. Malgré ce bémol, si on veut lire un seul livre sur le sujet, c’est celui que je conseille. En plus, les notes sont en bas de page!

Publicité
No comments yet

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :