Manuel pour changer le monde
«Notre monde est en crise. Crise économique, crises humanitaires, crise de confiance envers les institutions, aggravation des inégalités sociales, précarité économique, montée de l’extrême droite : autant de symptômes d’un monde qui ne tourne pas rond». Face à cette situation, le livre Manuel pour changer le monde de l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère «se veut un antidote à l’épuisement des énergies utopiques et à la morosité ambiante, en offrant un guide pratique pour aider à surmonter les multiples défis de notre temps».
Prologue : Ce prologue porte sur les événements qui ont permis la création de l’École d’innovation sociale Élisabeth-Bruyère et qui ont mené à la parution de ce livre dont l’objectif est «de créer un guide accessible offrant des pistes concrètes pour changer le monde».
Introduction – Apprendre à changer le monde : Le concept d’innovation sociale est malheureusement galvaudé. Pour les auteur.es, ce concept «renvoie à la création de nouveaux modèles d’organisation, de pratiques sociales et d’engagement citoyen favorisant la lutte contre les inégalités sociales et les différentes formes d’oppression, y compris par la réduction de la pauvreté». Ils et elles présentent ensuite les valeurs et les aspirations mises de l’avant dans la formation offerte par l’École d’innovation sociale, ainsi que les objectifs de chacun des chapitres de ce livre.
1. Innover au-delà des buzzwords : Ce chapitre porte sur l’évolution des interprétations du concept d’innovation (qui avait une connotation négative jusqu’aux années 1980), approfondit les différents sens accordés à celui d’innovation sociale (innovations néolibérales, sociales-démocrates et émancipatrices) et analyse les événements qui ont entouré ces différentes interprétations et leur évolution.
2. Comprendre le monde pour mieux le changer : La charité peut soulager les conséquences du niveau élevé des inégalités, mais seule une transformation sociale «dans une perspective d’émancipation» peut permettre de combattre à la fois les inégalités économiques et de statut social, visant ainsi une reconnaissance mutuelle pour que chaque personne se sente «respectée et considérée comme un être à part entière». Le chapitre aborde ensuite les systèmes d’oppression (dont leurs formes intersectionnelles) et le concept de «politique préfigurative» «qui vise à incarner dans le présent des manières d’être que nous voudrions voir advenir à large échelle dans une société future».
3. Agir collectivement : Ce chapitre porte sur l’action collective et les mouvements sociaux, sur ce qui motive les personnes qui y participent, sur les stratégies de mobilisation, sur les moyens d’action (ou sur les tactiques) et sur les innovations de ces stratégies et tactiques.
4. Propulser le changement : Pour orienter l’action collective, il faut «nommer, blâmer et réclamer» et s’identifier à un groupe de personnes qui s’opposent à un adversaire. La motivation peut bénéficier d’un cadrage efficace, notamment avec un slogan percutant et un argumentaire crédible basé sur un récit (reposant par exemple sur la défense de droits ou sur la lutte aux injustices), mais peut être attaquée par un contre-cadrage (par exemple en appelant une grève un boycott ou en qualifiant des contestataires de terroristes ou de casseurs).
5. Transformer l’économie : Les auteur.es définissent tout d’abord le capitalisme et présentent ses caractéristiques. Ils et elles montrent que notre économie est en fait plurielle, avec en plus du secteur privé capitaliste, un secteur public (qui embauche 22 % de la main-d’œuvre), un secteur de l’économie sociale (5 % de la main-d’œuvre) et un secteur de l’économie domestique non rémunéré (y compris l’engagement bénévole). Pour dépasser le capitalisme, ce sont ces secteurs qu’il faut encourager. Cela dit, l’encouragement seul ne peut pas parvenir à modifier suffisamment le système capitaliste. Il faudrait aussi implanter des changements structurels et institutionnels, et démocratiser les milieux de travail.
6. Entreprendre autrement : Les auteur.es clarifient les différents sens qu’on peut accorder au mot «entrepreneur», puis distinguent l’entrepreneuriat classique de l’entrepreneuriat social, et celui-ci de l’entrepreneuriat collectif. Ils et elles décrivent ensuite les étapes nécessaires à la création d’une entreprise sociale ou collective, ainsi que les embûches qui peuvent se présenter. Finalement, ils et elles mettent en garde contre les pièges de la mesure de l’impact social d’une telle entreprise, tout en soulignant que, bien faite, cette mesure peut être utile.
7. S’organiser démocratiquement : Ce chapitre explore différentes formes de gestion démocratique, dont bien sûr l’autogestion, mais sous différentes variantes, puis analyse leurs avantages et leurs désavantages potentiels (si mal conçue, surtout). Les auteur.es présentent ensuite de nombreux exemples d’expériences d’autogestion dans l’histoire et plus récemment, puis suggèrent fortement aux membres d’entreprises autogérées de suivre une formation et d’utiliser différents outils et guides disponibles pour mieux connaître les défis de l’autogestion. Je ne peux que manifester mon accord avec cette suggestion, ayant déjà travaillé plus de trois ans dans une entreprise autogérée qui a cessé rapidement ses activités après le départ des personnes qui l’avaient fondée (dont moi).
8. S’engager dans la communauté : Démocratiser les milieux de travail est bien, mais pas suffisant. Il faut aussi redonner le pouvoir aux citoyen.nes. Ce chapitre propose divers moyens de tendre vers cet objectif, tant par l’éducation populaire que par l’action communautaire. Ces moyens peuvent prendre de nombreuses formes. Les auteur.es font la distinction entre différents modes de participation citoyenne, de la séance d’information à la consultation et à la délégation du pouvoir décisionnel, puis soulignent l’importance cruciale de la délibération avant la prise de décision. Ils et elles donnent ensuite des exemples de budgets participatifs dans de nombreuses municipalités. Le fait que ces initiatives émanent de municipalités montre le rôle important qu’elles peuvent jouer dans la démocratisation de la société (voir le livre À nous la ville! Traité de municipalisme de Jonathan Durand-Folco, un des auteur.es de ce livre et sûrement de ce chapitre, et le billet que je lui ai consacré).
Conclusion – Changer d’échelle : Le changement d’échelle du titre de cette conclusion porte sur les types de transformations sociales possibles. Les auteur.es présentent aussi différentes stratégies pour réaliser ces transformations. Après avoir apporté quelques précisions intéressantes sur le contenu des chapitres précédents, ils et elles concluent que «s’il doit y avoir une transformation en profondeur des institutions et des structures de la société, c’est par [une] expérimentation complexe que nous pourrons élargir la portée de nos actes et construire les piliers d’un nouveau système» et, qui sait, changer le monde!
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Certes, les auteur.es de ce livre ont adopté un ton didactique, mais cela est tout à fait approprié et attendu pour un livre publié par une institution universitaire. Ce ton n’a pas empêché les auteur.es de produire un texte accessible et facile à lire. Ce manuel ne constitue nullement un livre de recettes pour implanter un changement social, mais fournit plutôt un guide pour mieux le réussir. Et, il est très réussi! Autre qualité non négligeable, les notes sont en bas de page.