La vraie vie est ici – Voyager encore?
Avec son livre La vraie vie est ici – Voyager encore?, le sociologue Rodolphe Christin «nous invite à penser le voyage, lui pour qui cette notion doit avant tout constituer un acte de l’esprit, une expérience particulière de la pensée et du corps. Autrement dit, une certaine expérience du monde que les infrastructures touristiques mettent à mal et qu’il conviendrait cependant de sauver».
Avertissement : L’auteur précise que ce livre «condense et prolonge» des livres parus précédemment et «tente de répondre aux différents débats que ces livres ont semés».
Voyager encore ? : Pourquoi voyager encore? Entre autres parce que la «tentation du voyage est enracinée en nous». Si le touriste est souvent «le premier à fustiger le tourisme», le voyage est un plaisir en soi, un motif autojustifié. L’auteur poursuit en présentant l’objectif de ce livre.
Théorie de l’évasion : «La vraie vie est ailleurs». Les voyageur.euses cherchent «une forme d’initiation, une possibilité de renaissance, une expérience au terme de laquelle» ils et elles ne reviendront pas indemnes.
Théorie de l’exotisme, 1 : «L’exotisme englobe ce qui échappe au connu, au déjà vécu». Ce chapitre porte surtout sur les écrits de voyage de Victor Segalen, au croisement des XIXe et XXe siècles.
Théorie de l’exotisme, 2 : Avec les mises en scène organisées par l’industrie touristique et avec les moyens de communication et de transport modernes, «l’exotisme se crispe» et «risque de se dégrader en fétichisme du folklore». Elles portent toutefois certaines personnes à vouloir s’organiser un voyage exotique, allant toujours plus loin, mais sans que ce soit risqué. Les véritables voyageur.euses aventurier.ères de nos jours ne sont pas les touristes, mais les migrant.es, car ces personnes ont «l’espoir qu’ailleurs la vie sera meilleure et qu’[elles] trouveront là-bas ce qui manque ici» et qu’elles risquent beaucoup, même leur vie, en décidant de migrer.
La distance est intérieure : L’industrie touristique excelle pour donner aux touristes l’impression d’être ailleurs tout en se sentant dans le confort de leur maison, confort qui entraîne un coût environnemental élevé. En plus, on peut continuer à communiquer avec nos proches sur les réseaux sociaux, éliminant une rupture pourtant essentielle au voyage.
Se déprendre : «Partir, c’est mourir un peu, bien sûr, mais pourquoi? Pour devenir autre. Rien que ça». Mais, pour ça, il faut que les voyageur.euses deviennent étranger.ères de leur entourage habituel et étranger.ères face au pays qu’ils et elles abordent. De leur côté, les touristes préfèrent éviter les imprévus.
Une question de temps, 1 : «Pourquoi les ruines et les vieux monuments attirent-ils autant les voyageurs?». L’auteur aborde ici l’attrait de l’histoire chez les voyageur.euses (et parfois chez les touristes) et montre que l’histoire fait partie de l’exotisme et du pittoresque qu’ils et elles recherchent, notamment en suivant les pistes d’un illustre prédécesseur, empruntant même parfois leurs façons de se déplacer (canots, vêtements, tentes, etc.) et en immortalisant ces moments avec quelques selfies aussitôt partagés sur les réseaux sociaux…
Une question de temps, 2 : «En voyage, nous cheminons sur la frontière ténue entre régression et régénération» et le temps n’a plus la même signification. Le dernier à faire un périple se sent comme le premier.
Aux confins : L’auteur aborde cette fois l’importance de l’espace dans un voyage, montagne, ville, mer, désert, forêt, rivière et côte, qui ont chacun une place dans l’imaginaire des voyageur.euses.
S’ensauvager : Ce chapitre porte sur l’attrait de la nature sauvage et d’autres lieux que l’imaginaire des voyageur.euses associe à la sauvagerie.
Ici, les sentiers d’un nouveau monde : Voyager sert aussi à quitter sa routine, à sortir du moule, selon Henry David Thoreau. Et, il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour ça!
Belle et vierge, plus ou moins - ce que nous aimerions que la « nature » signifie encore : La «nature doit souvent être indemne des traces de notre civilisation». Pour ce, elle doit «être non seulement belle, mais encore apparemment vierge». Pour trouver cette nature, «il faut aller là où personne n’est encore allé». Comme cela est rare, comptez sur nos voyagistes pour nous proposer d’aller loin, très loin, où finalement, la nature est de moins en moins vierge et de plus en plus détruite.
Renaître au monde : Plus on approche de la destination, moins elle semble étrangère. «Au long de la route, l’ailleurs devient ici».
Une connaissance poétique : L’auteur s’intéresse ici à la nature de la connaissance que le voyage procure.
Éloge de la disparition : «Ce que le voyage véritable remet en cause, c’est notre identité, et notre identité est liée à notre ego». L’auteur ajoute que le voyage permet une disparition symbolique de notre ego.
Explorer, avec Antonin Artaud : En voyage comme dans ses écrits, Antonin Artaud voulait réaliser «la réconciliation entre le matériel et l’immatériel».
Contempler le monde : L’auteur aborde cette fois l’aspect salutaire de la contemplation, qui «nous émancipe du productivisme et réhabilite la légitimité de la simple présence».
Contre l’invivable… : À partir d’un texte de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, l’auteur fait le point sur l’apport des voyages. Puis, il conclut que, à l’époque de l’anthropocène, la fuite par le voyage devient irréaliste.
«Oublier l’Invivable dans des lieux spécialement ordonnés, meublés de prestations de service est une chimère de la société marchande. L’Invivable nous rattrape en encombrant nos bronches de particules fines, nos tissus cellulaires de molécules de plastique, il détruit la biodiversité, bouscule l’atmosphère d’accidents météorologiques implacables… Le tourisme est à la fois un symptôme et un agent de l’invivabilité croissante du monde. […] C’est ici que nous devons faire front contre l’invivabilité croissante du monde.»
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Je ne sais pas. Avant de me procurer ce livre, j’aurais dû relire le billet que j’ai écrit sur le premier livre que j’ai lu de cet auteur, Manuel de l’antitourisme. Je pourrais répéter une bonne partie de la conclusion de ce billet. Cela dit, ce livre porte davantage que le précédent sur les différentes raisons de voyager. Chacun des chapitres décortique ces raisons avec des références sociologiques qui m’ont perdu fréquemment. Comme dans le précédent livre, on y trouve des remarques sarcastiques, mais de façon moins dominante, heureusement. Étrangement, même si ce livre est court (136 pages, selon l’éditeur), je l’ai trouvé répétitif. Finalement, j’ai préféré l’entrevue que l’auteur a accordée au Devoir sur ce livre! Pour rien arranger, les 59 notes sont à la fin du livre, mais, au moins, elles sont presque toutes des références.
Ah le sujet me semble intéressant (hyper pertinent en ce moment), mais il me semble que le livre ne va pas assez loin dans l’analyse et les types de voyages (car le tourisme ne se résume pas à une seule façon de partir). Finalement, l’auteur en arrive à critiquer les voyages, mais en faisant cela on met de côté ce que ça peut apporter aussi (et ce n’est pas rien, car sinon les gens ne voyageraient plus). C’est une motivation essentielle à comprendre si on veut changer l’industrie…
Sur le même sujet, de façon beaucoup plus large et complète, j’ai beaucoup aimé « Que reste-t-il de nos voyages? » de Marie-Julie Gagnon. Elle est beaucoup plus nuancée. Et le livre est accessible. Au lieu de citer des références sociologiques, elle a interviewé les chercheurs sur le sujet, alors on les a en discours direct, c’est beaucoup plus accessible (je le sais, j’en fais partie!) 😉
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Merci de la suggestion, je vais essayer de le lire!
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