L’économie esthétique
Avec son livre L’économie esthétique, le troisième de sa série sur l’économie, Alain Deneault «suit le mouvement spéculaire entre des œuvres esthétiques qui traitent d’économie marchande et d’argent, et des critiques d’arts qui recourent au vocabulaire économique pour commenter les œuvres».
Manifeste : L’auteur reproche aux économistes de s’être approprié «le lexique de l’économie pour en faire leur fonds de commerce», alors que ce mot a acquis «dans l’histoire bien d’autres acceptations» et significations dans «plusieurs disciplines scientifiques et pratiques culturelles». Dans toutes ces déclinaisons, «l’économie relève de la connaissance des relations bonnes entre éléments, entre gens, entre sèmes, entre choses». Comme il s’agit du même manifeste que dans les livres précédents de cette série, mon résumé est le même que dans mes billets précédents.
L’économie esthétique : L’économie de moyens est souvent louangée dans des œuvres artistiques et se révèle souvent «prodigieusement efficace». Les économistes y recourent aussi avec la variante de l’économie du discours, notamment pour mettre en récit des concepts simplifiés et ainsi faire passer leur message, trop souvent au service des personnes puissantes.
La richesse du discours : Les écrits les plus anciens abordent souvent des questions d’économie, de propriété, de gestion et de richesse. De la richesse, il y en a aussi dans la façon de s’exprimer, qui procure une influence importante à un discours qui en aurait peu ou pas s’il était terne.
L’insondable étymologie : L’auteur analyse le sens grec du mot grec oikonomia, à l’origine du mot économie, un peu comme dans le texte que j’ai présenté dans ce billet en 2016, mais sous des angles différents.
L’économie comme principe supérieur : Le sens du mot oikonomia a évolué rapidement par la suite, englobant des réalités encore plus étendues, dont l’agriculture, les liens entre les propriétaires et leurs employé.es (ou esclaves), et même entre les sexes, et la gestion de l’État.
Un principe étayé par les arts : L’oikonomia portait aussi sur «l’organisation médicale dans son ensemble autour d’un patient» et sur la structure d’une pièce musicale, d’un texte poétique et de bien d’autres productions, notamment artistiques.
L’économie de la métaphore : Devant ses multiples utilisations, «le sens pur de l’oikonomia est insaisissable». Ce contexte favorise l’utilisation de métaphores qui en viennent à remplacer le sens premier du mot ou même à le trafiquer (je simplifie).
Productives métaphores : La métaphore ne sert pas seulement à économiser des mots, mais aussi à enjoliver un discours. Elle a donc à la fois un rôle utilitaire et esthétique.
L’argent, métaphore-monde : L’auteur présente des œuvres (films, livres et pièces de théâtre) où l’argent sert de métaphore pour illustrer autre chose.
Reste l’économie du récit : L’économie d’une œuvre est la structure qu’on lui donne. Elle peut utiliser de nombreux artifices pour parvenir à ses fins. Elle vise à «conférer un tour nécessaire et vraisemblable à des enchaînements, en vue de dénouements auxquels il [l’auteur] souhaite d’emblée arriver». Quand les artifices sont trop lourds ou incohérents, l’œuvre (ou le récit) perd de sa valeur et de son efficacité.
Une économie libre : Un auteur écrit toujours à rebours. Connaissant la fin, il met en place les éléments pour la justifier et la rendre crédible.
Une économie parallèle : Il y a aussi dans les œuvres des détails superflus, mais qui «assurent les joies et les sensations bonnes que procure le beau». L’auteur donne des exemples de l’utilisation de ce genre de détails dans des livres et des films.
Une économie en crise : L’auteur présente en exemple un livre doté d’une structure volontairement décalée avec la réalité, illustrant justement une économie en crise, dans deux des sens du mot économie (économie du discours et économie monétaire).
L’appropriation capitaliste de l’art : «L’économie esthétique est aujourd’hui, comme le reste, largement soumise aux sciences de l’intendance, désormais dépositaires du sens général de l’économie». La notion d’économie a changé de camp et «atteste d’un monde dans lequel la culture n’est qu’un secteur industriel parmi tant d’autres». Ainsi, le capitalisme s’est servi de l’économie de l’œuvre «pour se faire valoir lui-même comme le propre de l’économie», ce qui est bien sûr une fiction.
La dissonance des marchés : Le capitalisme se déroule de façon chaotique, sans véritable économie interne, autre que celle de ses récits qui ne sont que des artifices scientifiques.
La fiction de l’économie marchande : «Les techniques esthétiques finissent par faire tenir l’édifice imaginaire du capitalisme, à la manière d’un mortier». Le capitalisme dépend d’ailleurs depuis ses débuts en bonne partie de «la production de contes, de légendes et de métaphores». L’auteur donne de nombreux exemples de ces récits et d’autres utilisations de l’esthétique (marques, design, musique, etc.). Et il conclut ainsi :
«L’économie esthétique demeure une composante de l’intendance marchande et de la gouvernance d’entreprise qui trouve une consistance à ce titre, dans le contexte d’abus que les analyses de l’économie du récit et de l’œuvre parviennent à décrypter.»
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Comme dans mon billet sur le deuxième livre de cette série, je le recommande avec réserves, et avec encore plus de réserves dans ce cas. Le début est prometteur et le dernier chapitre éclairant, mais je me suis un peu perdu et ennuyé dans les nombreuses illustrations de l’économie du discours. Je partage l’analyse de Michel Lapierre dans son article portant sur ce livre : «Les autres illustrations littéraires, artistiques et philosophiques que fournit l’essayiste n’ont pas, hélas, cette force éclatante ! Ni Gide, ni Malraux, ni Hitchcock, ni Bresson, ni Derrida, tous interprétés par Deneault, souvent avec beaucoup de finesse, n’éclairent et surtout n’actualisent pas son propos». Cela dit, il n’est pas question que je rate un seul livre de cette série! Il en reste trois. Ah oui, un bon point pour terminer, les 205 notes, toutes des références, sont en bas de pages.