Le goût du vrai
Avec son petit livre Le goût du vrai (qu’il appelle «tract» et ne compte que 64 pages selon l’éditeur), Étienne Klein, physicien et docteur en philosophie des sciences, défend l’idée que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité. «Lorsque, d’un côté, l’inculture prend le pouvoir, que, de l’autre, l’argument d’autorité écrase tout sur son passage, lorsque la crédibilité de la recherche ploie sous la force de l’événement et de l’opinion, comment garder le goût du vrai – celui de découvrir, d’apprendre, de comprendre?»
La philosophie des Lumières défendait l’idée… : …«que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité […]».
1. Comme un trouble dans les esprits : Même quand la science n’a pas encore statué sur un sujet, de brillants sondeurs demandent l’opinion de la population sur ce sujet. Bien peu de personnes sondées répondent qu’elles ne savent pas, même si personne ne sait… L’auteur présente quatre biais qui sont illustrés par cette manie de donner son opinion sur un sujet que nous ne connaissons pas, puis explique le caractère changeant des vérités scientifiques.
2. L’autopromotion de l’inculture : On ne conteste pas certaines vérités scientifiques, comme les théorèmes mathématiques, mais seulement celles qui dérangent notre façon de penser ou notre mode de vie, comme en climatologie ou sur les mesures sanitaires pour combattre la COVID-19. Puis, l’auteur nous parle d’ultracrépidarianisme et d’ipsedixitisme…
3. Savoir ce qui est su et ce qui n’est pas su : L’auteur nous montre que la science est compliquée, exigeante et lente, ce qui agace les personnes qui veulent des certitudes et des réponses rapides à leurs questions.
4. L’effet Dunning-Kruger ou l’art d’être à l’aise : L’effet Dunning-Kruger («parler avec aplomb de ce qu’on ne connaît pas») est un double paradoxe : il faut être compétent pour être conscient de son incompétence et l’ignorance nous rend plus sûrs de nous que la connaissance.
5. Quand l’idée d’avenir s’assombrit : Dans le cadre de l’assombrissement de l’avenir, l’auteur constate que le concept de progrès a été remplacé par celui d’innovation dans le discours public.
6. «Conspirations en plein jour» : Le roman 1984 est un des symboles du réel remplacé par les croyances collectives, de l’abrogation de «l’idée même de vérité», de la «notion de monde commun» et de la «capacité de penser par soi-même». Cette menace ne touche malheureusement pas que les régimes totalitaires, l’ère de la post-vérité se répandant dans les sociétés démocratiques.
7. De la joie de comprendre : Il faut retrouver le plaisir d’apprendre et de comprendre, «l’émotion de la quête», et «élargir la rationalité pour qu’elle devienne généreuse, poétique, excitante, contagieuse».
8. République et connaissances : Comme la république, les connaissances sont une «affaire publique», un bien commun. Cela dit, «la science n’est pas facile à partager», étant contestée et marginalisée, et trop souvent confondue avec des opinions, des croyances ou des fausses nouvelles.
9. Vogue relativiste : L’auteur s’attaque ici au relativisme et à ses arguments trompeurs.
10. La science dit-elle le «vrai»? : Ce chapitre porte sur la place du doute et de la certitude en science, ainsi que sur ses excès de modestie et d’enthousiasme.
11. Sciences versus réalité : S’il est vrai que les connaissances scientifiques évoluent et que certaines découvertes scientifiques peuvent être temporaires, cela ne veut pas dire qu’on peut toutes les remettre en question et douter d’observations bien établies (comme la rotondité de la Terre).
12. L’efficacité de la science tiendrait-elle du miracle? : Le succès des découvertes scientifiques dépend souvent du contexte dans lequel la recherche s’est déroulée. L’auteur donne quelques exemples de contextes ayant favorisé des découvertes et ayant au contraire contribué à des erreurs scientifiques.
13. Prendre enfin acte de ce que nous savons : Nous savons depuis des années, voire des décennies, que nous détruisons l’environnement, tant par le réchauffement climatique et la perte de diversité que par l’épuisement des ressources et la pollution. La crise de la COVID-19 en est une autre manifestation. Pourtant, nous savons quoi faire : faisons-le!
14. La faute à Galilée? : Sans remettre en question les qualités de la science, l’auteur convient qu’elle a contribué à accentuer la séparation de l’être humain avec la nature, avec des conséquences déplorables. Cela dit, plutôt «que de délaisser l’idée de rationalité, il me semble plus judicieux de la refonder afin qu’elle ne puisse plus servir d’alibi à toutes sortes de dominations». En effet, découvrir les lois dites «de la nature» n’implique pas de renier son appartenance à la nature.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Il s’agit du livre que je voulais me procurer quand j’ai lu en attendant son (excellent) livre Essai sur le vide (voir ce billet). Pas long à lire, ce livre contient tout de même une analyse intéressante et étonnamment complète de la perception de la population face à la science. L’auteur rejette aussi bien le scientisme (position «selon laquelle la science expérimentale est la seule source fiable de savoir sur le monde») que le relativisme (surtout lorsque ses adeptes prétendent que les connaissances apportées par la science ne valent pas plus que les autres). Son discours est clair et ses démonstrations facilement compréhensibles. En plus, les rares notes (15) sont en bas de page. Je suggère en complément de consacrer deux minutes pour écouter cette vidéo dans laquelle l’auteur présente brièvement quelques-uns des thèmes de ce livre.
Merci pour ce compte rendu qui étaye l’idée de la nécessité de redéfinir le sens d’une saine rationalité et d’un relativisme modéré. La liberté et la démocratie suscitent des discours et des pratiques sur lesquels il faut continuellement exercer son sens critique.
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Pour les personnes intéressées, Étienne Klein anime un balado sur France Culture. Je ne l’ai pas écouté, mais on m’en dit du bien :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique
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Merci pour ce rendu ! Je l’ajoute à ma liste.
La section 7 (De la joie de comprendre) m’interpelle particulièrement par rapport à mon enseignement des mathématiques. À l’occasion on me demande de justifier la pertinence de certains contenus enseignés (le fameux «à quoi ça sert m’sieur?»). J’ai toujours différentes réponses en lien avec le domaine d’étude des étudiants, mais depuis quelque temps je mets d’abord l’accent sur «le plaisir d’apprendre et de comprendre». En général ça les interpelle comme approche.
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