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Salaire minimum et employé.es au salaire minimum

8 novembre 2019

Dans la deuxième étude que j’ai présentée dans ce billet récent portant sur l’évolution de1998 à 2018 des caractéristiques des travailleur.euses canadien.nes rémunéré.es au salaire minimum, on a appris entre autres que la proportion de ces travailleur.euses sur le nombre total de salarié.es est passée de 4,1 à 10,4 % au cours de cette période, la plus forte hausse (de 6,5 à 10,4 %) étant survenue en une seule année entre 2017 et 2018, alors que cette proportion a rapidement diminué de 10,2 à 9,2 % entre les premiers semestres de 2018 et de 2019.

Dans une discussion sur Facebook, on s’est demandé ce qui expliquait ces changements rapides. Comme le disent les auteurs de cette étude, une hausse importante du salaire minimum entraîne une hausse de la proportion d’employé.es au salaire minimum, car le salaire minimum rattrape le salaire de personnes qui gagnaient auparavant un peu plus que le salaire minimum. Pour illustrer ce phénomène, j’ai vérifié si de fait la proportion d’employé.es au salaire minimum variait en fonction du niveau du salaire minimum à l’aide de différentes hypothèses. Je me suis dit que ce serait intéressant de présenter ces vérifications ici. Notons que, comme le salaire minimum est différent dans chaque province et que je ne trouve pas de données historiques sur le nombre d’employé.es au salaire minimum dans les autres provinces (j’aurais voulu regarder le résultat au moins pour l’Ontario), j’ai fait cet exercice uniquement pour le Québec.

Niveau du salaire minimum et taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum

Les données du graphique ci-contre sont tirées de ce tableau du site de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) pour le nombre d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum, du tableau 14-10-0027-01 de Statistique Canada pour le nombre total d’employé.es, de cet autre tableau de l’ISQ pour le niveau du salaire minimum au mois de juin de 1997 à 2018 et du tableau 18-10-0005-01 de Statistique Canada sur l’indice des prix à la consommation du Québec pour enlever l’effet de l’inflation du niveau du salaire minimum.

Ce graphique montre le résultat de ma première tentative, soit d’associer le taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum (ligne rouge) au niveau du salaire minimum en dollars constants de 2018 (ligne bleue). Malgré certains mouvements chaotiques du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum (n’oublions pas que les données sur le nombre d’employé.es totaux et rémunéré.es au salaire minimum proviennent de l’Enquête sur la population active ou EPA, et présentent une certaine marge d’erreur), on peut voir que les deux courbes se suivent assez bien. D’ailleurs, le coefficient de corrélation entre ces deux séries de données est de 0,57, ce qui montre une relation assez forte entre les deux, mais aussi qu’il y a sûrement d’autres facteurs qui influencent l’évolution du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum. Cela dit, on peut voir que ce taux a diminué en début de période (sauf pour la hausse étrange en 2001) quand le niveau réel du salaire minimum a aussi baissé, qu’il a augmenté assez fortement lors des hausses du salaire minimum en milieu de période (surtout de 2006 à 2010), qu’il est reparti en baisse en 2011 et en 2012 à la fois parce que le niveau réel du salaire minimum a légèrement baissé et parce que les employeurs ont sûrement augmenté davantage les salaires des personnes qui touchaient un peu plus que le salaire minimum en 2006, mais qui se sont retrouvées rémunérées au salaire minimum en raison de la hausse importante de ce salaire de 2006 à 2010, qu’il n’a augmenté que légèrement de 2012 à 2016 en raison de la hausse tout aussi légère du niveau réel du salaire minimum, et qu’il a augmenté bien plus fortement en 2017 et surtout en 2018 en raison de la plus forte hausse (9 % en deux ans) du niveau réel du salaire minimum.

Cette première tentative m’a laissé sur ma faim, pas vraiment en raison des résultats, mais essentiellement parce que le niveau réel du salaire minimum ne tient pas compte de l’enrichissement moyen de l’ensemble des salarié.es. Je suis donc passé à ma deuxième tentative.

Ratio du salaire minimum sur le salaire moyen et taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum

Les données du graphique ci-contre sont tirées de trois des quatre sources mentionnées pour le premier graphique et du tableau 14-10-0340-01 de Statistique Canada pour le salaire moyen. Ces données proviennent de l’EPA.

Ce graphique montre le résultat de ma deuxième tentative, soit d’associer le taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum (ligne rouge) avec le ratio du salaire minimum sur le salaire moyen de tous les employé.es (ligne bleue). On voit que, mis à part encore une fois la hausse étrange du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum en 2001 (la courbe rouge est la même que dans le graphique précédent), la baisse de ce taux de 1999 à 2004 est cette fois associée à une baisse beaucoup plus importante de la ligne bleue, soit du ratio (ou pourcentage) du salaire minimum sur le salaire moyen. De même, la hausse du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum de 2007 à 2010 se marie cette fois parfaitement à la hausse de la ligne bleue. Notons ici que ce «mariage » est un peu artificiel, car il dépend du choix des échelles des axes de gauche et de droite, mais ne boudons pas notre plaisir! On voit aussi que la baisse du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum de 2010 à 2015 s’explique mieux, quoiqu’elle dépende encore beaucoup de la forte baisse de 2011 et de 2012 (que j’ai expliquée auparavant par l’ajustement probable du salaire des personnes qui touchaient un peu plus que le salaire minimum en 2006, mais qui se sont retrouvées rémunérées au salaire minimum en raison de la hausse importante de ce salaire de 2006 à 2010). Mais, même si cette explication a du sens, je n’ai en fait aucune preuve pour l’appuyer. Par contre, la très forte hausse du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum en 2018 est cette fois associée à une hausse plus considérable de la ligne bleue que dans le premier graphique. Cette tentative n’est pas plus satisfaisante uniquement visuellement, mais le coefficient de corrélation entre ces deux séries de données est aussi meilleur, atteignant cette fois 0,64, résultat nettement plus élevé que le précédent (0,57).

Cela dit, je suis resté encore une fois sur ma faim, car le salaire horaire tiré des données de l’EPA inclut l’estimation du salaire horaire des employé.es à salaire fixe («dont la rémunération de base est une somme fixe versée pour au moins une semaine», comme dans bien des postes des secteurs de l’enseignement, des banques, de la publicité, etc.) dont le salaire est nettement plus élevé que celui des employé.es rémunéré.es à l’heure (45 % de plus en 2018 au Québec) et des employé.es à la commission ou à la pièce (ces deux catégories d’employé.es représentaient entre 35 et 40 % des salarié.es de 2014 à 2018), et qu’il comprend le temps supplémentaire (qui n’est pas considéré dans le niveau du salaire minimum).

Ratio du salaire minimum sur la rémunération horaire moyenne des salarié.es rémunéré.es à l’heure et taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum

Ma troisième tentative est semblable à la précédente, mais utilise les données sur la rémunération horaire moyenne des salarié.es rémunérés à l’heure excluant le temps supplémentaire tirées du tableau 14-10-0206-01 de Statistique Canada. Ces données proviennent de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) et sont d’ailleurs celles utilisées par le Secrétariat du travail du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale pour recommander au gouvernement du Québec le niveau du salaire minimum.

On notera tout d’abord que le graphique ci-contre part en 2001 plutôt qu’en 1997 comme les deux précédents. Cela est dû au fait que, selon Statistique Canada, les données sur la rémunération de l’EERH antérieures à 2001 ne sont pas comparables à celles publiées à partir de 2001 en raison d’un changement méthodologique. Cela fait en sorte que le graphique commence la fameuse année au cours de laquelle le taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum (ligne rouge) est étrangement élevé. De même, l’échelle de gauche montre des ratios un peu plus élevés que ceux du graphique précédent, car il exclut les employé.es à salaire fixe qui touchent un équivalent horaire plus élevé que les salarié.es rémunéré.es à l’heure, comme mentionné précédemment.

La correspondance des deux courbes ressemble à celle observée dans le graphique précédent, si ce n’est quelques différences mineures et deux plus importantes. Tout d’abord, la baisse du ratio du salaire minimum sur la rémunération horaire moyenne des salarié.es rémunéré.es à l’heure (ligne bleue) en 2011, baisse qui était beaucoup moins forte dans le graphique précédent, correspond davantage avec celle du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum (ligne rouge), même si elle lui demeure nettement inférieure. Puis, on voit que le ratio augmente légèrement en 2015 et en 2016, alors qu’il baissait dans le graphique précédent, ce qui, encore une fois, correspond mieux aux mouvements du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum. En conséquence, il n’est pas étonnant de constater que le coefficient de corrélation entre ces deux séries de données est plus élevé que pour celles des deux précédents graphiques, soit de 0,70 par rapport à 0,64 pour le précédent et 0,61 pour le premier (entre 2001 et 2018). Cette tentative est la meilleure des trois, mais on voit encore une fois que d’autres facteurs influencent l’évolution du taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum.

Et alors…

J’aurais pu me contenter de présenter seulement ma troisième tentative, mais je trouve important dans ce genre d’exercice de montrer les résultats des hypothèses moins solides pour pouvoir expliquer pourquoi celle finalement retenue est la plus satisfaisante et surtout la plus adéquate. Au bout du compte, ce billet a permis de confirmer que le ratio du salaire minimum sur la rémunération horaire moyenne des salarié.es rémunéré.es à l’heure est un des facteurs qui influence le plus l’évolution du taux d’employé.es rémunéré.esau salaire minimum. On peut aussi conclure que, comme une augmentation du salaire minimum plus élevée que celle du salaire moyen fait en général augmenter le taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum, une hausse de ce taux n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle! Je précise ce fait parce que j’ai lu quelques fois des textes qui unterprétaient automatiquement une hausse de ce taux comme un signe d’appauvrissement, alors que cela dépend de la raison de cette hausse.

Ce billet a aussi permis de constater que d’autres facteurs jouent dans l’évolution de ce taux. Je pense entre autres à l’influence probable de la proportion des emplois rémunérés à l’heure dans les industries qui comptent proportionnellement le plus d’employé.es au salaire minimum, tels le commerce de détail et l’hébergement et la restauration (quoiqu’un examen de l’évolution de cette proportion m’a donné des résultats loin d’être concluants), de la situation économique, du taux de chômage et du taux de postes vacants dans les emplois à bas salaires (qui est en hausse, voir ce billet). Ces deux derniers facteurs peuvent en effet inciter les employeurs à augmenter les salaires qu’ils offrent au-dessus du salaire minimum (voir ce bulletin de l’Association Restauration Québec qui confirme ce raisonnement, de même que cet article qui présente des anecdotes allant dans ce sens) et ainsi faire diminuer le taux d’employé.es rémunéré.es au salaire minimum ou réduire le niveau de son augmentation.

Je n’ai pas trouvé d’explications complètes (si vous pensez à d’autres facteurs explicatifs, n’hésitez pas à m’en faire part), mais cela est courant en économie et encore plus dans le domaine du marché du travail, ce qui est une des raisons pour lesquelles j’aime cette discipline et ce domaine!

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