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La viabilité financière avant le coronavirus

27 mars 2020

Le directeur parlementaire du budget (DPB) a mis à jour son rapport sur la viabilité financière de la politique budgétaire des gouvernements fédéral et provinciaux le 27 février dernier. Son rapport de 2017, que j’ai commenté dans ce billet, était beaucoup plus exhaustif (il sert d’ailleurs de référence pour les aspects techniques et les méthodes de prévision des rapports suivants, dont celui de 2020) et arrivait à la conclusion que seuls les gouvernements du Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Canada avaient une politique financière viable à long terme, c’est-à-dire qu’avec les mêmes structures de revenus et de dépenses qu’en 2016, ces gouvernements auraient toujours des budgets viables 75 ans plus tard, en 2091, ce qui signifie «que la dette publique n’augmente pas de manière continue en proportion de l’économie».

Même si, compte tenu de la crise actuelle, le rapport de 2020 est désuet à peine quelques semaines après sa publication, il peut nous indiquer quelles administrations publiques étaient les mieux positionnées à la veille de cette crise pour lui faire face et pour s’en remettre avec le moins de dégâts.

Introduction

Il est important de comprendre que l’exercice de viabilité financière n’est pas comme tel basé sur des prévisions «des résultats les plus probables», mais vise plutôt à «déterminer si la politique budgétaire actuelle [en 2018] permet de relever adéquatement les défis à long terme sur les plans économiques et démographiques» «après avoir pris en compte les répercussions économiques et financières du vieillissement de la population». Ce verdict «indique l’ampleur des changements à apporter à la politique budgétaire pour qu’il soit possible d’atteindre la viabilité». En plus d’analyser la viabilité financière des gouvernements fédéral et provinciaux, ce rapport porte aussi sur la viabilité des régimes de retraite généraux, soit du Régime de pension du Canada (RPC) et du Régime des rentes du Québec (RRQ).

Gouvernement fédéral

Après avoir présenté les projections démographiques et économiques qu’il utilise, le DPB aborde l’analyse de la viabilité financière des gouvernements en commençant par celui du Canada.

Le graphique ci-contre montre que le pourcentage des revenus du gouvernement fédéral sur le PIB canadien (ligne dorée) a diminué de façon importante depuis 1990 (trait plein), passant d’un sommet de 18,4 % en 1997 à 15,0 % en 2018; le DPB prévoit (points dorés) que ce pourcentage diminuera légèrement de 2018 à 2020, puis qu’il demeurera fixe à 14,5 % de 2020 à 2093.

Il montre aussi que le pourcentage des dépenses de programme (excluant donc les frais de la dette publique) du gouvernement fédéral sur le PIB (ligne bleue) a diminué de façon importante depuis 1990 (trait plein), passant d’un sommet de 17,8 % en 1992 à 13,7 % en 2018; le DPB prévoit (points bleus) que ce pourcentage diminuera légèrement à long terme pour atteindre 11,9 % en 2093.

Comme l’indique le graphique ci-contre, les variations des dépenses sont dues en bonne partie aux prestations pour les personnes âgées, dont le coût augmenterait dans un premier temps en raison du vieillissement de la population (de 2,4 % du PIB en 2018 à 2,9 % en 2031), pour diminuer ensuite graduellement pour atteindre 1,9 % en 2093. Cette baisse s’explique par le fait que les prestations pour personnes âgées (sécurité de la vieillesse et supplément de revenu garanti) sont indexées selon l’indice des prix à la consommation qui augmente moins rapidement que le PIB par habitant. On voit que, contrairement à ce que bien des conservateurs et économistes de droite prétendent, il n’est pas du tout nécessaire de retarder l’admissibilité à ces programmes de 65 ans à 67 ans pour éviter un désastre financier, car l’importance de ces programmes par rapport au PIB serait en fait en baisse, même en conservant les critères actuels. On pourrait même se permettre de les bonifier et on devrait le faire! Ce graphique montre aussi que les dépenses pour les prestations pour enfants, après avoir bondi de 0,7 % en 2014 à 1,1 % du PIB en 2018 en raison de la création de l’Allocation canadienne pour enfants, diminueraient ensuite graduellement pour atteindre 0,5 % en 2093 en raison de la baisse en importance de la population âgée de moins de 18 ans, en supposant leur indexation à l’inflation. Finalement, après avoir connu une baisse énorme entre 1991 (2,5 % du PIB) et 2018 (0,8 %) en raison de la baisse du chômage et surtout des nombreuses réformes adoptées au cours de cette décennie qui ont durci ses conditions d’admissibilité, la part des prestations d’assurance-emploi demeurerait fixe à ce niveau de 2018 à 2093. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette part atteindra en fait un sommet historique cette année, même si de nombreux.euses chômeur.euses seront en fait payé.es par la Prestation canadienne d’urgence!

Au bout du compte, en tenant compte aussi de la légère baisse en importance des transferts aux provinces (de 4,4 % du PIB en 2018 à 4,1 % en 2093), ces changements feraient en sorte que le pourcentage de la dette nette sur le PIB, qui est déjà passé de son sommet de 70,1 % en 1996 (voir les barres grises du graphique du début de cette partie) à 28,5 % en 2018, deviendrait négatif en 2047 et terminerait la période de prévision (en 2093) à -82,1 %! Le DPB conclut que le gouvernement fédéral «pourrait augmenter les dépenses ou réduire les impôts et les taxes de manière permanente dans une proportion correspondant à 1,8 % du PIB (41 milliards de dollars courants), tout en maintenant la viabilité financière». En prenant d’autres hypothèses, le DPB en arrive à des marges de manœuvre variant de 1,1 % à 3,0 % du PIB. Bref, non seulement les personnes qui s’inquiètent constamment des déficits fédéraux peuvent se calmer, mais ce gouvernement a les moyens d’améliorer ses programmes (transferts aux personnes âgées et aux provinces, assurance-emploi, etc.) sans mettre en danger sa viabilité financière et même sans avoir besoin d’augmenter ses revenus! Cela dit, il faudra attendre deux ans pour savoir si ce verdict se maintiendra dans les prochaines analyses du DPB compte tenu de l’énorme déficit auquel devra faire face ce gouvernement cette année.

Administrations infranationales (provinciales et municipales)

«Contrairement au gouvernement fédéral, les administrations infranationales connaîtront une augmentation toujours plus grande de leurs dépenses en santé, avec le vieillissement de la population». En plus, la «réduction des transferts fédéraux (par rapport à la taille de leur économie) contribuera également à la détérioration des finances des administrations infranationales à long terme». Si leurs revenus autonomes (impôts provinciaux, taxes et autres) augmenteront au même rythme que leur PIB, leurs dépenses de programmes augmenteront en général un peu plus rapidement.

– au Québec

Notons que j’ai rédigé cette section à l’aide des données contenues dans un classeur fourni sur cette page par le DPB, et non pas à partir du rapport qui n’analyse pas les données de chaque province. C’est pourquoi j’ai dû réaliser moi-même le graphique de cette section.

Au Québec, le pourcentage des revenus sur le PIB passerait de 34,6 % à 35,6 % entre 2018 et 2093, hausse qui proviendrait surtout de la péréquation (de 2,7 % à 4,1 %). Le pourcentage des dépenses de programmes (excluant le service de la dette) sur le PIB passerait de 30,2 % en 2018 à 33,6 % en 2093. Cette hausse s’explique par le fait que le pourcentage sur le PIB des :

  • dépenses en santé passerait de 8,6 % à 11,7 %, surtout en raison du vieillissement de la population;
  • dépenses pour l’éducation passerait de 4,3 % à 4,4 %;
  • dépenses en prestations sociales passerait de 4,3 % à 4,2 %;
  • autres dépenses passerait de 12,9 % à 13,2 %.

On voit donc qu’environ 90 % de la hausse des dépenses (3,1 points de pourcentage sur 3,4) proviendrait de celles en santé. On remarquera que, même si la part des revenus sur le PIB augmenterait moins que celle des dépenses de programmes (hausse de 1,0 point par rapport à une hausse de 3,4 points), la part des revenus demeurerait toujours plus élevée que celle des dépenses, permettant un surplus primaire (avant le service de la dette) au cours des 75 années de cette période. En conséquence, comme on peut le voir sur le graphique ci-contre, la part de la dette (que le DPB appelle le «passif financier net») passerait de 35,5 % en 2018 à 0 en 2056 pour se retrouver à -69,3 % en 2093! Ce chiffre représentant une dette négative signifie un actif net positif. On s’étonnera peut-être de ce résultat, mais je rappelle que le rapport de 2017 arrivait à un surplus encore plus ahurissant de 370 % en 2091. On voit à quel point de petits changements entre deux exercices espacés de deux ans peuvent déboucher sur des conclusions bien différentes. Et, comme la dette se transformerait en un actif net, la part du service de la dette sur le PIB passerait de 3,1 % à -2,4 %, ce signe négatif signifiant plutôt des revenus de placement, ce qui contribuerait grandement à la hausse des surplus.

– ensemble des provinces

Comme on peut le voir sur la première ligne du tableau ci-contre, la part de la dette des provinces et territoires doublerait entre 2018 et 2093, passant de 23,9 % à 47,0 % du PIB. Cette situation serait délicate, mais pas catastrophique si cette moyenne s’appliquait à chaque province, mais ce n’est pas du tout le cas. En fait, les structures budgétaires les plus viables seraient dans l’ordre celles du Québec, de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, et les moins viables celles des Territoires, de Terre-Neuve, du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick, ces provinces et territoires se retrouvant avec des dettes supérieures à leur PIB. L’Alberta verrait la part de sa dette sur le PIB décupler (de 5,3 % à 52,0 %), mais sa situation serait moins désastreuse.

En considérant plutôt l’évolution de l’écart financier des provinces et des territoires, le DPB conclut que seules les provinces qui ont un écart financier nul ou négatif ont une structure budgétaire viable, soit quatre provinces (le Québec, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario et la Colombie-Britannique), comme on peut le voir sur le graphique ci-contre. C’est déjà deux de plus que dans l’exercice de 2017! Ce graphique montre par exemple que le Québec bénéficie d’une marge de manœuvre lui permettant d’augmenter ses dépenses ou de réduire ses taxes et impôts d’une somme représentant 1,1 % de son PIB, soit environ 5 milliards $. À l’inverse, le Manitoba devrait réduire ses dépenses ou augmenter ses taxes et impôts d’une somme représentant 4,2 % de son PIB pour bénéficier d’une structure budgétaire viable. Notons que cet écart s’élève à 11,4 % dans les Territoires (écart non illustré dans le graphique). En prenant d’autres hypothèses, le DPB en arrive pour le Québec à des marges de manœuvre variant de 0,2 % (avec des hausses de dépenses en santé) à 1,9 % (avec des baisses de dépenses en santé) du PIB, ce qui montre l’impact important des dépenses en santé (et donc du vieillissement de la population) pour sa viabilité financière.

RPC et RRQ

Je vais ici me contenter de citer la conclusion du DPB sur la viabilité financière du RPC et du RRQ. «La structure actuelle tant du RPC que du RRQ est viable à long terme. Selon nos estimations, les écarts financiers du RPC et du RRQ sont respectivement de 0,0 % du PIB au Canada et de -0,2 % du PIB au Québec. Avec la structure actuelle du RPC, les cotisations et les prestations prévues sont suffisantes pour garantir qu’à long terme, la position nette de l’actif par rapport au PIB reste proche de sa valeur initiale. Dans le cas du RRQ, il serait possible de réduire les cotisations ou d’augmenter les prestations de 0,2 % du PIB tout en maintenant la viabilité financière».

Conclusion – Secteur gouvernemental global

Le graphique ci-contre montre que :

  • la dette des administrations infrarégionales (ligne et pointillés dorés) doublerait entre 2018 et 2093, passant de 23,9 % du PIB à 47,0 %, comme on l’a vu dans le tableau d’une section précédente;
  • la dette fédérale (ligne et pointillés bleus) chuterait, passant de 28,5 % du PIB en 2018 à 0 en 2047 puis à -82,1 % (soit un surplus impressionnant) en 2093, comme on l’a vu dans la première section de ce billet;
  • les régimes de retraite généraux (ligne et pointillés gris) verraient leurs surplus combinés passer de 19,9 % du PIB canadien en 2018 (3,3 % pour le RRQ et 16,7 % pour le RPC) à un sommet de 48,0 % en 2061 (8,5 % et 39,5 %), pour terminer la période à 30,9 % en 2093 (7,8 % et 23,1 %); la part du RRQ dans ces surplus passerait de 16,4 % en 2018 à 25,2 % en 2093, montrant un niveau de viabilité supérieur à celui du RPC.;
  • la dette totale (ou combinée) des administrations publiques (ligne et pointillés noirs) passerait de 32,5 % en 2018 à -66,0 % en 2093.

On voit donc que la situation budgétaire de l’ensemble des administrations publiques est on ne peut plus viable. Le problème est le même depuis des décennies, ce qu’on appelle le déséquilibre fiscal. Ce déséquilibre s’explique par le fait que les dépenses gouvernementales des provinces, notamment en santé, augmentent à un rythme beaucoup plus élevé que les dépenses du gouvernement fédéral. L’entente sur les transferts fiscaux en santé de 2004 avec le gouvernement Martin qui assurait une augmentation annuelle de 6 % de ces transferts semblait avoir réglé le problème, mais le gouvernement Harper a abaissé cette hausse à 3 % ou à la croissance nominale du PIB si celle-ci est plus élevée que 3 %, changement entrant en vigueur en 2017. Le gouvernement Trudeau aurait pu annuler cette baisse, mais ne l’a pas fait, ravivant le dossier du déséquilibre fiscal, Pourtant, les estimations du DPB sont limpides, ce déséquilibre est bien réel et le fédéral aurait facilement les moyens de le régler.

Finalement, je voudrais préciser que ces estimations sont fortement explosives en raison de la longue période de prévision, où la situation de départ est simplement prolongée sans changement de fiscalité ou de conjoncture. D’ailleurs, les estimations de la dette en fin de période des administrations publiques dans le rapport de 2017 basé sur l’année 2016, deux ans plus tôt que l’année de base du présent rapport, étaient bien différentes (voir ce graphique) :

  • -58 % pour le gouvernement fédéral par rapport à -82 %;
  • plus de 100 % pour les administrations infranationales par rapport à 47 %;
  • 25 % pour l’ensemble des administrations publiques par rapport à -66 % (!).

Cela montre bien qu’il faut prendre ces estimations avec des pincettes, qu’elles sont faites pour lancer des signaux, pas pour être prises à la lettre. Je n’ose imaginer le résultat de cet exercice dans deux ans, quand il sera basé sur l’année 2020!

Et alors…

Ces résultats peuvent sembler bien futiles en ces jours de crise. Ils montrent tout de même que le Canada et le Québec sont bien positionnés pour se relever quand cette crise sera terminée, ce qui est bien moins le cas pour la majorité des autres provinces. Il est beaucoup trop tôt pour imaginer son impact concret. On ignore quand elle se terminera et quelle forme prendra la reprise. J’ai d’ailleurs refusé d’avancer des hypothèses sur l’impact de cette crise sur l’emploi, un domaine que je connais pourtant très bien. Et, j’ai bien fait!

Quand Francis Vailles a communiqué avec moi le 16 mars dernier, j’ai refusé de commenter ses hypothèses (ce qu’il a d’ailleurs souligné dans sa chronique deux jours plus tard), même si je lui ai fourni une méthode pour estimer leurs impacts sur l’emploi et le chômage. Il est arrivé à un taux de chômage de 9,4 %, taux qu’il trouvait avec raison énorme compte tenu de son niveau de 4,5 % en février 2020. Quelques jours plus tard, après l’annonce de fermeture des entreprises des secteurs non prioritaires, Julia Posca de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a fait un exercice semblable avec sensiblement la même méthode (je lui avais conseillé de souligner les incertitudes entourant cet exercice, ce qu’elle a fait en disant clairement qu’il s’agissait d’un «exercice périlleux») pour en arriver à un taux de chômage de 32 %! Notons que depuis, le gouvernement a transformé son ordre de fermeture des entreprises des secteurs non prioritaires en un ordre de réduire au minimum leurs activités. Puis, ce fut au tour de la firme-conseil Aviseo d’arriver avec une méthode tout à fait différente (je ne leur ai pas parlé!) à un taux de chômage trimestriel de 24,2 %, ce qui est un peu moins élevé que le résultat de l’IRIS, mais pas d’un ordre de grandeur totalement différent. Et aujourd’hui, c’est au tour du DPB de se prononcer et il calcule avec son scénario que ce taux atteindrait 15,0 % au Canada (sans estimation pour les provinces) au cours du troisième trimestre de 2020 (14,8 % au deuxième), tout en prenant bien soin de préciser que son «scénario ne constitue pas une prévision. Il ne montre qu’une des issues possibles à la situation». On voit à quel point j’ai eu raison de ne pas m’avancer sur les hypothèses de M. Vailles, même si elles étaient plausibles avec les informations dont on disposait à l’époque (il y a 11 jours!).

Bref, je vais continuer à refuser de m’avancer sur la vitesse de rétablissement de l’économie, ne sachant même pas quand le confinement se terminera et si des traitements et des vaccins seront disponibles avant un an. Toutefois, j’en reparlerai sûrement!

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