Jeanne express : Un graphique sur les émissions de GES
Avez-vous déjà vu le graphique ci-contre? Il est apparu à quelques reprises sur mon fil de nouvelles Facebook. Étant sceptique de nature, je me suis dit que ce serait une bonne chose de vérifier s’il correspond bien aux données officielles. Et, ce faisant, j’ai pensé que ce serait bon de les analyser sous d’autres angles.
Les données officielles
Pour vérifier l’exactitude de ce graphique, j’ai cherché et trouvé les données officielles (fichier GES_Econ_Can_Prov_Terr.csv sur cette page) et les ai utilisées pour produire le graphique ci-contre. Il n’est pas tout à fait identique au précédent, mais le résultat est semblable. Si la variation totale des émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 2005 et 2015 de l’Alberta et de la Saskatchewan (ligne bleue), et des autres provinces (ligne rouge) fut assez semblable à celle illustrée sur le graphique précédent (hausse de 18,1 % et baisse de 14,5 %), leurs trajectoires furent passablement différentes. En effet, le graphique précédent n’indique entre autres pas les hausses de 2007 communes aux trois lignes, les baisses de 2008 et 2009 dues à la récession et la hausse subséquente en 2010. En fait, 85 % de la baisse des émissions des autres provinces entre 2005 et 2015 s’est réalisée entre 2005 et 2009, soit une baisse de 12,1 % sur la baisse totale de 14,5 %, ce que le graphique précédent ne permet pas de constater. Cela dit, son message global demeure pertinent, notamment le fait que la baisse des émissions des autres provinces aurait permis au Canada de respecter les cibles canadiennes provenant de la conférence de Copenhague de 2009 (baisse de 17 % entre 2005 et 2020, dont la trajectoire linéaire est indiquée par la ligne verte) si celles de l’Alberta et de la Saskatchewan avaient diminué au même rythme plutôt que d’augmenter.
Depuis 1990
Comme la période des données que j’ai trouvées s’étend de 1990 à 2017, je me suis dit qu’il serait bon de les présenter. Le graphique ci-contre est construit en grande partie comme le précédent, mais j’ai ajouté une ligne pour le Québec (la mauve) et j’ai utilisé la ligne verte pour illustrer la trajectoire linéaire nécessaire pour l’atteinte de la cible du Québec, soit une baisse de 37,5 % sous le niveau de 1990. J’aurais pu aussi présenter la cible de 2020, mais comme le gouvernement a déjà annoncé qu’elle sera ratée, j’ai préféré présenter celle de 2030, qu’il a conservée.
Ce graphique montre surtout que le Canada a voulu amoindrir le niveau de la baisse nécessaire de ses émissions en choisissant 2005 plutôt que 1990 comme année de départ. En effet, les émissions de GES ont augmenté de 21,3 % au Canada entre 1990 et 2005, de 37,9 % en Alberta et en Saskatchewan, et de 11,9 % dans les autres provinces. Pour le Québec, le choix de l’année de départ avait peu d’importance, car son niveau d’émissions de 2005 a été très semblable à celui de 1990 (hausse de seulement 0,5 % entre 1990 et 2005). Pour plus de précisions sur l’évolution des émissions de GES au Québec entre 1990 et 2017, on peut consulter ce billet qui l’analyse en détail, mais avec des données très légèrement différentes. La ligne verte permet finalement de constater que la baisse d’émissions du Québec entre 1990 et 2017 aurait dû être plus de deux fois plus élevée pour suivre la baisse linéaire nécessaire à l’atteinte de son objectif de 2030, soit de 20,3 % plutôt que de 9,3 %.
Par province
Le graphique précédent pourrait laisser penser que la baisse des émissions de GES du Québec fut la plus importante de toutes les provinces, car sa courbe est au-dessous de celle des autres provinces. Ce n’est pas le cas, comme on peut le constater en consultant le graphique ci-contre. En fait, la baisse du Québec (9,3 %) fut la quatrième plus importante derrière celles de la Nouvelle-Écosse (20,3 %), de l’Ontario (11,8 %) et du Nouveau-Brunswick (11,3 %). On peut aussi constater que, comme on pourrait le penser, ce n’est pas en Alberta que la hausse fut la plus importante (58,0 %), mais bien en Saskatchewan (75,4 %), provinces suivies par la Colombie-Britannique (20,4 %, mais avec une baisse de 1,5 % depuis 2005), le Manitoba (18,4 %), Terre-Neuve (11,7 %) et l’Île-du-Prince-Édouard (baisse de 5,4 %). Notons que je n’ai pas présenté les données des territoires (hausse de 9,9 %, représentant entre 0,3 % et 0,4 des émissions canadiennes selon les années). Résultat de ces évolutions divergentes, la part des émissions de l’Alberta et de la Saskatchewan est passée de 36,0 % à 49,0 % des émissions canadiennes entre 1990 et 2017, tandis que celles du Québec et de l’Ontario sont passées respectivement de 14,3 % à 10,9 % et de 29,9 % à 22,2 %.
Et alors…
Il est toujours important de demeurer sceptique quand on voit circuler des graphiques (ou toute autre information) sur Internet, surtout quand ils confirment nos opinions et encore plus quand la source n’est pas mentionnée. Je comprends que tout le monde ne puisse pas prendre le temps de vérifier leur exactitude (sans la source, ce n’est de toute façon pas toujours possible), mais tout le monde est en mesure de se poser des questions. Cette fois, le graphique en cause n’était pas vraiment erroné, même si imprécis. Ça arrive aussi, heureusement!
Cette vérification m’a toutefois incité à faire ce que je voulais faire depuis un bon bout de temps, soit de regarder de plus près les données canadiennes par province sur les émissions de GES. Et cela ne fut pas inutile. Ces données confirment à quel point le laisser-faire canadien, voire son encouragement, par rapport à l’exploitation des énergies fossiles est dommageable. Si, en plus d’aider à faire reconnaître leurs droits, les actions des Autochtones réussissaient à faire modifier les appuis gouvernementaux à cette industrie, ce serait un grand succès! On peut toujours rêver…