L’économie de la foi
Avec son livre L’économie de la foi, le deuxième de six livres de sa série sur l’économie, Alain Deneault explique cette économie qui représente le «rapport interactif entre la croyance, l’autorité et l’action» et qui «porte en elle l’exigence de penser ce que tout principe doit à l’intimité des sujets pour s’incarner dans le monde».
Manifeste : L’auteur reproche aux économistes de s’être approprié «le lexique de l’économie pour en faire leur fonds de commerce», alors que ce mot a acquis «dans l’histoire bien d’autres acceptations» et significations dans «plusieurs disciplines scientifiques et pratiques culturelles». Dans toutes ces déclinaisons, «l’économie relève de la connaissance des relations bonnes entre éléments, entre gens, entre sèmes, entre choses». (Il s’agit du même manifeste que dans son livre précédent sur l’économie de la nature, et mon résumé est le même que dans mon billet sur ce livre).
L’économie de la foi : L’économie de la foi englobe un ensemble de dispositifs (lieu, espaces, formes esthétiques, discours, spectacles, etc.) qui permettent aux croyant.es ou adhérant.es à une croyance ou à une communauté de se reconnaître et de vivre leur foi (je simplifie énormément). Par exemple, la Sainte Trinité (Dieu unique en trois personnes) fait partie de l’économie de la foi chrétienne.
Paul, premier «économe» de l’Église : Paul de Tarse serait le premier à avoir parlé d’économie (de l’économie du salut) pour nommer le processus qui mènerait à la résurrection des croyant.es à la fin des temps.
L’économie comme ruse de l’esprit : L’Église a créé l’économie de la foi (et du salut) et ses représentants en sont l’intermédiaire entre Dieu et les croyant.es, et sont les seuls à pouvoir l’interpréter. Ainsi, l’économie est la gardienne de la «fable néotestamentaire» et «consiste à l’instituer pour que ce récit advienne, s’installe et perdure».
Un concept polysémique : Pour d’autres théologiens, l’économie de la religion chrétienne englobe tous les mystères, de la Trinité à la résurrection finale, en passant par l’Immaculée Conception, la venue de Jésus sur Terre et tout le reste des croyances liées à cette religion.
Une référence réputée profane : Le Nouveau Testament différencie clairement les éléments qui font partie de l’économie de la foi de ceux liés à ce que ce terme signifie de nos jours (que le Nouveau Testament considère comme bien moins importants que les premiers, voire futiles). L’auteur se désole du fait que les traductions de ce texte ont remplacé les termes qui relèvent de l’économie de la foi par des termes plus neutres (plan, accomplissement, réalisation, etc.) pour n’associer à ce concept que les éléments moins importants (impôts, argent, etc.). Il donne de nombreux exemples de ce procédé et remarque que ce basculement des valeurs est le même que celui qu’on appelle la science économique a entraîné, ne mettant l’accent que de la comptabilisation de la production monnayable (je simplifie encore). Pire, certains économistes ont même reproché à Paul d’avoir utilisé le terme économie dans un sens différent de celui du mot grec oikonomia (administration de la maison)!
Une généalogie interrompue : L’auteur revient sur la radiation du terme économie dans les traductions du Nouveau Testament et commente les dommages que cette radiation a causés.
L’économie comme institutionnalisation d’un rapport vif au monde : L’auteur analyse plus en détail l’évolution du concept d’économie de la foi du IIe au IVe siècle chez les théologiens Tertullien, Irénée de Lyon, Hippolyte de Rome et Jean Chrysostome.
Une économie sans limites : Par après, d’autres théologiens ont montré les liens entre l’Immaculée Conception, l’économie de la foi, l’économie de la création et l’économie de la nature.
Du culte à la culture de l’image : Ce chapitre porte sur l’utilisation de l’icône (peintures, vitraux, dessins, crucifix, etc.) dans l’économie de la foi. «La force de l’image réside moins dans ce qu’elle montre que dans ce qu’elle est à même de susciter en termes de croyance et d’aspiration».
L’autre économie – rhétorique, mensonge et condescendance : L’auteur donne de nombreux exemples d’interprétations parfois volontairement mensongères de l’économie de la foi par des représentants de l’Église pour favoriser les croyances et éviter des questionnements «inutiles». Ce procédé visait parfois à gommer certaines contradictions dans les textes religieux (l’auteur en présente quelques-unes) et même à «justifier l’injustifiable».
Fondement rhétorique d’un pouvoir politique : L’auteur montre que les évangélistes ont pris des libertés avec les faits (ont menti) pour distinguer les chrétiens des Juifs et pour montrer que les chrétiens sont les amis des Romains. Ils visaient à mieux se faire accepter par les Romains et à éviter ainsi les persécutions dont les premiers chrétiens furent les victimes. Après avoir présenté d’autres faits alternatifs racontés par les évangélistes et les premiers représentants de l’Église, il conclut que «l’institution cléricale repose indéniablement sur une performance rhétorique. […] ce discours ayant nourri la conscience des sujets qui y ont cru, ou qui ont dû y croire sous la pression sociale».
Un héritage séculier : L’auteur explique comment le concept d’économie a graduellement disparu des textes théologiques, alors qu’il considère qu’il est plus approprié que jamais.
Une science économique en mal de Dieu : Si le concept d’économie de la foi a graduellement cessé d’être utilisé en théologie, ses aspects rhétoriques et mensongers ont été récupérés par les États, notamment pour obliger le respect de lois iniques. L’auteur examine ensuite la question des croyances et de l’économie de ces croyances, qu’elles soient religieuses, politiques, idéologiques ou économiques (notamment sur la gestion et l’image des marques).
Il est une foi : Sans surprise, cette courte conclusion aborde l’économie de la foi de l’économie, plus précisément de «l’idéologie de l’intendance capitaliste». L’acte de foi en cette idéologie est l’objet «d’une conscience vigilante en même temps que d’une ferveur». L’auteur précise que «l’économie consiste en un principe qui, à l’œuvre dans le réel historique, fera l’objet de professions de foi et d’actes de conscience» et ajoute que «plutôt qu’une position passive consistant en une tension devant un horizon d’attente messianique, cette économie politique de la foi n’attend d’être sauvée par personne que par nous-mêmes».
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire, mais avec réserves. J’ai trouvé la lecture de ce livre plus exigeante que celle du précédent livre, surtout en raison du caractère un peu flou et surtout mouvant du concept d’économie de la foi (mais pas seulement pour cette raison). On y trouve des éléments intéressants, mais certains chapitres m’ont paru un peu nébuleux. Cela dit, comme cette série m’intéresse au plus haut point, je suis bien content de l’avoir lu. En plus, les notes sont en bas de page!
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