La COVID-19 et les ouvertures et fermetures d’entreprises
Compte tenu des impacts de la COVID-19 sur les entreprises, Statistique Canada publie depuis août des «estimations expérimentales sur les ouvertures et les fermetures mensuelles» des entreprises, en complément de ses données annuelles et trimestrielles sur les créations et les disparitions d’entreprises. En effet, le concept de création et de disparition d’entreprises ne permet pas de capter l’impact de la COVID-19, puisque la création est basée sur une nouvelle ouverture (il ne faut pas que cette entreprise ait eu des employé.es au cours d’aucun des trimestres de l’année courante et de l’année précédente) et que la disparition nécessite qu’il n’y ait aucun.e employé.e au cours d’un trimestre et des trimestres suivants de la même année et de l’année subséquente. Par contre, le concept d’ouverture et de fermeture repose sur le fait qu’une entreprise ayant des employé.es au cours d’un mois mais qui n’en avait pas le mois précédent est considérée ouvrir (ou réouvrir) et qu’une autre qui n’a pas d’employé.es au cours d’un mois mais qui en avait le mois précédent est considérée fermer.
Les données que j’utiliserai dans ce billet proviennent du tableau 33-10-0270-01 qui contient des données de janvier 2015 à juin 2020 pour le Canada, les provinces et les régions métropolitaines de recensement sur les entreprises actives (qui ont au moins un.e employé.e au cours d’un mois), les entreprises nouvellement ouvertes (entreprises actives qui n’avaient pas au moins un.e employé.e le mois précédent), les entreprises en exploitation continue (entreprises actives qui avaient aussi au moins un.e employé.e le mois précédent) et les entreprises nouvellement fermées (entreprises qui étaient actives le mois précédent, mais sans employé.es le mois courant). Ces données ne touchent que le secteur des entreprises (selon la note huit de ce tableau, «Le secteur des entreprises couvre l’ensemble de l’économie, exception faite de la production des administrations publiques, des institutions sans but lucratif et de la valeur locative des logements occupés par leur propriétaire»). Ce tableau a été mis à jour le 28 septembre 2020 (voir le communiqué de Statistique Canada). Notons que Statistique Canada nous invite à interpréter ces données expérimentales avec prudence. Pour plus de précisions sur la méthode employée par Statistique Canada, on peut consulter ce document.
Entreprises actives
Le graphique ci-contre nous montre l’évolution de janvier 2019 à juin 2020 du nombre d’entreprises actives au Canada, au Québec, dans cinq régions métropolitaines de recensement (RMR) du Québec et dans celle de Toronto. Comme le nombre d’entreprises actives varie beaucoup selon ces territoires, j’ai divisé les données de chaque mois par celles de février 2020 (et ai multiplié le résultat par 100), juste avant la crise, pour que leur évolution soit comparable et pour faire ressortir l’impact de cette crise. On voit en plus que, même si ces données ne sont pas désaisonnalisées, celles de 2019 sont demeurées assez stables, ne variant pas plus de 1,5 point de pourcentage sous le niveau de février 2020 et de pas plus de 1,1 au-dessus, dans les deux cas à Saguenay.
Notons que j’ai pensé présenter les données pour les régions du Québec hors RMR en soustrayant les données des RMR de celles de l’ensemble du Québec, mais cela donne des résultats étranges. D’ailleurs, Statistique Canada mentionne que la présence d’entreprises dans plusieurs régions crée «un problème pour l’agrégation. […] Ainsi, la somme des données désagrégées sera supérieure aux données publiées pour un niveau d’agrégation plus élevé», ce qui rend des données soustraites inexactes.
L’intérêt principal de ce graphique demeure la chute du nombre d’entreprises depuis février 2020. La baisse la plus forte s’est observée en mai ou en juin selon les territoires. La baisse la moins forte entre février et juin a eu lieu à Saguenay (ligne rouge vin, -6,5 %), région suivie par les RMR de Québec (ligne verte cachée en juin par la ligne bleu pâle de Sherbrooke, 7,8 %), de Sherbrooke (-8,0 %) et de Trois-Rivières (ligne vert foncé, -9,2 %). La RMR de Montréal a connu la plus forte baisse au Québec (ligne jaune, -15,0 %), mais inférieure à celle de la RMR de Toronto (ligne vert pâle, -17,9 %). Quand au Canada (ligne bleu foncé) et au Québec (ligne rouge), leurs baisses de 12,8 % et de 12,3 % se situent au milieu du graphique. On notera que le nombre d’entreprises actives a augmenté en juin dans quelques RMR, soit dans celles de Saguenay (+0,6 %), Trois-Rivières (+0,5 %) et Québec (+0,3 %).
Entreprises nouvellement fermées
Le graphique ci-contre nous montre l’évolution de janvier 2019 à juin 2020 du taux d’entreprises nouvellement fermées sur le nombre d’entreprises actives le mois précédent au Québec et dans les cinq RMR du Québec. On peut voir que le taux de fermetures est demeuré assez stable en 2019, se situant toutefois à des niveaux différents selon les territoires, soit en moyenne à 4,0 % dans la RMR de Montréal (ligne rouge), mais entre 3,0 et 3,2 % dans les autres RMR, et à 3,8 % dans l’ensemble du Québec (ligne bleu foncé).
Le taux de fermetures a monté en flèche entre février et avril, doublant au moins dans tous les territoires. Ce taux a atteint 9,7 % dans la RMR de Montréal, mais entre 6,6 et 7,9 % dans les autres RMR, et 9,1 % dans l’ensemble du Québec. Il a baissé dans tous les territoires entre avril et juin, tout en demeurant beaucoup plus élevé qu’en février. Leur niveau variait alors entre 4,9 % dans la RMR de Saguenay (ligne verte) et 9,6 % dans celle de Montréal. Il est important de retenir que ces taux de fermetures sont cumulatifs, le niveau de chaque mois étant calculé sur les entreprises qui étaient actives le mois précédent.
Entreprises nouvellement ouvertes
Le graphique ci-contre nous montre l’évolution de janvier 2019 à juin 2020 du taux d’entreprises nouvellement ouvertes sur le nombre d’entreprises actives le mois précédent au Québec et dans les cinq RMR du Québec. En 2019, ce taux se situait en moyenne à 4,1 % dans la RMR de Montréal (ligne rouge), mais entre 3,1 et 3,2 % dans les autres RMR, et à 3,8 % dans l’ensemble du Québec (ligne bleu foncé). Sauf dans la RMR de Trois-Rivières, ce taux était en 2019 légèrement plus élevé que celui de fermetures, ce qui n’est pas étonnant au cours d’une période de croissance comme celle observée en 2019. Ainsi, le nombre d’entreprises actives a augmenté au Québec de 1,0 % entre les mois de décembre 2018 et 2019, diminuant de 0,6 % dans la RMR de Trois-Rivières, mais augmentant dans les autres RMR d’entre 0,2 (Québec) et 1,8 % (Saguenay).
On observe une stabilité du taux d’ouvertures en mars au Québec, mais une baisse variant entre 0.05 % (Trois-Rivières) et 1,3 % (Montréal) dans les RMR, ce qui laisse penser que ce taux a augmenté dans les régions hors RMR. Par contre, assez étonnamment, il a augmenté dans trois RMR en avril et dans les cinq en mai et en juin. Au bout du compte, le taux d’ouvertures a augmenté dans tous les territoires entre février et juin, de plus de 128 % à Trois-Rivières et d’entre 68 % (Saguenay) et 92 % (Sherbrooke) dans les autres RMR, pour se situer en juin entre 5,0 % (Saguenay) et 7,4 % (Montréal).
Cela dit, l’interprétation des deux derniers graphiques peut être faussée si on ne remarque pas que leurs échelles sont différentes. En effet, le sommet du graphique sur les taux de fermetures est de 12 % alors que celui du graphique sur les taux d’ouvertures est de 8 %. Ainsi, les taux de fermetures ont été plus élevés que les taux d’ouvertures dans les cinq RMR en mars, en avril et en mai d’entre 1,2 point de pourcentage et 5,6 points. Ils étaient aussi plus élevés en juin dans deux RMR (Montréal, de 2,2 points et Sherbrooke, de 0,8 point), mais légèrement moins élevés dans les trois autres (Saguenay, de 0,1 point, Québec, de 0,2 point, et Trois-Rivières, de 0,6 point).
Cet examen nous a permis de constater que les taux d’ouvertures augmentent souvent lorsque les taux de fermetures ont été plus élevés le mois précédent, sûrement en raison des réouvertures. Malheureusement, les données ne permettent pas de savoir la proportion des ouvertures qui sont des réouvertures ni la proportion des fermetures qui sont des deuxièmes ou troisièmes fermetures. Cela dit, ces données nous informent sur les mouvements de fermetures et d’ouvertures qui peuvent nous étonner, ce qui est déjà beaucoup!
Mouvements des entreprises selon l’industrie
Le tableau suivant présente pour le Québec :
- la variation du nombre d’entreprises actives par industrie entre février et juin 2019 et 2020, ainsi que l’écart entre ces deux années;
- le taux d’ouvertures moyen de mars à juin en 2019 et 2020, ainsi que l’écart entre ces deux années;
- le taux de fermetures moyen de mars à juin en 2019 et 2020, ainsi que l’écart entre ces deux années.
On notera l’absence de l’agriculture, parce que les données proviennent en partie de l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) qui ne couvre pas cette industrie, des services de santé et d’enseignement, et des administrations publiques dont les établissements ne font pas partie, en grande majorité, du secteur des entreprises.
La première colonne nous montre qu’il y avait en 2019 plus d’entreprises actives en juin qu’en février dans toutes les industries, sauf celles du commerce de détail (en fait en baisse de 0,03 %, soit de 6 entreprises sur plus de 20 000), surtout en raison de la saisonnalité. Les deux industries les plus saisonnières étaient celles des arts, spectacles et loisirs, et de l’information et culture, avec respectivement 3,8 et 3,0 % plus d’entreprises actives en juin qu’en février. C’est d’ailleurs pour enlever l’impact de la saisonnalité que j’ai cru bon de comparer les données entre ces deux années. Les industries qui ont connu des baisses plus élevées que la moyenne (12,8 points de pourcentage du nombre d’entreprises actives en 2020 par rapport à la hausse qu’elles auraient eue si leur nombre avait augmenté au même rythme qu’en 2019 (troisième colonne «Écart») sont celles :
- de l’hébergement et la restauration, avec une baisse plus élevée de 29,9 points de pourcentage qu’en 2019;
- des arts, spectacles et loisirs (25,8 points);
- de l’immobilier et la location (14,3 points);
- du transport (13,1 points).
On notera aussi que les industries les moins touchées ont quand même subi une baisse d’au moins 7 points.
La grande majorité des industries a eu un taux d’ouvertures plus élevé en 2020 qu’en 2019 entre les mois de mars et juin, sauf les arts, spectacles et loisirs, avec une baisse de 0,4 point de pourcentage, et trois autres industries qui ont eu un taux d’ouvertures identique ces deux années (voir la sixième colonne). De façon un peu contre-intuitive, c’est l’industrie de l’hébergement et la restauration qui a connu la plus forte hausse de son taux d’ouvertures (2,2 points en moyenne), probablement en raison de réouvertures. Ce facteur a probablement aussi joué dans les autres services (dont les salons de coiffure, 1,5 point), la construction (1,1 point), le commerce de détail (1,0 point), la plupart des autres industries, et, inévitablement, dans l’ensemble du secteur des entreprises (0,7 point).
Toutes les industries ont connu un taux de fermetures plus élevé en 2020 qu’en 2019 entre les mois de mars et juin. Le plus grand écart s’est observé dans l’hébergement et la restauration (9,9 points), hausse très élevée si on considère qu’il s’agit d’une moyenne cumulative sur quatre mois. Les autres industries qui ont connu une hausse de ce taux plus élevée que la moyenne (4,1 points) sont celles :
- des arts, spectacles et loisirs (6,5 points);
- des autres services (5,1 points);
- de l’immobilier et la location (4,7 points);
- du commerce de détail (4,2 points).
Et alors…
Cet exercice est tout à fait complémentaire aux analyses que j’ai faites des estimations de l’emploi de l’Enquête sur la population active (EPA) et des données par industrie de l’EERH. Elle permet tout d’abord de consulter des données fiables par régions (5 RMR), mais ajoute surtout une perspective différente sur les baisses globales du nombre d’entreprises actives à l’aide des flux qui les composent (ouvertures et fermetures). Cela laisse penser que les variations d’emploi publiées par l’EPA et l’EERH sont en fait le résultat de pertes et d’ajouts d’emplois bien plus élevés qu’on pourrait le penser. On se rappellera que Statistique Canada avait présenté des données sur les flux entrants et sortants de l’emploi en mars (voir ce billet), et que la faible baisse en mars des flux entrants avait aussi étonné que le niveau élevé des taux d’ouvertures de mars à juin dans les données présentées ici. L’importance du niveau des flux d’emploi entrants pourrait entre autres expliquer qu’autant de personnes (près de 9 millions) aient demandé des montants de la Prestation canadienne d’urgence (PCU), puisque les personnes qui ont été sans emploi ne seraient pas toujours les mêmes d’un mois à l’autre. Bref, les données sur les variations d’emplois et du nombre d’entreprises actives (variations de stocks) sont intéressantes, mais celles sur les flux ajoutent un niveau d’information essentiel pour mieux comprendre les impacts de la crise actuelle.