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Lutter contre les zombies

15 juin 2020

Avec son livre Lutter contre les zombies – Ces idées qui détruisent l’Amérique, Paul Krugman «dénonce la dérive du Parti républicain, devenu caricatural et malhonnête» et «révèle ainsi une série de manipulations politiques, tels le déni du changement climatique, les tentatives de baisser les impôts des plus riches, les attaques de mauvaise foi contre l’Obamacare – et plus généralement contre la protection sociale – ou encore l’instrumentalisation du racisme des classes populaires blanches».

Introduction : L’auteur ne s’attendait pas à devenir un commentateur politique, ses recherches ayant porté sur des sujets sans dimension politique (géographie économique et commerce international). Mais, il s’est aperçu rapidement qu’il suffit de nos jours d’observer des faits pour se faire qualifier de militant de gauche (inégalités croissantes, absence d’inflation après une intervention de la banque centrale ou des gouvernements, réchauffement climatique, etc.). «C’est ce que j’essaie de faire dans les chroniques que je rédige pour le New York Times et dans ce volume qui les rassemble».

Il aborde ensuite des thèmes qu’il développera dans le livre, comme la polarisation de la politique, le pouvoir des riches, les idées zombies («ces idées que les faits ou la science devraient déjà avoir enterrées», mais qui ressuscitent toujours) et la discrimination raciale. Il conclut en expliquant que ce livre est un recueil de chroniques et d’autres textes parus depuis 1990 (mais surtout après 2003) et regroupés par sujets, et que chaque chapitre sera précédé d’une courte mise en contexte.

I Sur le modèle social américain

1. Le coup de force de George W. Bush : Quoique moins traumatisante que l’élection de Donald Trump en 2016, «la réélection de George W. Bush à la présidence des États-Unis [en 2004] a provoqué une immense déception dans le camp progressiste». Cette section du premier chapitre regroupe trois textes (deux datant de 2004 et l’autre de 2005) portant sur la tentative ratée de l’administration Bush de privatiser le programme de retraite de la sécurité sociale, qui est notamment la seule source de revenus du tiers des retraité.es des États-Unis, et un quatrième commentant l’intention des démocrates en 2015 de rehausser les prestations de ce programme.

2. La mise en place d’Obamacare : Cette section contient quatre textes, datant aussi de 2004 à 2015, portant sur le système de santé des États-Unis et sur la mise en place et l’évaluation du succès d’Obamacare.

3. Trump ou les primaires de la cruauté : Cette section porte aussi sur l’Obamacare, mais cette fois sur les tentatives des républicains et de Trump de l’abolir. Les trois textes qu’elle contient, datant de 2017 et 2018, analysent «les tentatives de sabotage de la loi et montrent comment elle a pu conserver son efficacité générale».

II Quand la bulle immobilière a éclaté : Les six textes de ce chapitre (parus de 2005 à 2015) portent sur la crise commencée en 2007. Un de ceux-ci est celui que j’ai toujours trouvé son meilleur («Comme un sifflement» ou «That Hissing Sound» en anglais). L’auteur avait prévu l’éclatement de la bulle immobilière dès 2005, mais n’a jamais pensé que cet éclatement mènerait à une crise de cette ampleur. Il pourfend dans ces textes les innovations financières, dénonce le laxisme réglementaire des gouvernements et favorise l’intervention gouvernementale pour relancer l’économie (en s’opposant aux politiques d’austérité).

III Gérer la crise

1. Le triomphe de la macroéconomie : «Les événements qui ont suivi [la crise] ont confirmé de façon spectaculaire le modèle d’analyse des économies en dépression : les déficits budgétaires massifs n’ont pas fait grimper les taux d’intérêt, l’impression de monnaie à grande échelle n’a pas été inflationniste, et les États qui ont préféré réduire leurs dépenses ont davantage souffert que les autres». Les cinq textes présentés ici datent de 2008 à 2014 et soulignent surtout l’insuffisance du plan de relance d’Obama, même s’il fut plus efficace que les politiques d’austérité européennes.

2. Ces mauvaises idées qui coûtent cher : Parus de 2009 à 2018. les quatre textes de cette section, dont un (excellent) beaucoup plus long que les autres, analysent les différends entre les économistes keynésiens et néoclassiques, et entre les visions économiques de la droite et de la gauche (disons du centre gauche).

IV L’austérité des Gens Très Sérieux : Les Gens Très Sérieux (GTS) sont pour l’auteur ceux qui, par exemple, s’inquiétaient en 2009 davantage des déficits gouvernementaux que des faillites personnelles et du taux de chômage très élevé, et prônaient en conséquence l’adoption de politiques d’austérité budgétaire, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Rappelons qu’ici aussi, des GTS comme Carlos Leitao se sont servis de la situation de la Grèce (et du Portugal) pour justifier leurs politiques austères. C’est aussi dans un des quatre textes de ce chapitre (qui ont été publiés de 2010 à 2014) que Krugman a utilisé pour la première fois son expression devenue par la suite célèbre de la fée de la confiance pour ridiculiser les GTS qui prétendaient qu’avec des politiques austères les investisseurs reprendraient confiance et dépenseraient plus, éliminant ainsi le chômage excédentaire (alors qu’il a au contraire augmenté). Il y aborde aussi le mythe du chômage structurel, thème sur lequel j’ai déjà écrit un billet pour l’IRIS en reprenant notamment ses arguments.

V L’euro – un pont trop loin : Les quatre textes de ce chapitre consacré à l’euro et au concept de monnaie unique ont été publiés de 2010 à 2018. L’auteur y parle des conséquences de l’adoption de l’euro en Espagne (un désastre), des décisions de la Banque centrale européenne et des contraintes auxquelles elle fait face, de l’incohérence et de l’aveuglement des partisan.es de l’euro, et des conséquences politiques déplorables de la crise, notamment de l’émergence des partis d’extrême droite.

VI Le grand bluff fiscal : Les trois textes de ce chapitre portant sur la fausse chasse aux déficits des républicains ont été publiés en 2019. L’auteur montre dans ces textes qu’ils s’opposent à ce que le déficit augmente pour financer des programmes de relance ou pour conserver les programmes sociaux (encore plus pour les améliorer), mais pas pour baisser les impôts des riches. Et seules les compressions budgétaires sont pour eux nécessaires pour le diminuer (mais pas pour les dépenses militaires!).

VII Baisser les impôts – l’ultime idée-zombie : Les sept textes de ce chapitre ont été publiés de 2012 à 2019. Ils abordent :

  • le fait que la croissance aux États-Unis n’a jamais été plus forte qu’au cours des années 1950, alors que le taux marginal d’imposition maximal pour les plus riches atteignait 91 %;
  • le premier budget Trump, avec ses baisses d’impôts pour les riches et pour les entreprises, et ses hausses pour la majorité des ménages de la classe moyenne;
  • les mensonges budgétaires des républicains;
  • l’absence de hausse des investissements des entreprises après la baisse de leurs impôts;
  • les effets positifs d’un taux marginal d’imposition maximal à 70 % ou 80 %, comme le propose Alexandria Ocasio-Cortez;
  • les effets positifs d’un impôt sur le patrimoine supérieur à 50 millions $, comme le propose Elizabeth Warren.

VIII Globalivernes et autres idées-zombies sur le commerce international : Même si c’est en raison de ses travaux dans ce domaine (et en géographie économique) qu’il a obtenu le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2008, l’auteur considère qu’on accorde plus d’importance qu’il en a vraiment au commerce international (évaluation que je partage, voir notamment ce billet écrit pour l’IRIS). Les trois textes de ce chapitre, publiés en 2018, décrivent les ravages causés par Donald Trump dans ce domaine.

IX Le grand déni des inégalités : Comme le titre de ce chapitre l’indique, les cinq textes qu’il regroupe (datant de 1992 à 2019) s’attaquent aux idées-zombies portant sur la hausse des inégalités, dont sa négation et son attribution à la hausse de la scolarisation, au déclin des valeurs familiales (!) et aux changements technologiques (dont l’automatisation des emplois). L’auteur l’attribue plutôt aux rapports de pouvoir (dont la baisse du taux de syndicalisation) et aux décisions politiques (dont les politiques fiscales et la faiblesse des services publics en santé et en éducation).

X Retour sur l’ère Trump

1. L’invention du conservatisme de mouvement : Les trois textes de cette section (datant de 2007, 2018 et 2019) portent sur le conservatisme de mouvement appuyé par «l’empire médiatique de Murdoch [et par] un éventail vertigineux de groupes de réflexion et de groupes de pression principalement financés par les mêmes milliardaires».

2. Le pire des présidents : Au moyen de sept textes publiés en 2018, l’auteur présente divers aspects négatifs de la présidence de Donald Trump. Il y en a trop pour que je puisse les énumérer, mais ils sont laids!

XI Le chiffon rouge du socialisme : Le terme socialisme peut être associé à «la propriété collective des moyens de production», mais aussi à «une économie de marché avec un solide filet de sécurité sociale et une régulation des entreprises», ce qui est en fait la sociale-démocratie. Trump et les républicains aiment bien confondre les deux pour qualifier toute politique interventionniste de socialiste. Les trois chroniques de ce chapitre, publiées en 2018 et en 2019, «tentent de remédier à cette méconnaissance».

XII Le climat, mère de toutes les batailles : Même s’il trouve qu’il n’en parle pas assez souvent, l’auteur considère que le changement climatique devrait «souvent être le seul sujet pertinent. C’est l’existence même de l’humanité qui est remise en question». Les quatre textes de ce chapitre, publiés en 2018, sont toutefois un peu timides à mon goût (surtout le dernier sur le New Deal vert).

XIII Au-delà des fake news : Les quatre textes de ce chapitre, publiés de 2000 à 2016, montrent que l’utilisation des fake news par les républicains et le détournement de ce concept datent de bien avant l’élection de Donald Trump. Ils abordent aussi les échecs des médias à jouer correctement leur rôle, notamment avec leur habitude de vouloir rester neutres en ne critiquant pas les mensonges des républicains, mais en les présentant comme des opinions, et en s’attardant sur des futilités plutôt que sur les politiques des candidat.es à la présidence.

XIV Quelques réflexions sur l’économie : Les trois textes de ce chapitre, un long datant de 1993 (que j’ai lu pour au moins la troisième fois) et deux autres publiés en 2010 et 2018, sont plus directement liés aux compétences économiques de l’auteur. Le premier porte sur sa «stratégie en matière de recherche économique» (entre autres se remettre en question et «simplifier et simplifier encore»), le deuxième sur les politiques keynésiennes qu’il aurait été nécessaire de mettre en œuvre avec plus d’ampleur après la crise débutée en 2007, et le dernier sur son scepticisme en matière de cryptomonnaies (scepticisme que je partage entièrement).

Et alors…

Lire ou ne pas lire? Lire, surtout si on ne consulte pas régulièrement son blogue. Je l’ai fréquenté des années, grâce à un site tenu par des fans jusqu’en 2010 (ce site a été interrompu par le New York Times), puis sur son blogue officiel du New York Times jusqu’à ce qu’il exige un abonnement pour le consulter régulièrement (vers 2016 ou 2017, de mémoire). Depuis, je consulte quotidiennement sa page Twitter et lis de temps en temps ses billets sur la page Eureka de la BAnQ. Quand je me le suis procuré, je ne savais pas que ce livre était essentiellement un recueil de textes. Mais, je l’aurais lu quand même!

Malgré ce que je viens d’écrire, Paul Krugman n’est pas l’économiste que je préfère, mais sa capacité d’analyse m’étonne toujours. Il m’a fait comprendre bien des sujets que je ne maîtrisais pas. Il excelle particulièrement dans ses chroniques, comme ce livre le montre bien. Chaque sujet est présenté clairement, ses arguments sont toujours pertinents et le texte est toujours facile à lire. Sans l’imiter, j’essaie d’en faire autant sur ce blogue! Ses écrits représentent une des sources que je préfère consulter pour bien comprendre les enjeux politiques et économiques des États-Unis. Seul vrai défaut de ce livre, les notes sont à la fin du livre, mais comme je l’ai lu en format électronique, je n’en ai pas souffert.

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